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chronologie 1947 |
N° 31 |
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21 JANVIER 1948
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Rendez-vous de 18h à 20h :
café-tabac «Le
Terminus» angle r. Collas av. Edouard Vaillant. M° Pont-de Sèvres |
"Les pays de l'Europe
occidentale
retrouveront vers 1952 leur niveau de vie d'avant-guerre grâce au
plan Marshall". Tel est le slogan officiel propagé et
inculqué
actuellement au "citoyen moyen", par tous les organismes de propagande
liés aux capitalistes, la presse, la radio, les associations
culturelles
ou économiques, etc. Pendant la guerre, il fallait attendre la
"victoire"
des alliés pour retrouver le pain blanc, mais une fois
l'Allemagne
et le Japon hors de combat, les travailleurs durent se contenter des
mêmes
rations que pendant la guerre. Et quand, trompés dans leur
attente,
ils firent mine d'exiger, par une action de classe, quelque chose,
aussitôt
la bourgeoisie leur répliqua d'un ton à faire rougir de
honte
un écolier : "Voyons, on ne revendique pas dans un pays
détruit.
Il faut d'abord revenir au niveau de production de 1938, et seulement
ainsi
vous retrouverez, vous aussi, votre niveau de vie d'alors. Produire
d'abord,
revendiquer ensuite, voilà la vraie science économique,
voilà
le salut. Patientez et travaillez." Il est vrai que ce langage ne
réussit
à la bourgeoisie que parce que, dans les usines et dans les
meetings
ouvriers, ce furent les représentants des partis, soi-disant
ouvriers
(parce qu'affublés d'une étiquette socialiste ou
communiste
ou C.G.T.) qui le reprirent à leur compte.
Cependant, l'indice de
production de 1938 fut atteint et même dépassé, et
qu'en est-il résulté pour les travailleurs ? Rien, ou
plutôt
un abaissement du niveau de vie.
Avec le nouveau slogan du meilleur niveau de vie retrouvé en 1952 "grâce au plan Marshall", la bourgeoisie veut une fois de plus enchaîner les ouvriers à la galère capitaliste, pour qu'ils travaillent sans revendiquer. Après le mirage technique du "plan Monnet", le mirage, plus prosaïque, mais, semble-t-il, plus efficace, du "dollar-roi". Le capitalisme européen est en faillite ? "Le pays-de-la-prospérité" capitaliste, les U.S.A., vont nous sortir de là. Patience, seulement, jusqu'en 1952 ; revendiquer d'ici là, ce ne peut être qu'un "complot" contre le relèvement de la "civilisation occidentale".
Mais les capitalistes
savent que cette fois-ci il ne leur sera plus possible d'éviter
l'opposition ouvrière, qui, en mai 1947, brisa tous les
obstacles
à la fois, pour se manifester en un formidable mouvement
gréviste
! Alors, leur alibi est déjà prêt. L'obstacle au
relèvement
du niveau de vie des ouvriers ce n'est pas la faillite du capitalisme,
malgré tous les "plans" du monde, qu'ils s'appellent "Monnet" ou
"Marshall". Non, voyez-vous, la bourgeoisie joue de malchance. Si le
plan
"technique" Monnet, qui devait soi-disant transformer la France en
grande
puissance industrielle moderne, a échoué faute de
"finances",
le plan financier Marshall lui-même est menacé... par le
sabotage
"communiste".
Quand on sait d'autre
part que le plan Marshall fait ouvertement partie des
préparatifs
diplomatiques et économiques à la troisième guerre
mondiale, la conclusion s'impose d'elle-même. Revendiquer ? Oui, car, revendiquer c'est sauvegarder la classe ouvrière, sauvegarder, par conséquent, l'avenir même de l'humanité qui est directement lié au bien-être matériel et moral des travailleurs. LA
VOIX DES TRAVAILLEURS.
