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Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

L A  L U T T E  de  C L A S S E S

  Organe du Groupe Communiste (IVe Internationale).

N° 34
4 août 1944
O U   E N   E S T   LA   R E V O L U T I O N ?

    De nombreux ouvriers "avancés", qui voient bien où mène la politique dite de "libération" (collaboration des classes), prennent cependant prétexte de l'"incompréhension" et de la passivité des ouvriers du rang (que ne peuvent nier que des gens à oeillères) pour rester passifs à leur tour : "les ouvriers sont avachis, ils ne comprennent pas, -disent-ils-, la révolution n'est pas pour demain".

    Discuter avec des gens fatigués, qui sont au fond contents de trouver une justification de leur abandon complet de la lutte, serait peine perdue. Seule la lutte ouverte des larges masses ouvrières pourra les tirer de leur apathie.

    Mais les ouvriers fatigués ne sont pas les seuls à se demander où en est la Révolution.

    C'est aussi le cas d'ouvriers tel que le camarade de province qui, bien qu'animé d'un grand désir de lutter jusqu'au bout, et qui lutte, nous écrit : "C'est à désespérer de tout : plus ça va, plus ça va mal. On avait beaucoup espéré d'une révolte dans l'armée allemande au fur et à mesure que l'Armée Rouge avançait en Europe : il n'en est rien et je crois bien qu'il n'en sera rien non plus. Je ne vois pas encore la Révolution pour demain dans aucun pays... J'ai bien plus PEUR qu'ENVIE qu'il en soit ainsi..."

    Ici il ne s'agit donc plus de fatigue ou d'apathie : la conclusion de ce camarade résulte de l'expérience de cinq années de la deuxième guerre mondiale qui, -en dépit des nombreuses et terribles souffrances infligées aux masses, et des grèves et mouvements de toutes sortes pour les enrayer-, ont laissé, semble-t-il, intacte la domination de la bourgeoisie !

    Mais, en réalité, la guerre a profondément ébranlé la domination de la bourgeoisie, non seulement en Europe (où les bouleversements et la chute du niveau de vie ont été relativement les plus sensibles), mais aussi sur tout le globe. En effet, l'impérialisme ébranle constamment les cadres dans lesquels s'exerce la domination de la bourgeoisie (écroulement de certaines puissances, lutte des peuples coloniaux et opprimés pour leur émancipation, etc..). Et les crises continuelles de ce régime fauteur de misère et de guerres ne laissent aucun répit aux masses, les poussant ainsi infailliblement, fatalement à des explosions révolutionnaires pour renverser la bourgeoisie.

    L'expérience des quarante dernières années ne montre-t-elle pas que l'impérialisme, avec ses guerres, engendre inévitablement la guerre civile des masses contre le capitalisme ? Les luttes révolutionnaires commencées en Russie en 1905 à la suite de la guerre russo-japonaise, et qui reprirent en 1917 pendant la première guerre mondiale pour déferler sur tous les pays belligérants (Allemagne en 1919, Autriche-Hongrie en 1918, France en 1917-1919) et les Révolu-tions d'après-guerre en Hongrie (1919), en Italie (1922) en Allemagne et en Bulgarie (1923), en Chine (1927), et celles qui ont précédé la présente guerre, en Espagne (1931-1939), en Autriche (1934), en France (1934-1938), n'ont-elles pas prouvé qu'on ne peut accuser les masses de la situation terrible où nous sommes actuellement ?

    Les masses ont montré qu'elles savent lutter et mourir pour leur cause ; mais elles ne peuvent entrer en lutte à n'importe quel moment et dans n'importe quelles conditions.

    Lorsque, par suite de l'impossibilité de continuer à vivre comme par le passé, la vague révolutionnaire monte, les masses sont prêtes à aller jusqu'au bout, comme elles l'ont fait en Russie en 1917, à la condition d'avoir à leur tête un Parti révolutionnaire capable de les conduire hors du régime capitaliste ; car c'est justement de l'existence de militants éduqués et préparés spécialement en vue du renversement du capitalisme par les masses, c'est du PARTI que dépendent la profondeur, la largeur et l'intensité du mouvement des masses, sa capacité de résister aux plans de la bourgeoisie, de la faire reculer et de la renverser.

