retour accueil | retour chronologie | retour
chronologie 1945 |
|
N° 43 | -3° année- |
30 Janvier 1945. |
UN C.C. D'UNION SACREE. Car ces illusions créent des difficultés au gouvernement qui, tout en prétendant mener à l'extérieur une guerre antifasciste, mène à l'intérieur une action tout à fait anti-démocratique. Il exige des chefs staliniens un soutien sans conditions (c'est-à-dire une capitulation complète). Ceux-ci, en soutenant la guerre du gouvernement, ne peuvent pas ne pas se soumettre à toutes ses exigences. C'est pourquoi Thorez ne pouvait pas parler autrement qu'il l'a fait. En 1937, répondant aux staliniens qui préparaient alors leur union sacrée pour la présente guerre, sous prétexte de défendre la "démocratie" contre le fascisme en régime capitaliste, Trotsky avertissait : "une victoire de la France... sur l'Allemagne... pourrait signifier... la transformation de la France en un Etat fasciste, parce que pour être victorieux d'Hitler il est nécessaire d'avoir une machine militaire monstrueuse et les tendances fascistes en France sont maintenant puissantes. Une victoire pourrait signifier la destruction du fascisme en Allemagne et l'établissement du fascisme en France". "Tout pour la guerre", lançait l'autre jour Thorez, et il ajoutait comme conclusion absolument nécessaire : "la sécurité publique doit être assurée par les forces régulières de police constituées à cet effet. Les gardes civiques et d'une façon générale, tous les groupes armés irréguliers, ne doivent pas être maintenus plus longtemps". C'est la condamnation par le res-ponsable du Parti, des groupements formés sous l'occupation et qui, dans l'esprit des travailleurs, devaient précisément non seulement vaincre l'occupant, mais surtout, par leur structure démocratique, émanciper le peuple des vieilles puissances d'oppression qui seules ont provoqué les malheurs qui se sont abattus sur la France depuis 1939. C'est la condamnation de ces milices dont le désarmement, il y a quelques semaines seulement, avait été qualifié par Duclos (autre "grand" camarade du PC) de "coup de force gouvernemental". Et cette police chargée de la "sécurité publique" c'est toujours celle qu'à plusieurs reprises l'Humanité elle-même a déjà dénoncée comme étant composée pour 95% d'éléments vichyssois, c'est-à-dire réactionnaires et pro-fascistes. Répétant De Gaulle, Thorez dit : "Nous ne manquons pas d'officiers de valeur, y compris ceux qui ont pu se laisser abuser un certain temps par Pétain". Quelques jours après ce discours, la direction des FFI auprès du Ministère de la Guerre est congédiée... Pourquoi l'Humanité s'indigne-t-elle ? Ainsi cette guerre soi-disant démocratique à l'extérieur, se traduit à l'intérieur par l'abandon de tout le pouvoir au vieil Etat oppresseur, l'Etat des 200 familles qui se sert de Thorez pour paralyser les masses au nom de la "défense nationale". On comprend donc que "les journaux de diverses nuances louent volontiers la sagesse, le sens politique... du porte-parole du PC" comme dit Cachin dans l'Huma du 25/1 ; seulement le journal qui manifeste le plus son accord avec Thorez, c'est Le Monde, justement dénoncé par l'Huma comme la reconstitution du Temps, organe du Comité des Forges. On a les amis que l'on mérite ! Cette promesse électorale du verre de vin pour tous relève de la plus basse démagogie. Car tous les politiciens promettent le bonheur au peuple ; mais par quels moyens, par quelles mesures précises l'obtenir ? Thorez condamne la révolution. Mais que préconise-t-il ? "La confiscation des biens des traîtres". Mais ce n'est là qu'une phrase démagogique, parce qu'adressée au gouvernement de la bourgeoisie ; de même que la "punition des coupables". Même si cette mesure était appliquée (mais elle ne peut pas l'être), elle ne changerait en rien l'état des choses. Le peuple a été marchandé, exploité, saigné pendant cinq ans par toute la bourgeoisie, sous Daladier, sous l'occupation et maintenant. Sans l'expropriation de celle-ci, les bébés continueront à mourir de froid dans les