Ceux qui combattaient cette propagande intéressée prévenaient les travailleurs que les capitalistes n'allaient pas les faire produire pour la reconstruction du pays et la reconstitution des biens de consommation. Que, les faisant travailler uniquement pour leurs profits, dans l'anarchie et la spéculation, ils allaient à bref délai rejeter les ouvriers sur le pavé, après les avoir vidés de leur substance, et sans qu'aucune des tâches de la reconstruction ait été accomplie. Et que s'est-il passé, en effet ? Si, grâce au "produire" avec de bas salaires, les capitalistes ont travaillé pour l'exportation et fait tourner ainsi les roues pendant un certain temps, dans le bâtiment le chômage a fait son apparition déjà depuis des mois. Et, aujourd'hui, ce n'est pas seulement dans le bâtiment, c'est dans de nombreuses autres branches que le chômage a commencé à sévir. Les ouvriers licenciés trouvent difficilement un nouvel emploi. Les caisses d'allocation de chômage vont ouvrir leurs guichets. Mais si les ouvriers, déjà en travaillant, touchent des salaires de chômeurs, comment pourraient-ils vivre avec une allocation de chômage ? Si, dans certaines branches, produisant pour le marché intérieur, des licenciements en bloc ont déjà lieu, ailleurs, comme chez Renault, l'ébauche de certaines manoeuvres tend à camoufler, aux yeux des ouvriers, le péril du chômage. Le bruit court que, le mois prochain, 5.000 travailleurs doivent être licenciés, qui seraient pris essentiellement parmi les femmes et les Nord-Africains. La direction pense ainsi, à la faveur de certains préjugés, ne pas susciter la vigilance de tous les ouvriers. Mais, d'une part, les bas salaires actuels font que l'apport du salaire de la femme dans le ménage est indispensable. D'autre part, si les ouvriers ne réagissent pas aujourd'hui contre les licenciements massifs, demain ce sera un jeu d'enfant pour le patron de renvoyer n'importe quelle catégorie d'ouvriers, et même, à un moment donné, de réembaucher à leur place des femmes et des Nord-Africains à meilleur compte. Comment les ouvriers peuvent-ils admettre cette politique de débauchage du patronat, alors que celui-ci, payant leur travail à si bon marché, les fait travailler des semaines de cinquante à soixante heures, les faisant venir à l'usine même les samedis et les dimanches ? Alors que le chômage n'en est encore qu'à ses débuts, il n'y a qu'un moyen d'éviter ses répercussions catastrophiques, c'est que, dès maintenant, les ouvriers empêchent la rupture de se faire entre ceux qui travaillent et ceux qu'on met ou qu'on veut mettre à la porte. Le travail existant doit être réparti entre tous les bras disponibles avec maintien du salaire, cette répartition étant d'autant plus facile que la plupart des ouvriers travaillent aujourd'hui pour des salaires dérisoires, des semaines de cinquante à soixante heures. Les ouvriers et leurs organisations doivent donc s'opposer à tout licenciement, ou alors exiger la payement des ouvriers au chômage à 75 p.100 de leur salaire, comme cela a été appliqué pendant la guerre. On considérait alors que l'ouvrier, se trouvant en chômage pour des faits indépendants de sa volonté, une indemnité lui permettant de vivre devait lui être assurée pendant cette période. Pour les mêmes raisons, et tenant compte des salaires actuels, il est aujourd'hui également exclu d'envisager pour les travailleurs la possibilité de vivre avec une simple allocation de chômage. Si son affaire était venue devant la Cour (ce qui, soit dit entre nous, aurait été bien surprenant), il aurait peut-être invoqué la dureté des temps, la difficulté de faire vivre une famille avec sa malheureuse solde de général. Mais il n'avait pas encore dépensé le magot, ou bien il avait encore des relations suffisamment riches et disposées en sa faveur, ce qui lui a permis de dédommager le Trésor, qui, selon les journaux, va s'empresser de transiger. Voilà pour la justice des riches. Au mois de juin, le S.D.R. n'avait pu présenter de candidats aux élections, réglementées à l'époque par la loi anti-démocratique du 16 avril. (En vertu de cette loi : 1° seules les "organisations représentatives" pouvaient présenter des candidats, et le S.D.R. n'a été légalement reconnu qu'à partir du 10 juillet ; 2° le système de la liste unique pour toute l'usine imposait à certains départements, comme Collas, des délégués non élus (*). La loi Croizat, qui a empêché le S.D.R. d'avoir ses délégués, a considérablement gêné son action durant ces derniers mois. La direction a toujours refusé de recevoir ses représentants, sous prétexte qu'elle n'était obligée de recevoir que les délégués "légalement élus" ; mais elle a tout fait pour interdire au S.D.R. l'accès aux postes de délégués : en refusant, par exemple, les élections partielles, pourtant justifiées. Or, ce qu'on a constamment refusé au S.D.R., il apparaît qu'on ne le refuserait pas à "Force Ouvrière". La démission de certains délégués de la C.G.T., qui passent à Force Ouvrière, doit, paraît-il, provoquer des élections partielles de délégués chez Renault pour le début de février. Que les élections de délégués ouvriers soient ainsi fonction de la volonté patronale, cela déjà est une atteinte à leurs droits. La loi de 1936, issue des conventions collectives, donnait aux ouvriers la possibilité d'élire les délégués de leurs choix, sans limitation sur la "représentativité" : chaque ouvrier, jouissant de la confiance de ses camarades, pouvait se faire