    Mais les partis ouvriers se sont rarement montrés à la hauteur de leur tâche. Ceci tient à ce que la classe ouvrière est une classe exploitée et ne possède pas à elle seule tous les éléments nécessaires à la construction du Parti qui l'émancipera et émancipera la société. Elle est obligée de recourir à l'aide de certains éléments des autres classes : mais ceux-ci la plupart du temps viennent au mouvement ouvrier sans s'être au préalable radicalement soustraits à l'influence de leur ancien milieu, c'est-à-dire sans se transformer en véritables communistes. Au moment des crises décisives, ils retombent sous l'influence de la bourgeoisie ou de la pe-tite bourgeoisie, au lieu d'exprimer intégralement les aspirations du prolétariat. C'est ainsi que par suite de leur trahison consciente ou inconsciente, la vague révolutionnaire se heurte au barrage de ceux-là mêmes qui prétendent la guider et que les masses reculent et tombent dans la passivité et le découragement.

    La tâche capitale de notre époque est donc de rassembler le plus rapidement possible (car chaque crise nouvelle nous ramène toujours plus bas), les éléments les plus intransigeants et les mieux trempés en un Parti révolutionnaire qui ne comprenne que des militants ayant fait la preuve de leur dévouement absolu à la classe ouvrière et au socialisme et, capables de conduire réellement, en toutes circonstances, la lutte de tous les exploités et opprimés contre la société bourgeoise.

    Mais la génération qui s'est usée en luttant sous le drapeau, jadis sans tâche, de la IIIe Internationale, reste encore prisonnière de son attachement à l'ancien PC qu'elle a contribué à construire. C'est donc surtout la jeune génération du prolétariat "libre de toute responsabilité pour le passé et armée d'enthousiasme frais et d'esprit offensif", qui assurera la construction du Parti. De plus, un grand nombre d'anciens militants sont encore prêts à faire beaucoup pour le nouveau Parti, pour la révolution qui vient. Loin d'être secondaire, leur activité constitue un chaînon indispensable entre l'expérience passée et les nouveaux qui montent en ligne. Avec eux et avec les jeunes nous bâtirons le Parti de la Révolution prolétarienne victorieuse.

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J E A N   J A U R E S

    Le 31 juillet, à l'occasion du 30ème anniversaire de l'assassinat de Jaurès par la bourgeoisie, les démagogues de Paris et d'Alger ont éprouvé la nécessité commune d'exhumer le cadavre de leur victime, afin de tenter d'identifier leur politique sordide et criminelle à cette grande figure qui évoque le courage et le désintéressement.

    Mais comme le moyen employé doit forcément correspondre au but qu'on se propose, ils n'ont pu utiliser la mémoire de Jaurès qu'en la salissant. En effet, sous prétexte qu'il n'était pas marxiste, on nous l'a présenté comme un ennemi acharné du marxisme, comme un socialiste "national" et, selon qu'il s'agissait d'Alger ou de Paris, comme un socialiste d'union sacrée ou de "collaboration" : un Jouhaux ou un Henriot, voilà comme ils nous ont montré Jaurès !

    Mais la classe ouvrière sait faire la différence entre le bureaucrate parvenu et traître à sa classe, ou le démagogue grassement payé par la bourgeoisie, et le grand tribun socialiste au caractère noble et généreux.

    Par ses origines sociales, par son éducation, par sa formation intellectuelle et morale, Jaurès était un intellectuel bourgeois. Mais sa probité intellectuelle ainsi que des connaissances historiques et philosophiques étendues et un sincère dévouement au bien de l'humanité, l'amenèrent à se ranger aux côtés de la classe ouvrière dans sa lutte pour le socialisme : car il avait compris que l'émancipation du prolétariat sera celle de l'humanité toute entière. En raison du caractère politique de son époque (lutte parlementaire pour des réformes), il n'avait pas saisi la nécessité du marxisme comme arme théorique indispensable dans la lutte pour le socialisme ; il croyait que la marche de l'humanité vers le socialisme pourrait se réaliser progressivement et pacifiquement par la lutte des classes sur le terrain du parlementarisme démocratique.

    Pourtant il connaissait et avait assimilé d'importants aspects du marxisme : son oeuvre historique a beaucoup contribué et contribuera encore à l'éducation du prolétariat révolutionnaire. De plus, son courage et sa fermeté de caractère le portèrent toujours à prendre, en toutes circonstances, la défense des socialistes marxistes contre la bourgeoisie : les divergences d'opinion dans le camp ouvrier ne lui servirent jamais de prétexte pour soutenir le camp bourgeois.