maternités... Thorez s'élève contre "ceux qui ont constamment à la bouche le mot de révolution". C'est ce que les socialistes de trahison (de la IIe Internationale) reprochaient précisément aux communistes après la scission de Tours en 1921. Mais peut-être Thorez, plus heureux que ses prédécesseurs, serait-il en train d'obtenir des réformes améliorant le sort des masses dans le cadre du régime capitaliste, réformes que les excès révolutionnaires (de langage !) risqueraient de mettre en danger ? Pas plus que les socialistes de trahison de la IIe Internationale, Thorez n'a le moindre programme de réformes pour améliorer la situation des classes laborieuses en face d'une bourgeoisie gorgée de profits. Pour son malheur, ce sont au contraire les révolutionnaires qui, en même temps qu'ils expliquent inlassablement aux travailleurs que sans révolution ils sont voués à l'écrasement complet par les capitalistes, défendent aussi inlassablement les travailleurs sur le terrain économique à l'usine (en opposant au "travailler d'abord, revendiquer ensuite" des chefs staliniens la lutte pour l'augmentation des salaires, la réglementation de la journée de travail, le contrôle ouvrier, etc.) et luttent pour les droits démocratiques les plus élémentaires (droits politiques pour le soldat, liberté de la presse par la suppression de l'autorisation préalable, la répartition du papier à chaque groupe de citoyens constitué, etc.)... Contrairement à ce qu'affirme Thorez, seule la lutte révolutionnaire peut produire des résultats pratiques, même partiels. Comme les socialistes-jaunes, Thorez s'élève contre la Révolution pour masquer l'appui total qu'il donne aux capitalistes. Les directives de Thorez ont produit dans la masse communiste (militants, jeunesses, sympathisants) des réactions dont la moindre est "l'étonnement". Mais il n'y a rien d'étonnant dans la politique de Thorez. C'est au contraire la seule attitude logique, car qui veut la fin veut les moyens. Si on prêche la guerre sous la domination des 200 familles, il faut leur donner l'assurance qu'il ne sera pas touché à leurs privilèges. Les 200 familles ne se contentent pas d'assurances verbales : il leur faut la certitude matérielle, la disposition à l'intérieur d'instruments qui garantissent leur domination, la police, l'administration, etc. Thorez reconnaît dans son discours (il ne peut faire autrement) que le maître du pays ce sont les Bureaux ("les bureaux ! Ce n'est pas seulement le sommet de la hiérarchie administrative. C'est aussi et surtout la mainmise de certains cercles privilégiés sur les leviers de commande"). Il ajoute cependant que personne, même pas les Comités de Libération, ne doit s'immiscer dans leur sphère d'action. C'est seulement à ce prix que la bourgeoisie consent à l'union sacrée, c'est-à-dire accepte les services des bureaucrates ouvriers pour la défense de ses coffres-forts. Ces bureaucrates savent que la bourgeoisie tôt ou tard se débarrassera d'eux. Mais que faire ? On ne peut pas à l'infini faire semblant d'avoir une politique révolutionnaire tout en freinant la révolution. Car à la longue les masses passeraient outre et les bureaucrates seraient débordés. Or la révolution signifie pour eux la perte de leurs positions dirigeantes, car, engraissés, stylés, pommadés, dressés, ils sont à mille lieues de la mentalité des masses et seraient rejetés par leur mouvement déferlant pour construire un monde nouveau. L'union sa-crée assure aux bureaucrates des postes ministériels et politiques dans l'appareil de la bourgeoisie et ils espèrent durer aussi longtemps que la patience des masses supportera le régime d'exploitation capitaliste ; ces bureaucrates infatués sont convaincus, dans leur haute sagesse, que "le peuple est bête" et qu'il patientera longtemps, pour leur plus grand bonheur à eux.
Mais les masses comprennent
maintenant très rapidement la situation. Elles ont la terrible
expérience
de cinq années de guerre. La nouvelle union sacrée ne les
enchaîne plus sans résistance au service de la
bourgeoisie.
L'appel aux sacrifices de la part de bureaucrates chauffés qui
donnent
en exemple Léningrad (Léningrad où en 1917 les
ouvriers
ont renversé les capitalistes!), les laisse complètement
froids, si on peut s'exprimer ainsi. Les masses sont prêtes
à
répondre à l'appel de défenseurs hardis,
révolutionnaires,
capables de les guider effectivement dans la situation terrible
où
elles se trouvent et de trouver une issue. Ces défenseurs, les
révolutionnaires,
augmentent tous les jours en nombre. Car la lutte des militants de la
IVe
Internationale pour rassembler en un Parti capable de conduire les
travailleurs
vers la li-bération de classe, rencontre un grand écho
dans
la masse communiste trahie par ses chefs bureaucrates. C'est pourquoi
Marty
met en garde le Parti contre "les infiltrations idéologiques
ennemies".
Mais quelle idéologie peut s'infiltrer et trouver accès
auprès
des militants communistes, sinon le trotskysme, car le trotskysme c'est
le communisme véritable. Et dans le PCF d'union sacrée,
le
communisme ne s'est pas encore effacé du coeur de tous les
militants.
Si des chefs à la Cachin, qui d'ailleurs continue sa besogne de
14-18, n'ont plus de communiste que le nom, la masse du Parti, les
militants
de base restent communistes. Voilà pourquoi les chefs staliniens
sont obligés de lutter constamment contre les "infiltrations"
idéologiques,
c'est-à-dire le communisme des militants de base du PCF.
Effrayés
par cet état d'esprit, les chefs staliniens utilisent dans la
lutte
contre le trotskysme, c'est-à-dire le communisme, toutes les
méthodes,
qui commencent à la calomnie et finissent par le crime. Et
pourtant
les chefs de l'union sacrée n'arrêteront pas pour cela
leur
chute. Maintenant que la roue de l'histoire tourne autrement,
maintenant
que la conscience révolutionnaire des militants honnêtes
et
des masses se développe à un rythme
accéléré,
ces méthodes ne feront que précipiter leur chute. Le plus important c'est de comprendre les rapports objectifs qui existent entre la lutte révolutionnaire des travailleurs et les intérêts des autres couches exploitées et opprimées de la population. Quand le prolétariat soutient les autres couches exploitées contre leurs exploiteurs, ce n'est pas là de sa part une "ruse" destinée à se faire des alliés temporaires pour mettre la main sur le pouvoir et le concentrer définitivement entre ses mains vis-à-vis d'elles ; la dictature du prolétariat ne peut pas représenter un nouveau pouvoir oppresseur. Le soutien par le prolétariat des autres exploités (quelle que soit la forme de cette exploitation), découle tout naturellement de la nature des intérêts de la classe ouvrière elle-même. Celle-ci ne peut pas lutter contre sa propre exploitation sans affranchir en même temps à tout jamais l'humanité entière de toute exploitation et de toute oppression. La classe ouvrière ne lutte pas pour s'emparer pour elle seulement des moyens de production et donc exploiter par ce moyen la société. En luttant pour l'expropriation de la bourgeoisie, elle n'arrache les moyens de production à celle-ci que pour effectuer leur retour à la société entière. La dictature du prolétariat n'est qu'une forme politique de lutte contre la bourgeoisie dépossédée, c'est un organe de la majorité des travailleurs contre la minorité d'exploiteurs, c'est un organe qui se dissout de lui-même au fur et à mesure que la société devient harmonieuse par la disparition des classes.
Luttant pour leurs revendications,
les travailleurs s'affirment donc tout naturellement les champions de
tous
les exploités et opprimés. C'est eux qui
représentent
la nation en face d'une minorité de rapaces exploiteurs, si par
nation l'on entend les travailleurs des villes et des campagnes sans le
sommet exploiteur. Mais le prolétariat à notre
époque
impérialiste ne peut pas faire prévaloir effectivement
les
intérêts de la véritable nation travailleuse dans
le
cadre des frontières capitalistes. Ce n'est que par le
renversement
de la bourgeoisie dans tous les pays, par les Etats-Unis
Socialistes
du Monde, que pourront être émancipés les
exploités
de chaque pays, donc de France. Voilà le point fondamental du
programme
politique de la classe ouvrière. Dans la pratique bien entendu,
ce point du programme ne sera que l'aboutissement final de
toute
une série d'objectifs économiques et politiques
TRANSITOIRES.
Ceux-ci exigeront : l'abolition
du secret commercial (qui constitue le droit divin du patron) et le
contrôle ouvrier sur l'industrie dans le but de comprendre
d'où
viennent les maux qui accablent les travailleurs et que les
capitalistes
attribuent à la pluie et au beau temps. La confiscation de tous les bénéfices de guerre, l'expropriation des banques et l'étatisation du système de crédit. Les opérations financières du gouvernement tombent lourdement sur toutes les couches pauvres (avant tout sur les petits rentiers) ; la confiscation des bénéfices de guerre résoudrait les difficultés financières sans accabler la population laborieuse. La petite bourgeoisie, c'est-à-dire les petites gens des villes et les paysans, est aussi immédiatement intéressée à ces mesures. Enfin les paysans ne seraient plus les éternelles victimes des banques et des spéculateurs de la Bourse. L'alliance entre la ville et la campagne deviendra possible par la suppression des intermédiaires capitalistes qui grugent les paysans et affament les villes. L'échange direct entre les travailleurs producteurs de produits industriels et les paysans rendra la prospérité aux uns comme aux autres, par le soutien des paysans pauvres (crédit à bon marché), l'abolition des hypothèques qui ont remis aux banques la propriété des paysans, le soutien d'un programme de revendications pour les prolétaires agricoles. Pour mobiliser les femmes et la jeunesse travailleuses, il faut exiger : A travail égal, salaire égal ! Droits politiques intégraux pour les femmes, les jeunes et les soldats ! Soutien des travailleurs immigrés et coloniaux, en premier lieu par la revendication du Statut légal. Droits démocratiques élémentaires pour tous, comme le droit de grève, d'association, d'expression. Liberté de la presse par la suppression de l'autorisation préalable, de la censure, du monopole des trusts et la répartition proportionnelle du papier par chaque groupe de citoyens constitué. Ces revendications permettront la mobilisation de toutes les couches exploitées et opprimées autour du prolétariat ; mais elle se heurtera à la résistance du pouvoir de la bourgeoisie, c'est-à-dire de son Etat. Pour lutter contre cet Etat, les révolutionnaires appelleront les masses en lutte à créer leurs propres organes du pouvoir, les Conseils ; par les Milices ouvrières et l'armement du prolétariat, ils lutteront pour le Gouvernement ouvrier et paysan, expression directe et exclusive de ces Conseils. L'ancien appareil étatique de la bourgeoisie ne peut pas être utilisé par les travailleurs. La destruction de la police, de la bureaucratie, etc., organes de la bourgeoisie qui écrase les masses, enlèvera à celle-ci ses moyens de domination politique. Ce programme est-il possible ? demandera le sceptique. N'est-il pas trop radical ? Ne pourrait-on se contenter de solutions plus "raisonnables" ? Par ces questions, le sceptique (imbu d'esprit petit-bourgeois) montre qu'il n'a rien compris à notre époque qui est celle des monopoles capitalistes, de l'impérialisme économique. Il faut évidemment une grande énergie révolutionnaire aux masses pour que la réalisation d'un tel programme soit possible. Et les sceptiques voient seulement que les 9/10° du temps les masses ne déploient pas d'énergie révolutionnaire. Mais c'est seulement parce que la révolution est l'aboutissement historique d'une foule de processus cachés en temps "normal", "pacifique".
La guerre impérialiste
a mené la société à un point où il
n'est
plus possible de vivre comme par le passé. Les masses sont de
plus
en plus contraintes par la situation objective de trouver en elles
l'énergie
nécessaire pour se mettre en mouvement. Si les
révolutionnaires
ont "tort" les 9/10° du temps, c'est seulement pour avoir raison au
moment de la révolution. Celle-ci développe son rythme
impétueux
en un temps relativement court. Mais cette période suffit pour
émanciper
à tout jamais l'humanité entière.
Voilà
pourquoi travailler minutieusement et attendre patiemment son heure
sont
les qualités les plus précieuses d'un
révolution-naire.
Voilà pourquoi aussi, quand la révolution
prolétarienne
en France les appellera à l'action directe, les partisans de la
IVe Internationale seront armés de pied en cap
idéologi-quement
et matériellement pour vaincre l'ennemi capitaliste.
|