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Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

L A  L U T T E  de  C L A S S E S

  Organe du Groupe Communiste (IVe Internationale).

 

N° 7         1er Janvier 1943.

 

Q u i  a  d u  f e r ,  a  d u  p a i n . BLANQUI. 

 

"PROMESSES" IMPERIALISTES.

    Quand Roosevelt et Churchill parlent de la "restauration" de la France par la victoire alliée, les agents gaullistes transforment leurs phrases conventionnelles en assurances que tout reviendra "comme avant". Et ils prêchent, aidés en cela par les agents de Staline, "la libération commune du peuple français".
    Aux ouvriers révolutionnaires, particulièrement aux ouvriers communistes, qui luttent "pour que cela change", c'est-à-dire pour détruire le capitalisme, nous posons cette question : avant nous voulions faire la révolution, nous luttions pour le communisme. L'occupation militaire impérialiste doit-elle nous faire oublier que nous sommes une classe distincte, et nous rejeter dans les bras de notre propre bourgeoisie ?     N'avons nous plus de choix qu'entre l'esclavage salarié sans phrases dans le "nouvel ordre européen" et l'esclavage salarié des bourgeoisies dites "démocratiques" ? Qu'est-ce que la "libération commune" ?
Pour le prolétariat "libération" signifie le retour à un niveau de vie supérieur et aux libertés politiques. Pour la bourgeoisie, la "libération de la France" signifie le retour à une position privilégiée dans l'exploitation des masses travailleuses françaises et la reconquête de ses bases politiques nécessaires à la poursuite de brigandages internationaux. Or, pour régner sur la France "libérée" dans les conditions actuelles de la chute de l'économie mondiale, la bourgeoisie devra imposer des salaires de famine et employer des moyens dictatoriaux.
    Les intérêts du prolétariat et de la bourgeoisie sont plus que jamais inconciliables. Et croire que la lutte de classe contre le capitalisme n'est qu'ajournée "jusqu'à la victoire", c'est seulement ne pas se rendre compte ou ne pas vouloir se rendre compte que la "victoire" impérialiste alliée serait déjà une nouvelle défaite pour le prolétariat français

    La bourgeoisie, elle, à travers la guerre, n'a pas un instant abandonné ses buts de classe : renforcement de l'exploitation des travailleurs, destruction des organisations ouvrières, réintégration de l'Eglise dans l'Etat, etc. Et cela n'est pas l'oeuvre de quelques politiciens isolés de la bourgeoisie française : au service de la France impérialiste, dans toutes ses combinaisons (lutte de la "démocratie contre le fascisme" en 1939, collaboration pour "l'ordre nouveau", ou lutte pour la "libération nationale" depuis juin 1940), nous retrouvons toujours le vieil Etat, utilisant les mêmes hommes et les mêmes instruments : voilà pourquoi Laval, du pacte de la "démocratie contre le fascisme" (accord franco-soviétique 1935), s'est changé en Laval "autoritaire" de Montoire ; voilà pourquoi De Gaulle et Giraud de l'Action française, luttent aujourd'hui pour le "retour" de la démocratie ; tandis qu'au-dessus d'eux les mêmes Schnei-der, Gignoux, Renault et les 200 familles exploitent les ouvriers, quel que soit le ré-gime... Et par la diplomatie secrète, la presse pourrie et les bénédictions du Pape, le massacre des peuples continue...
    Le prolétariat n'a pas pu empêcher la 2° guerre impérialiste mondiale par la révolution : la Révolution doit maintenant surgir de la guerre. Car si nous ne renversons pas le capitalisme, nous resterons toujours écrasés par l'armée, la police, la haute administration, la diplomatie, les trusts et les banques et nous serons entraînés dans de nouvelles guerres.

    Tous les calculs des impérialistes, toutes leurs tromperies, tout le chauvinisme des social-patriotes de 1942 ("communistes") n'empêcheront pas la chute du capitalisme en Europe, la création des Etats-Unis socialistes d'Europe. L'échec du plan de domination mondiale de l'impérialisme allemand devant l'héroïque résistance de l'Union Soviétique, a créé une situation favorable pour la révolution en Allemagne, en Italie et dans les Balkans ; et si l'Armée Rouge, au cours des mois qui viennent, réussit à ébranler profondément le front capitaliste tenu par Hitler à l'Est, nous pouvons prédire, sans être nullement prophètes, que le printemps ou l'été 1943 sera, pour les peuples écrasés par le militarisme et la guerre, marqué par de grandioses événements.