élire, indépendamment de son appartenance à une organisation syndicale. La loi Croizat, avec la complicité du patronat, dénaturait celle de 1936, en donnant aux grandes organisations bureaucratiques seules, le droit de présenter des délégués, en excluant la proportionnelle elle assurait en plus le monopole de la C.G.T. Les délégués n'étaient plus responsables envers les ouvriers, mais liés à la bureaucratie qui les avait portés sur la liste, et au patronat complice de cette bureaucratie. La loi Croizat a été ensuite modifiée par le Parlement, seulement dans le sens de la proportionnelle, pour permettre à d'autres organisations, que le patronat jugerait représentatives (C.F.T.C., Force Ouvrière), de faire passer leurs candidats. Or, le problème pour les ouvriers n'est pas d'avoir n'importe quels délégués, et des délégués à tout prix, mais d'imposer au patronat et au gouvernement la libre élection de LEURS délégués. Si les organisations syndicales de l'usine, qui se prétendent ouvrières, veulent prouver que leurs délégués sont liés envers les ouvriers, et non envers le patronat, qu'ils prennent position pour la représentativité intégrale. Tous les ouvriers du rang doivent pouvoir poser leur candidature dans leurs départements, et les délégués élus doivent être révocables par un simple vote local des ouvriers. Quotidiennement se posent en usine une foule de questions sur lesquelles les ouvriers ont besoin d'être représentés et défendus vis-à-vis du patronat (horaires, rendement, paye, hygiène, sécurité, etc.). Les ouvriers ont besoin de délégués qui se sentent liés envers eux et dépendant d'eux, non de "supérieurs". Nous devons donc lutter contre toute loi qui, à l'avance, entrave la liberté des ouvriers dans l'élection de ceux qui ont pour rôle de les défendre contre l'arbitraire patronal de tous les jours. Le S.D.R. posera sa candidature aux élections partielles envisagées, conscient de défendre en toute circonstance les intérêts ouvriers. Mais il ne lutte pas seulement pour son droit de présenter des candidats : il lutte pour la suppression de toutes les restrictions bureaucratiques et patronales aux élections de délégués ouvriers. (*)
Résultats des
élections
de délégués au secteur Collas, en juin : (le
S.D.R.
avait préconisé l'abstention)
Dép. 6 : inscrits, 794. - Abstentions, 372. - Blancs, 44. - C.G.T., 168. - C.F.T.C... 10 Dép. 18 : inscrits, 187. - Abstentions, 142. - Blancs, 10. - C.G.T., 34. 40 x 25
--------- = 10 francs 100 Celui de 50 francs augmentait de 50 x 25
---------- = 12 fr. 50, etc. 100 Cette opération se renouvelant à chaque fois, l'écart entre les différentes catégories s'est agrandi démesurément, à tel point que le salaire d'un manoeuvre ou O.S. est compris de une fois et demi à deux fois dans celui d'un professionnel, de trois à cinq fois dans celui d'un chef - encore classé hiérarchiquement - car il existe une catégorie dite "supérieure et hors cadre", dont les salaires, ou plutôt les émoluments ne sont pas publiés et qui montent au-dessus de 1.000%, soit dix fois le salaire du manoeuvre. Lors du dernier rajustement, le gouvernement a pratiqué différemment : il a augmenté les salaires uniformément, sans utiliser le système du pourcentage. Aussi les organisations C.G.T., C.F.T.C. et C.G.C. ont immédiatement protesté contre "l'écrasement de la hiérarchie", préconisant le retour à l'ancien système. Or, ce "système" n'a rien de bon pour les salariés en général, car il permet au patronat de ne payer que ceux qui lui sont indispensables et difficiles à trouver sur le marché de la main-d'oeuvre, en les classant à un échelon correspondant à un salaire correct. C'est ainsi, par exemple, que les O.S., qui ne manquent pas, reçoivent une aumône comme salaire, que certains P3 sont payés autant et des fois plus que certains ingénieurs, qui se font concurrence sur le marché par leur nombre. Seulement, par rapport au pouvoir d'achat d'avant guerre, il faut être classé pour le moins professionnel pour avoir l'équivalent du manoeuvre de cette époque-là. Pour vivre décemment comme avant guerre, il faut 30.000 francs par mois. Il faut donc être classé avec 38 francs de base hiérarchique à l'échelon 400. Est-ce que ceux qui sont au-dessous de cet échelon doivent crever de faim ? Ce n'est pas lutter pour les salariés que de prêcher le respect d'un système qui lèse la grosse majorité d'entre eux. Car s'il est vrai qu'en régime capitaliste l'argent est le seul dédommagement aux longues années nécessaires pour acquérir une profession, cela ne veut pas dire que ceux qui n'ont pas de qualification doivent trimer gratuitement. L'attitude actuelle du gouvernement prouve que le système de la hiérarchie pourrait, en période de chômage, se retourner contre ceux qui en profitent, car si le nouveau rajustement ne s'est pas fait comme les précédents, c'est tout simplement parce que les patrons ont moins besoin de techniciens, par conséquent veulent moins les payer : la loi s'adapte aux exigences du patronat. Ajoutons que lutter pour le maintien de l'échelle hiérarchique de certains improductifs auxquels le nom de parasites convient mieux, les "nourrissons" grands ou petits, c'est tout simplement anti-ouvrier. C'est pour la simplification de la hiérarchie qu'il faut lutter ; un salaire décent pour le manoeuvre, la suppression des multiples catégories et sous-catégories. Que l'éventail se referme, non en diminuant les salaires les plus forts, mais en augmentant ceux des échelons inférieurs.
Il faut que les
ouvriers
exigent leur dû, c'est-à-dire le paiement immédiat
de l'augmentation des salaires prévue depuis décembre.
Un camarade aux armées nous écrit : Les W.C. (qui s'appellent ici, on ne sait pas pourquoi, les W.C. du génie) ont l'aspect d'une grande baraque en planches pouvant contenir jusqu'à une vingtaine de personnes. Le vent et la pluie y entrent comme à plaisir. Mais cela, c'est un détail. Le plus important, c'est qu'à l'intérieur il n'y a pas de lumière et, comme les rares fenêtres sont plutôt sales, il y règne l'obscurité la plus complète. Le résultat, bien sûr, c'est que les W.C. sont dégoûtants. Aussi parle-t-on d'installer une garde aux "W.C. du génie" afin que soient signalés dorénavant ceux qui feront des saletés. La notice n'a pas précisé si la batterie fournira à l'homme de garde la lampe électrique pour le contrôle. Nous en avons déduit que ce sera encore nous qui devrons la fournir, en plus de la corvée de garde supplémentaire. La clé du bureau du capitaine de la batterie ayant disparu, celui-ci a fait savoir que toute la batterie serait consignée jusqu'à ce que la clé soit retrouvée. Le capitaine jouit d'ailleurs d'une assez mauvaise réputation comme l'atteste son surnom de Raspoutine. La nouvelle a provoqué de bruyantes protestations. Mais c'est un brigadier pince-sans-rire qui a trouvé la combine : il a proposé de faire une collecte parmi nous pour payer une autre clé au capitaine... et de donner surtout des pièces de dix sous. En cinq minutes, la collecte a été faite, l'approbation des gars ayant été unanime. Aussitôt le montant en a été porté au bureau de l'adjudant, avec un rapport signé du brigadier. Résultat : le capitaine a levé la consigne en refusant l'argent, bien entendu. Finalement, il s'est décidé à aller voir seul M. Duten.
C'est aux ouvriers et
non à la direction de décider s'ils doivent ou non se
faire
accompagner de leur délégué. Mais la direction de
la R.N.U.R., qui a l'habitude de s'arranger à "l'amiable" avec
les
délégués en prend à son aise et les
considère
non comme des représentants des ouvriers, mais comme un simple
rouage
de son administration, qu'elle manoeuvre à son gré.
Voilà
le résultat de la collaboration de classes. Lorsqu'au mois de septembre, le Syndicat Démocratique Renault avait demandé à vérifier les factures de la commission des cantines, celle-ci avait refusé, mais avait promis que les ouvriers seraient mis au courant de la gestion des cantines par des réunions d'information du Comité d'Entreprise. Mais ces messieurs se sont bien gardés de tenir leur promesse.
Direction et
Comité
d'Entreprise s'entendent à merveille pour faire crever de faim
les
ouvriers. Et pourtant on sait à quelles difficultés se heurte la ménagère pour confectionner une gamelle. Quant aux ouvriers qui sont obligés de manger à la cantine, à 4 heures de l'après-midi ils meurent littéralement de faim. Qu'est-ce, en effet, qu'un petit morceau de saucisson avec deux cuillerées à soupe de choucroute et deux cuillerées à café de compote. C'est pourtant ce que l'on donne à des ouvriers qui travaillent 10 heures et sont absents de chez eux de 12 à 14 heures par jour. Le nouveau système de paiement de la cantine a provoqué un vif mécontentement parmi les mensuels qui sont les plus touchés par l'augmentation du fait que le prix est établi en fonction du coefficient hiérarchique. Certains ont fait circuler une liste de pétitions qui proteste d'abord contre le fait que "les organisations syndicales C.G.T., C.F.T.C., C.G.C. qui sont incapables de se mettre d'accord lorsqu'il s'agit de défendre les revendications des travailleurs sont unanimes lorsqu'il s'agit de les faire payer" ; ensuite, elle proteste contre le fait que ces décisions sont prises en dehors des intéressés ; elle désapprouve enfin que des organisations qui, en paroles, défendent la hiérarchie des salaires, dans les faits pratiquent son écrasement. La protestation des mensuels est d'autant plus compréhensible que certains vont payer jusqu'à 60 francs un repas au-dessous de tout. La main-d'oeuvre immigrée La direction de chez Renault qui l'an dernier embauchait et avait fait appel à la main-d'oeuvre étrangère : Italiens, Espagnols, s'est vue obligée de construire des baraquements pour que ces ouvriers aient de quoi s'abriter après dix heures de travail, car il était impossible de trouver une chambre d'hôtel. Construits du côté du pont de Sèvres, ces baraquements sont divisés en pièces où cohabitent 4 à 5 ouvriers par pièce. Chacun d'eux a un lit d'une personne (drap et couverture) et une armoire, pour la "modique" somme de 700 fr.
Pour la nourriture :
la
cantine, le midi ; le soir : soit le restaurant, soit par leurs propres
moyens. Que Force Ouvrière n'ait eu aucun succès n'est pas étonnant. Ce n'est pas en appelant la police contre les grévistes que l'on peut espérer se faire passer auprès des ouvriers comme leurs meilleurs défenseurs ! Mais on ne saurait dire que la C.G.T. soit chez Simca plus populaire que Force Ouvrière et plus combative qu'ailleurs. Chaque ouvrier, qui a pu la juger à l'oeuvre durant ces derniers mois, sait qu'il n'est en droit d'attendre d'elle, en guise de politique ouvrière, qu'une carte et un timbre ! Pourquoi donc un tel succès ? Après l'échec de la grève de novembre, et le découragement général des ouvriers, le patron a pensé que le moment était propice pour les dompter. Il avait proposé, pour mieux les endormir, de leur "offrir" des repas à bon compte. Et déjà, il les invitait à un vote pour la réélection des délégués, sûr d'évincer définitivement la C.G.T., et les croyant assaisonnés et fin prêts pour être mangés à la sauce patronale. A tel point qu'il avait inauguré dans l'usine une série de brimades : interdiction aux groupes de discuter sous menace de renvoi, sillonnement constant des gardiens dans les ateliers. On parlait même d'interdire de fumer... Mais pour dompter un fauve il faut beaucoup de patience et de doigté ; plus d'un dompteur a fini les reins brisés. Et le résultat, chez Simca, a été bien inattendu pour le patron : voici que la combativité renaît dans l'usine et qu'il est même question de faire grève. Quant à la C.G.T., si elle remporte la majorité des suffrages, ce n'est pas à la grande joie des ouvriers. Il fut un temps, pendant la guerre, où les ouvriers ne pouvaient trouver sur le marché, pour leur bourse, que du rutabaga et ils devaient à contre-coeur s'en contenter. Si aujourd'hui les ouvriers instruits, par les manoeuvres patronales, de la nécessité de s'organiser, donnent leurs suffrages à la C.G.T., c'est que là aussi, ils doivent sans plaisir se contenter de rutabaga. Les ouvriers ne veulent plus des méthodes antidémocratiques et antiouvrières qui ont fait de la C.G.T. jouhaussiste et frachoniste un appareil bureaucratique au service du patronat. Le patronat n'a pas manqué de chercher à tirer profit de cette conjoncture sur le dos des ouvriers. C'est ainsi que, dans le Livre, à la suite de la révision générale des salaires, un accord de principe étant sur le point d'aboutir entre représentants ouvriers et patronaux, ceux-ci viennent de couper les ponts. Ces messieurs s'imaginent que la crainte du chômage suffira à faire plier les ouvriers devant leurs exigences. Mais, de leur côté, les ouvriers envisagent aussi le moyen de sortir de cette situation avec le minimum de dommages. Et pour cela, ils sont prêts non pas à capituler mais à imposer l'une ou l'autre de ces deux solutions : Ou bien le patron répartit le travail existant entre tous les bras disponibles, avec des salaires normaux,
Ou bien les
chômeurs
seront payés à 75% du salaire normal.
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