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chronologie 1946 |
POURQUOI
NOS CAMARADES DE LA PRESSE SONT EN GREVE, (29 janvier
1946) Depuis vendredi
dernier, les ouvriers de
la Presse sont en grève. Pour déconsidérer leur
mouvement aux yeux de la
population, le Gouvernement déverse par radio sur leur compte
les calomnies les
plus grossières. Il importe donc de rétablir les faits. Les ouvriers de
la Presse avaient,
avant-guerre, une situation privilégiée. Grâce
à leur cohésion syndicale, ils
avaient obtenu une convention collective très avantageuse:
salaires élevés,
semaine de 35 à 40 heures et surtout l'échelle mobile des
salaires qui
permettait de réajuster automatiquement ces derniers au fur et
à mesure de la
montée du coût de la vie. Pendant l'occupation, ils ont
réussi à maintenir
leurs avantages, mais depuis août 44, la politique de blocage des
salaires les
leur a fait perdre peu à peu. Aujourd'hui, ils gagnent de 35 fr.
65 à 46 fr. 55
de l'heure. Dans certains cas, l'horaire de travail dépasse 40
heures. En octobre
dernier, le gouvernement a
accordé une augmentation de 25% uniquement aux typographes
faisant un service
de nuit. Dans les faits, cette augmentation se trouve ramenée
à 9% à peine. Les ouvriers
des autres catégories
engagèrent, à leur tour, des pourparlers par
l'intermédiaire de leur syndicat.
Leur revendication principale est le RETOUR L'ÉCHELLE M0BILE DES
SALAIRES. La
Fédération de la Presse, forte de l'appui gouvernemental,
s'est refusée à
céder. Devant une
telle situation, les ouvriers
réclamèrent une Assemblée générale
du Syndicat qui ne fut jamais convoquée par
les bonzes, malgré les pressions de la base. Vendredi
dernier 25 janvier, il y eut une
Assemblée des délégués. Ces derniers
avaient reçu, dans la grosse majorité des
entreprises, mandat de voter la grève. Un premier vote à
main levée eut lieu
qui décida la grève. Mais au moment de passer à la
désignation du Comité de
grève, les bonzes ont protesté et réclamé
le vote au scrutin. Un seul délégué
par entreprise eut droit au vote. Les grosses entreprises se trouvaient
désavantagées et la grève fut repoussée par
35 voix contre 31, à la suite de ce
boycottage. Les bonzes décidèrent de reprendre les
pourparlers avec le Ministre
de l'Information, mais comme on ignorait qui serait nommé, ils
déclarèrent
qu'il fallait attendre. Quand ces faits
leur furent rapportés, les
ouvriers décidèrent "qu'ils en avaient assez et ne
travaillaient
pas". Les dirigeants furent mis devant le fait accompli. "ILS
ÉTAIENT
DÉBORDÉS ET POUR NE PAS ÊTRE DÉPASSÉS
PAR LE MOUVEMENT, ILS EN PRIRENT LA
TÊTE." Le
Comité de grève, composé de bonzes
opposés à la grève, engagea des pourparlers avec
le Ministre Deffeire, et une
Assemblée générale fut enfin convoquée pour
décider de la continuation de la
grève, Assemblée à laquelle le Ministre devait
prendre la parole pour expliquer
"honnêtement" la situation. L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
DU MARDI 28 JANVIER
Dès le début la salle est houleuse. Des cris
« vote »,
"Nous n'avons que faire de discours" fusent de toute part. Le
Ministre se faisant attendre, le secrétaire BOSIGNAN,
défenseur du valet de
plume Luchaire, prend la parole au nom du Comité de grève. "Camarades,
vous n'avez pas respecté les décisions prises,
vous vous êtes mis en grève contre notre volonté,
vous n'avez pas respecté la
démocratie syndicale..." Il est interrompu par les cris: "C'est
vous
qui n'avez pas respecté la démocratie. Nous vous avions
donné mandat de voter
la grève. Vous nous avez trahis..." Il explique que
"la situation est
terrible... Nous allons connaître avant un mois la situation de
l'Allemagne en
1923... L'inflation nous guette. À l'étranger on ne veut
plus rien nous vendre
parce qu'on n'a plus aucune confiance en notre monnaie... Camarades, il
faut
reprendre le travail..." Son discours
est haché de cris,
d'interpellations: "Si le gouvernement est dans cette situation, le
prolétariat n'y est pour rien... Nous ne devons pas crever parce
que ces
messieurs ne s'en sortent pas... L'inflation vient de toute
façon... C'est
toujours à nous qu'on demande des sacrifices... Que les patrons
sacrifient un
peu leurs bénéfices... La situation ne sera pas plus
terrible parce que les
marchands de papier gagneront un peu moins..." Quand il
annonce que le
"Gouvernement, loin d'accorder des augmentations allait BLOQUER PLUS
ÉNERGIQUEMENT LES SALAIRES ET LES PRIX", ses paroles sont
couvertes par
les huées générales de la salle: "Et les
transports, et le charbon,
sont-ils bloqués?... Les salaires oui, mais les prix montent
toujours...
Échelle mobile!..." Nouvel
argument: "Camarades, nous
vous avons demandé de reprendre le travail, nous continuerons la
grève sous une
autre forme." Rire général. "Laquelle? dis-nous,
laquelle?!..." Enfin,
l'argument sentimental:
"Camarades, le gouvernement se présente aujourd'hui devant
l'Assemblée, on
ne peut pas laisser le pays sans information..." - "On s'en fout,
nous ne voulons pas crever; qu'ils se débrouillent tout seuls." De nombreux
ouvriers viennent alors à la
tribune pour expliquer que le prolétariat ne doit compter que
sur lui-même.
"Il faut reprendre nos vieilles traditions de lutte, camarades,
disent-ils. Nous avons la leçon des grèves du
passé... Assez de parlottes, à
l'action... Si on nous réquisitionne, on verra bien ...
Souvenez-vous de la
grève des cheminots... S'il faut tenir six mois, nous tiendrons
six mois ... Il
faut étendre la grève non seulement à toute la
corporation, mais à tout le
pays... Grève générale!..." BOSIGNAN
revient alors déclarer que
"M. le Ministre, sur l'invitation de tous les membres du gouvernement,
avait décidé de ne pas venir." Il essaie encore de faire
reprendre le
travail, mais est obligé, sous les huées, de quitter la
tribune. Deux membres du
Comité de grève viennent
alors expliquer que devant une telle attitude du gouvernement, ils
voteront
aussi pour la grève. Le vote a lieu. La grève est
décidée par 1.216 voix contre
400. Les bonzes manœuvrent alors pour faire confirmer leur mandat au
Comité de
grève. Les ouvriers, indécis, devant leur promesse de la
mener à bien et de
respecter la démocratie, leur confirment cependant ce mandat.
Mais il restent
méfiants et exigent la prise de mesures immédiates:
diffusion de tracts,
extension de la grève aux typographes et aux imprimeurs sur
machines plates
(appartenant au même syndicat), appel aux autres syndicats de la
presse. Devant
leur manifestation d'impuissance, un ouvrier leur rappelle que les
syndicats de
la radio, de Hachette, et de tous les journaux, SAUF
"L'HUMANITÉ" et
"CE SOIR- (!!!) ont voté la
grève
de solidarité et attendent leur appel. Mis au pied du mur, les
bonzes
PROMETTFNT de faire le nécessaire. CAMARADES, Après
les ouvriers du Livre, les fonctionnaires, les grèves
déclenchées par le rétablissement de la carte de
pain, ceux de la presse nous
montrent la voie à suivre et nous prouvent que par notre
combativité, nous
pouvons pousser nos dirigeants syndicaux à l'action. IL FAUT SE
SOLIDARISER
AVEC NOS CAMARADES DE LA PRESSE, ET ÊTRE PRÊTS,
ÉVENTUELLEMENT, SI LE
GOUVERNEMENT NE VEUT PAS CÉDER, PARTICIPER À UN VASTE
MOUVEMENT DE SOLIDARITÉ
GRÉVISTE. |