    C'est en vue de ces événements révolutionnaires que nous nous efforçons de préparer le pro-létariat, car, sans une conscience politique internationaliste la classe ouvrière ne sera jamais capable de vaincre la bourgeoisie, dont le moyen principal de domination est le nationalisme. La IVe Internationale jouera son rôle dans ces événements, car elle seule possède un programme révolutionnaire scientifique. Selon les mots de Trotsky, "au centenaire du Manifeste Communiste (1847) la IVe Internationale sera la force révolutionnaire déterminante sur notre planète".

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L'ETAT ET LA REVOLUTION
    Depuis que la bourgeoisie française, grâce à la politique opportuniste des partis "socialiste" et "communiste", est arrivée à ses fins et a ravi aux ouvriers les libertés et les avantages conquis par ceux-ci en un siècle de luttes (1832-1936), la hideuse réalité de l'Etat, organe d'oppression de la classe ouvrière par la classe capitaliste, est pleinement apparue aux masses exploitées.
    Si la bourgeoisie des pays riches par les pillages coloniaux s'est accommodée du système parlementaire (démocratie bourgeoise), c'est dans la mesure où les concessions économiques faites aux couches ouvrières organisées lui ont permis de former une aristocratie ouvrière, par l'intermédiaire de laquelle elle put s'assurer de la politique menée par les partis et par les syndicats ouvriers.
    Cependant, la transformation du capitalisme de libre concurrence en capitalisme de monopoles (impérialisme) a fait de notre époque une suite de "guerres civiles et guerres impérialistes" (Lénine). La situation intérieure et extérieure des Etats capitalistes après la 1ère guerre impérialiste mondiale (14-18) est entrée de plus en plus en contradiction avec le système parlementaire. Pour sauver leur domination de classe, toutes les bourgeoisies, tout à tour, se sont engagées dans la voie de la dictature militaire ou fasciste, suivant les conditions politiques dans lesquelles elles se trouvaient ; et, faute de direction révolutionnaire, le prolétariat fut temporairement vaincu dans une série de pays : Italie (1922), Pologne (1927), Alle-magne (1933), Autriche (1934), Espagne (1939)...
    En France, la transformation de la IIIe République en Etat bonapartiste (totalitaire) est mise sur le compte de la défaite militaire de juin 1940, sur le compte de Hitler, qui lui-même a "nettoyé" l'Etat allemand de la démocratie (bourgeoise) en mettant à nu les organes réels de l'Etat capitaliste : "bandes armées et prisons" (Engels). Et de là on tire immédiatement la conclusion qu'il suffirait que celui-ci s'en aille, pour que la liberté politique, pour que l'Etat "démocratique" (capitaliste) prenne la place du présent Etat policier (également capitaliste).
    En réalité, la naissance de l'Etat bonapartiste en France est marquée par l'apparition, en février 1934, de bandes armées essayant de détruire les organisations ouvrières (partis, syndicats) en utilisant contre elles le mécontentement des petits-bourgeois envers la "pourriture parlementaire". Pour prolonger leur domination de classe les capitalistes, d'une part, rejettent le poids de la crise sur les couches populaires au moyen de lois votées par le parlement bourgeois, d'autre part, s'efforcent de rendre les ouvriers responsables des scandales financiers ou de la corruption des députés, notamment quand ceux-ci se disent "socialistes". C'est de cette façon que Mussolini en Italie et Hitler en Allemagne ont pu s'emparer du pouvoir.
    Pour faire oublier aux ouvriers que l'étape principale de la bonapartisation de l'Etat a été, après la déclaration de la guerre, l'oeuvre de Daladier, il a fallu qu'une fois de plus, au service de la diplomatie de Staline, le parti "communiste" revienne dans le giron des "démocraties". Mais c'est Daladier qui a dissout le PC, interdit tous les groupes ouvriers refusant l'union sacrée, emprisonné des dizaines de milliers de militants, instauré le régime des camps de concentration, aboli la liberté de la presse, décrété la peine de mort pour la propagande communiste, etc. Si ce programme terroriste n'a pu être entièrement appliqué qu'après la défaite militaire de juin 1940, c'est parce que c'est seulement alors que l'"Etat français" a pu consacrer toutes ses forces à cette tâche. Or Daladier, qui était entre autres ministre de la guerre, représentait les intérêts de l'Etat-major de l'Armée, c'est-à-dire des Gamelin, des Weygand, des De Gaulle, des Giraud, des Darlan, etc. qui aujourd'hui veulent se faire passer, avec l'aide du parti stalinien, pour les soldats de la démocratie, pour les partisans de la "volonté populaire".