    De tout son être et par toute son oeuvre politique il appartenait à la classe ouvrière, et ce, bien plus que certains "marxistes orthodoxes" qui ne soutinrent la lutte révolutionnaire de classe qu'aussi longtemps que celle-ci se présentât comme une perspective lointaine et qui, au moment de la crise décisive de juillet-août 1914, désertèrent le marxisme et le prolétariat et préférèrent prendre place dans les fauteuils ministériels plutôt que de payer de leur personne leur attachement à la cause socialiste.

    Jaurès au contraire entendit, en juillet 1914, rester fidèle "au traité qui le liait à la race humaine" et décida de "continuer sa campagne contre la guerre " en dépit des menaces de mort.

    Dans les conditions politiques du parlementarisme d'avant 1914, la classe ouvrière française, avec ses qualités et ses défauts, ne pouvait trouver de meilleur représentant de sa mentalité et de ses aspirations que Jaurès. De tous les chefs socialistes, il était le seul pour qui le socialisme fût autre chose que des phrases, et qui n'entendait pas le trahir : c'est pourquoi il fut assassiné.

    Et si la bourgeoisie essaie aujourd'hui, trente ans après l'avoir tué, d'utiliser sa mémoire en l'avilissant, cela ne doit pas nous étonner : n'ayant à son service que "les loups, les cochons et les sales chiens de la vieille société" (Marx), elle est bien obligée, quand elle veut cacher sa bestialité derrière une figure humaine et désintéressée, de la prendre dans le camp du prolétariat !

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 L E S   A R T I S A N S   DE   LA
G U E R R E   P E R M A N E N T E

    Tandis que les efforts de Hitler pour étouffer, par des mesures draconiennes, la crise intérieure qui s'est ouverte en Allemagne par l'attentat du 20 juillet sont contrecarrés par la tournure de plus en plus catastrophique que prennent les événements militaires et diplomatiques (l'Armé Rouge à Varsovie et à la frontière allemande, percée alliée vers la Bretagne et isolement progressif de l'Allemagne par la défection des petits pays), les alliés viennent de dévoiler la nature de leurs projets pour la "réorganisation" de l'Europe.

    Au moment où s'écroule l'ordre nouveau super-versaillais qu'Hitler avait imposé à l'Europe comme solution des problèmes territoriaux issus du traité de Versailles et qui furent à l'origine de cette guerre, les alliés reprennent à leur compte la vieille politique de partage du Continent dans la chair vive des peuples, suivant leurs intérêts militaires, politiques et économiques.

    En vue de consacrer "définitivement" la défaite de l'Allemagne et de reconstruire une Pologne, ils projettent de reculer la frontière polonaise de l'Ouest jusqu'à l'Oder, c'est-à-dire à 80 km de Berlin !

    Mais chacun sait que les mêmes causes produisent les mêmes effets : et Churchill lui-même a rappelé à Hitler dans son dernier discours cette formule de Trotsky, selon laquelle "le destin d'une grande nation n'a jamais pu être réglé à l'aide d'un appareil technique".

    De même que les conquêtes qu'Hitler s'est assuré par la force en juin 1940 ne correspondent plus aujourd'hui aux changements qui se sont produits dans le rapport des forces et deviennent la cause de sa chute, de même la Pologne arriérée ne pourra pas opprimer longtemps toute une partie du peuple allemand qui lui est culturellement et techniquement supérieur ; un nouveau découpage de l'Europe ne tardera pas à devenir nécessaire, et de même que le traité de Versailles fut la source de la présente guerre, le prochain super-Versailles allié sera la source de la prochaine guerre mondiale, si le nouveau repartage impérialiste du monde n'est pas empêché à temps par la révolution.
 

    "POUR PREPARER LA REVOLUTION IL FAUT DRESSER IRREDUCTIBLEMENT LES OUVRIERS ET LES PEUPLES OPPRIMES CONTRE LA BOURGEOISIE IMPERIALISTE, ET LES ENROLER DANS UNE SEULE ARMEE REVOLUTIONNAIRE INTERNATIONALE. A CETTE GRANDE OEUVRE LIBERATRICE, LA QUATRIEME INTERNATIONALE EST, A L'HEURE ACTUELLE, LA SEULE A TRAVAILLER. C'EST CE QUI LUI DONNE DROIT A LA HAINE DES FASCISTES, DES "DEMOCRATIES" IMPERIALISTES, DES SOCIAL-PATRIOTES ET DES LARBINS DU KREMLIN. CETTE HAINE EST LE PLUS SUR INDICE QUE SOUS SON DRAPEAU SE REUNIRONT TOUS LES OPPRIMES." (L. TROTSKY)
 

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"P L A N S"   D' A P R E S - G U E R R E

    Une nouvelle conférence économique et monétaire, après tant d'autres, vient d'avoir lieu en Amérique à Bretton Woods. Son but avoué est d'empêcher l'inflation et les perturbations économiques d'après-guerre.

    Après la guerre de 1914, les classes dirigeantes de tous les pays se trouvant devant des pays considérablement appauvris, endettés jusqu'au cou et dont le système économique était dangereusement ébranlé, s'appliquèrent, d'une part, à réprimer toutes les tentatives de la classe ouvrière pour s'emparer de la direction de l'économie, et d'autre part, à réunir des conférences et à établir des plans pour l'assainissement de l'économie. Ces conférences siégèrent successivement pendant des mois, réunirent des dizaines de délégations, coûtèrent des millions, amoncelèrent des tonnes de dossiers et de projets. Mais tout le monde sait qu'elles n'écartèrent pas les crises et l'inflation qui allaient leur train.

    Cependant, après la guerre de 1914, certaines parmi toutes ces conférences sans lendemain eurent un caractère plus sérieux : ainsi par exemple les plans Dawes et Young, concernant les dettes de guerre des pays européens vis-à-vis de l'Amérique. La guerre ayant changé le rapport de forces entre capitalistes, en faveur de l'Amérique, ces "plans" établissaient la façon selon laquelle l'économie européenne devait être inféodée aux trusts américains. Le plan de Bretton Woods est un plan de ce genre. Mais instruit par l'expérience de l'autre guerre, le capitalisme américain prend certaines précautions supplémentaires. Une caisse de "stabilisation", avec les fonds de divers pays, est constituée pour garantir les emprunts et les crédits accordés par les Etats-Unis, de même que pour assurer à ceux-ci le contrôle de tout le commerce international, l'Amérique étant la principale participante à cette caisse-trust.

    Ainsi se trouve à nouveau démontré que les seuls "plans" réalisables en régime capitaliste ne sont pas ceux qui mènent à une entente entre les pays, mais ceux qui consacrent, à l'issue de luttes acharnées, la domination de certains groupes capitalistes sur d'autres.

    Mais même cette situation ne mène pas à une stabilisation. Le régime capitaliste ne sort pas de ses contradictions. Déjà, après l'autre guerre, L. Trotsky écrivait : "si l'Europe souffre de l'anémie, les Etats-Unis ne souffrent pas moins de congestion... La puissance productrice de l'Amérique a grandi immensément, mais le marché a cessé d'exister, l'Europe s'étant appauvrie et n'étant plus en mesure d'acheter des marchandises américaines".

    D'autre part, les autres Etats capitalistes ne peuvent pas renoncer à lutter entre eux pour changer le rapport de forces existant et l'améliorer en leur faveur, ou pour se soustraire à la tutelle écrasante d'un capitalisme plus fort. La guerre des tarifs douaniers, la guerre économique, le blocus, et la guerre tout court n'ont pas de trêve.

    Toute entente entre nations est-elle donc impossible, tout plan pour la répartition des forces de travail et des ressources économiques entre les travailleurs est-il exclu ? Certes non !
La première condition de la PLANIFICATION DE L'ECONOMIE est le RETOUR DES MOYENS DE PRODUCTION (usines, mines, etc..) DES MAINS DES CAPITALISTES PRIVES AUX MAINS DE LA CLASSE OUVRIERE, l'abolition de la propriété privée et du profit capitalistes qui engendrent la lutte de tous contre tous et l'anarchie économique. Cette révolution dans les rapports de production entraînera aussi l'abolition des frontières "nationales" (barrières politiques et économiques), autre obstacle au développement des forces productives à la mesure des besoins de la société. Dans le cadre des Etats-Unis Socialistes d'Europe et du Monde, l'économie planifiée rendra impossibles les guerres et l'exploitation de l'homme par l'homme.