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chronologie 1947 |
N°83 Prov. Bimensuel (B.I.) |
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1er FEVRIER 1947
Le N°: 3 francs |
Le 29 janvier, L'Humanité
annonçait par un grand titre en première page qu'à
la tribune de l'Assemblée, "Jacques Duclos, dans un brillant
discours,
a fustigé la réaction". Mais en apprenant aussitôt
après dans l'article que cette "fustigation" visait exactement
douze
députés "opposants", on ne pouvait s'empêcher de
penser
à Don Quichotte prenant d'assaut des outres remplies de vin en
guise
de géants.
Comment ? Cette réaction qui, soutenue par la bourgeoisie, domine actuellement dans toutes les sphères économiques, sociales, administratives, etc., cette réaction qui hier encore, aux élections, groupait LA MAJORITE DES PARTIS dans une majorité parlementaire "anti-marxiste", cette réaction qui, il y a un mois, d'après les leaders du P.C.F., empêchait la formation d'un gouvernement les comprenant, cette réaction ne compterait plus que douze députés dans une Assemblée de six cents ? Pas même tout le P.R.L. ? Cette Assemblée, issue d'élections ayant donné une majorité aux partis "anti-marxistes", se serait-elle transformée, par l'effet de quelque enchanteur, en la plus démocratique du monde ? Où s'est fourrée la majorité anti-marxiste du Parlement pour que le "démocrate-conséquent" Duclos ne puisse plus la voir ? Les représentants des partis réactionnaires de l'Assemblée sont tout simplement au gouvernement, et forment avec M. Thorez une coalition, que Jacques Duclos appelle "de concentration démocratique". Voilà l'explication de tout le mystère ! Ce ne sont pas les réactionnaires qui ont disparu, comme par enchantement, de l'Assemblée, ce sont les Duclos qui sont à tel point "enchantés" de collaborer avec ces mes-sieurs (qu'ils "valent pleinement") que toute l'ombre grise de la réaction parlementaire se teint à leurs yeux du rose de l'aurore démocratique ! En la personne de Jacques Duclos, l'élan chevaleresque du Don Quichotte communiste prenant d'assaut les moulins à vent du capitalisme, a fait place au prosaïque Sancho Pança, dont le "gros bon sens" ne rêvait qu'à un poste de "gouverneur" au service des puissants de son monde. "BARRER LA ROUTE A LA REACTION", c'est, pour les Duclos, partager avec elle des sinécures et des portefeuilles ministériels, être reconnu pour des hommes de confiance des banquiers, ces "tout-puissants" du monde capitaliste... Car de quoi s'agissait-il dans cette "fustigation de la réaction" ? S'agissait-il de la politique gouvernementale, qui continue celle des gouvernements précédents contre le peuple en faveur des riches ? Nullement. En matière de "programme", tout le monde est parfaitement d'accord. BLUM AVAIT LUI-MEME RECONNU QUE LA POLITIQUE QU'IL FAISAIT, TOUT GOUVERNEMENT, QUEL QU'IL SOIT, LA FERAIT : la sienne, du reste, avait été celle de Schuman, membre du parti cléricalo-réactionnaire, le M.R.P. C'EST AINSI QUE LES GOUVERNEMENTS SE SUCCEDENT, MAIS LA POLITIQUE REACTIONNAIRE RESTE. L'objet de la discussion entre M. Duclos et les douze "mécontents" c'était de savoir si les dirigeants du Parti communiste pouvaient être considérés comme d'aussi bons Français que ceux du M.R.P. ou du P.R.L. A l'unanimité contre douze (et quelques abstentions), les députés, des Socialistes au P.R.L., les ont reconnus pour des leurs, en récompense des services que les chefs staliniens rendent depuis des années à la bourgeoisie. On comprend donc pourquoi, d'après L'Humanité, il a suffi à Duclos d'"une chiquenaude par ci, une chiquenaude par là", pour réduire à néant l'argumentation des douze antagonistes de Billoux, ministre stalinien de la Défense Nationale. ILS SE VALENT, EN EFFET. Voilà ce que sont réellement les chefs staliniens. Ils sont des "démocrates-conséquents" non pas en défendant pas à pas les droits des travailleurs, en leur apprenant à lutter eux-mêmes pour ces droits, en les éclairant sur les combinaisons pourries des politiciens ; ils sont des "démocrates-conséquents" dans les combines avec les autres partis pour le partage des bonnes places, ils sont des "démocrates-conséquents" vis-à-vis du mécanisme parlementaire de la bourgeoisie, ce mécanisme parlementaire que les marxistes, depuis des dizaines d'années, et l'expérience propre des masses, montrent comme un organisme entièrement au service de la bourgeoisie, une machine à écraser le peuple, tout en l'empêchant de se révolter, sous couleur de démocratie. C'est avec un mépris croissant que les tra-vailleurs regardent ce spectacle lamentable de soi-disant démocrates, s'escrimant contre la réaction... dans le vide, tandis que plus que jamais la réaction capitaliste étouffe les travailleurs. Mais entre l'espoir qu'ils mettaient hier, au moment des élections, dans ces chefs pseudo-démocrates, et la lutte révolutionnaire de demain qu'il faudra mener pour ne pas succomber, le mépris pour ces chefs constitue aujourd'hui un anneau nécessaire. Contre la réaction capitaliste, pour conquérir le bien-être et la dignité humaine, les travailleurs rejoindront dans l'action les seuls démocrates-conséquents, LES REVOLUTIONNAIRES PROLETARIENS, qui en combattant le lourd héritage des forces léguées par le passé, préparent un avenir meilleur pour les masses. Aujourd'hui nous sommes en présence des faits. Cette guerre contre un peuple de plus de vingt millions d'hommes et de femmes, décidé tout entier à résister jusqu'au bout aux colonialistes, est en réalité une guerre d'extermination, pour laquelle il faut engager des effectifs et des sommes considérables, et qui condamne le peuple français aux mêmes consé-quences économiques et politiques qui durent déjà depuis 1939. Des journaux ont calculé, et personne ne les a démentis, que pour réinstaurer "l'ordre" des banquiers français en Indochine, il faudrait y envoyer une armée de 500.000 hommes ! Et encore, dans ce cas, la guerre peut se poursuivre indéfiniment. Voilà ce qui explique les appels, en apparence inattendus, que d'Argenlieu adresse en ce moment aux "grandes puissances". "La solution du problème indochinois est retardée par le manque d'une politique commune des grandes nations...", vient-il de déclarer à des journaux anglais et américains. "La Grande-Bretagne, la France, les Pays-Bas, et si possible les Etats-Unis, doivent se concerter pour étudier la question et décider d'une politique commune à l'effet d'extirper les idées anti-démocratiques (sic) qui prévalent dans ces territoires" (en Asie). Nous disons des "appels en apparence inattendus", car l'éventuelle intervention américaine, par exemple, ne nous avait été présentée jusqu'à maintenant que comme un argument de plus pour faire la guerre, afin d'empêcher que d'autres "ne prennent notre place". Cet argument colonialiste a été propagé notamment par L'Humanité, à l'usage des ouvriers auprès desquels on ne pouvait pas utiliser des argu-ments proprement chauvins. Mais il n'y a rien d'inattendu dans ces appels de d'Argenlieu. Ils ne font que confirmer que la guerre que mène le peuple d'Indochine est une guerre émancipatrice, devant laquelle les manoeuvres des impérialistes, pour s'évincer l'un l'autre, font place à leur solidarité face à un danger qui les menace tous pareillement. L'attitude des impérialistes nous prouve que la guerre du Viêt-nam pour son indé-pendance constitue un facteur de libération de tous les travailleurs et de toute l'humanité. Cette solidarité des impérialistes ne fait qu'affirmer les intérêts communs, dans cette guerre, des travailleurs des métropoles et des colonies, solidarité d'intérêts dont malheureusement la majorité des travailleurs français n'ont pas conscience. Cependant l'action de d'Argenlieu contre le Viêt-nam s'accompagne de déclarations anti-communistes (qui ne visent pas le ministre de la Défense Nationale Billoux, ou le vice-président Thorez qui l'alimentent en armes et matériel humain), mais la classe ouvrière. La lutte contre les travailleurs d'Indochine est menée par lui en tant que lutte anti-ouvrière en général, et ce ne sont pas là des mots. Alors qu'en Indochine même, les premiers incidents contre le Viêt-nam étaient accompagnés par le sac d'un journal de tendance socialiste à Saïgon, dans la métropole, un deuxième meeting du seul Parti qui s'est effectivement solidarisé avec les travailleurs du Viêt-nam, le Parti Communiste Internationaliste (IVe Internationale), a été à nouveau dispersé à coups de matraques et de violences par les policiers des ministres soi-disant "communistes" et "socialistes". A la solidarité impérialiste, qui unit les d'Argenlieu aux banquiers de Londres et de New-York et à leurs généraux, il faut opposer la solidarité prolétarienne qui unit les travailleurs de France aux travailleurs du Viêt-nam et à ceux du monde entier. Il faut une solidarité agissante. A bas la guerre de d'Argenlieu ! Vive l'Union libre des peuples métropolitains et coloniaux au sein des Etats-Unis socialistes soviétiques du monde ! "Contentons-nous donc d'un fonctionnaire chargé de surveiller l'impression et la distribution des titres d'alimentation", voilà comment M. Tardy , dans Le Monde (28-1), résume la décision du gouvernement, en exprimant sa satisfaction. C'est à cela que se réduit toute leur science. Il vaut mieux laisser aller les choses comme elles vont, car elles ne peuvent aller mieux... Comment, en effet, se présente la situation pour M. Tardy et ses pareils, pour ceux qui discutent du "problème du ravitaillement" en sortant des banquets et des réceptions ? "...Il y a maintenant assez en France pour que tout le monde puisse manger à sa faim... Seuls ont faim ceux qui n'ont ni argent, ni parents à la campagne, ni cantine, ni autre moyen de se moquer des lois". M. Tardy connaît, sans doute, les moyens de se moquer des lois quand on a de l'argent. Mais il méconnaît bien la situation de ceux qui se "moquent des lois"... en mangeant à la cantine ! On croit sans peine qu'il n'a jamais goûté au brouet servi dans les cantines aux travailleurs de chez Renault, Citroën et ailleurs, aux soupes claires, aux nouilles en colle de pâte, au poisson avarié, le tout arrosé d'un vin qui ressemble à du vinaigre. Parce que le patronat est bien obligé d'assurer un minimum aux ouvriers pour qu'ils puissent travailler, M. Tardy les classe probablement dans la catégorie des privilégiés ! Quant à leurs femmes et à leurs enfants, il les perd totalement de vue. Il ne reste, à en croire M. Tardy, qu'une "minorité restreinte" d'"économiquement faibles" ("notamment des petits rentiers et des petits employés"). Or, "...alimenter quelques centaines de milliers, tout au plus quelques millions de personnes qui ont besoin d'être aidées... ce n'est là qu'un problème d'assistance, qui n'excède pas les forces des grandes municipalités". Ayant ainsi résolu le problème, il conclut : donc "la liberté est possible et souhaitable dès maintenant. Les prix se fixeront sans doute au-dessus du niveau officiel d'aujourd'hui", dit-il. Mais qu'importe, puisque les ouvriers "se moquent des lois" (en mangeant à la cantine), puisque M. Tardy et ses pareils ont l'argent nécessaire pour se moquer des prix, et qu'ainsi il ne reste plus qu'"une minorité restreinte" ("quelques millions tout au plus") pour mourir de faim... Faut-il s'étonner que ce désintéressement existe dans les sphères dirigeantes à l'égard du problème du ravitaillement, quand pour eux le problème est résolu, et qu'à vrai dire il n'a jamais existé ? Faut-il encore se demander d'où vient leur incapacité à organiser le ravitaillement, quand il y a ce fossé entre leurs conditions d'existence et celles du peuple travailleur ? Alors que pendant les années de pénurie, ils faisaient semblant de veiller à la juste répartition d'un ravitaillement insuffisant, le "problème du ravitaillement" consistait, en réalité, à servir d'abord leur classe largement et avec superflu ; leurs privilèges économiques leur permettaient de se moquer des lois. Les masses tra-vailleuses, les "quelques millions" qui attendaient leur pitance du ravitaillement officiel, ont dû souffrir les pires privations. Maintenant qu'il y a "assez en France pour que tout le monde puisse manger à sa faim", --selon leur aveu même--, un sort malin accable les travailleurs qui voient se creuser, entre eux et le ravitaillement, le fossé des prix. Ils en sont réduits à manger à la cantine. Leurs femmes et leurs enfants sont mal nourris, mal logés, mal vêtus. Des centaines de milliers d'"économiquement faibles" meurent littéralement de faim. De quoi s'agit-il ? Toute la science gouvernementale concernant les problèmes dont dépend la vie des masses se résume à ceci : "Il s'agit de déterminer à quel cran il convient de serrer la ceinture du Français" (Monde du 22-1 au sujet du logement). Voilà le sens des appels aux "sacrifices", de tous les gouvernements qui se sont succédés de De Gaulle à Blum et Ramadier . Car le travailleur français doit, par les bas salaires, par les impôts et par l'inflation, financer la guerre d'Indochine, les troupes de répression et d'occupation, les dépenses improductives de l'armement et de l'exportation, dépenses dont le seul but est de maintenir et d'accroître le standard de profits des capitalistes, maîtres des leviers de commande. ...Alors les prix montent, et il ne s'agit plus, en fait de ravitaillement, que d'"organiser" la pauvreté et l'inanition pour les masses. Un gouvernement au service de semblables intérêts doit forcément faire faillite sur toutes les questions qui concernent la vie du peuple travailleur ; dans la question de la liaison entre la ville et la campagne, dans la question de la reconstruction de logements pour les ouvriers, dans la question d'un travail et d'un salaire décent, dans la question de l'élimination des spéculateurs et des trafiquants. Ainsi, quand Ramadier fait des discours à la radio pour promettre le dépistage des stocks dont beaucoup pourrissent plutôt que d'être livrés, à qui s'adresse-t-il pour exécuter cette tâche ? Aux préfets. Et qui sont les préfets ? Ce sont des hauts fonctionnaires complices des affameurs qui, installés dans leurs confortables bureaux, reçoivent les pots-de-vin et les ordres des margoulins. Un gouvernement des riches ne peut certes pas s'adresser, pour le dépistage des stocks, aux ouvriers des villes et des campagnes ; ce serait pour eux "l'anarchie", la "révolution"... car ce serait la révélation de leurs complicités et la disparition de leurs propres privilèges. Contre l'indifférence opposée à la misère du peuple par ceux qui sont en place, seules peuvent faire pression les manifestations des ménagères qui exigent le châtiment des spéculateurs, les protestations des ouvriers dans les usines contre le mauvais ravitaillement des cantines, l'action directe des travailleurs. Mais les manifestations des ouvriers et des ménagères expriment aussi leur méfiance contre le régime bourgeois qui a rompu la liaison entre la ville et la campagne, qui condamne à l'inanition des classes entières. Ils manifestent leur volonté de se charger eux-mêmes de la solution des problèmes ; seuls les en détournent les dirigeants "ouvriers" au service de la bourgeoisie, qui transforment leurs manifestations en manifestations de parade. Mais en face de la faillite répétée des ministres, "techniciens", etc..., les masses ouvrières ne se contenteront pas à l'infini de manifester platoniquement ; elles finiront par imposer leurs véritables solutions de classe, comme l'ont toujours fait les exploités quand ils s'étaient définitivement convaincus de la faillite et de la cupidité des classes exploiteuses.
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