    Depuis le pacte Laval-Staline (2 mai 1935) le parti "communiste" (simple instrument de la bureaucratie soviétique) ne pouvait plus, sauf pour la forme, se dresser contre l'Etat de l'impérialisme français "allié" de l'URSS. Sous le couvert de "défense de la démocratie contre le fascisme... allemand" (s'il n'avait pas existé il aurait fallu l'inventer), le PC tendit au contraire au renforcement d'un des éléments essentiels de l'Etat, l'armée, renforçant ainsi tous les autres éléments de l'Etat bourgeois : la police, le parlement-croupion, le corps diplomatique, etc. Et la façon dont le corps des officiers entendait défendre la "démocratie" depuis le début de la guerre fut pour nous une expérience de plus, et très coûteuse.
    Or depuis l'alliance avec Churchill, Staline a de nouveau "confié" la direction de la "libération de la nation française" au même corps des officiers. Quels que soient les De Gaulle, les Giraud ou les Darlan qui le représentent, c'est un fait que ce sont surtout les cadres de l'armée impérialiste française qui ont profité de la présence en France d'une armée d'occupation impérialiste pour détruire toutes les organisations ouvrières et instaurer leur propre dictature (bonapartisme). Si maintenant ils sont passés du côté des impérialismes alliés dits démocratiques, cela change-t-il en quoi que ce soit leur nature sociale et politique ?
    Dans les conditions de l'économie impérialiste (monopoles) la lutte contre le bonapartisme (dictature ouverte des organes de l'Etat : Etat-major, police, haute-administration, etc.) ou le fascisme (mouvement de masses petites bourgeoises contre le prolétariat, caractéristique de l'époque impérialiste) ne peut aboutir que si l'on attaque la base elle-même du fascisme ou du bonapartisme : la domination de la bourgeoisie à une époque où l'économie est mûre pour une production socialiste (planifiée). Pour éviter l'Etat totalitaire, il fallait non pas s'attacher à la forme parlementaire ("démocratique") de l'Etat, mais détruire l'Etat bourgeois et le remplacer par l'Etat prolétarien sous forme soviétique (conseils). A la lutte contre les bandes fascistes et pour les revendications économiques commencée en février 1934 par le prolétariat, il fallait donc donner pour BUT la Révolution socialiste. Le "Front populaire" essaya au contraire de galvaniser le cadavre de la "démocratie", par une alliance avec Daladier et Cie.
    Luttant contre l'Etat totalitaire (bonapartiste) le prolétariat ne se pose pas pour but la restauration de la "démocratie", du parlementarisme. Il y a une distinction fondamentale à faire entre la démocratie bourgeoise (parlementarisme) forme de domination de la classe capitaliste et la conquête des libertés démocratiques (liberté de réunion, de presse, droit de grève, etc.) indispensables aux ouvriers dans leur lutte CONTRE la bourgeoisie. Les ouvriers luttent pour la DICTATURE DU PROLETARIAT, forme de domination des classes jusqu'ici opprimées, qui, en tant qu'organe de la majorité des travailleurs contre la minorité d'exploiteurs, se dissout de lui-même au fur et à mesure que la société devient harmonieuse par la disparition des classes.
    Mais, pour conquérir les libertés démocratiques dont il a besoin pour s'organiser en tant que classe, le prolétariat doit être armé. "Qui a du fer, a du pain", c'est maintenant plus vrai que jamais. Pour les libertés et le pain, donc, notre mot-d'ordre est : armement du prolétariat ! et non pas : "victoire des démocraties".
    A la première occasion (conjoncture) favorable (et celles-ci ne manqueront pas), le prolétariat doit s'armer et couvrir le pays de ses propres organes de classe, les conseils (soviets) des députés ouvriers et paysans. C'est ces derniers qui réaliseront la plus grande démocratie possible dans une société divisée en classes.
    C'est seulement ainsi que nous arriverons à la société communiste, pour laquelle l'Etat, selon les mots d'Engels, figurera "au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze".