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chronologie 1947 |
N° 27 |
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26 NOVEMBRE 1947
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Rendez-vous de 18h à 20h :
café-tabac «Le
Terminus» angle r. Collas av. Edouard Vaillant. M° Pont-de Sèvres |
Les tenants de la
bourgeoisie
expliquent quotidiennement que les "troubles sociaux" actuels sont dus
aux agissements des partisans de Thorez et Duclos, maîtres de la
direction de la C.G.T., et que ceux-ci ne visent qu'à retrouver
leurs portefeuilles ministériels. Ils soulignent, d'autre part,
avec un malin plaisir, la coïncidence qu'il y a entre cette
activité
et l'adhésion ouverte que les dirigeants du P.C.F. ont
donnée
au nouvel instrument diplomatique russe, le Kominform. Car de
là,
à accuser les ouvriers en grève d'être "à la
solde de Moscou", il n'y a qu'un pas. Et, ce pas franchi, on veut y
trouver
une justification de l'intervention des gardes mobiles et de la police
contre les grévistes et des mesures arbitraires contre les
syndicats.
"Rafraîchissons" donc un peu la mémoire de MM. les serviteurs de la bourgeoisie.
C'est depuis le 26 avril,
cinq mois avant la création du Kominform que les travailleurs
ont
commencé une grande bataille pour défendre leurs salaires
sans cesse diminués par la rapacité patronale et
gouvernementale
et descendus bien au-dessous du minimum vital nécessaire
à
l'ouvrier pour qu'il n'épuise pas ses forces et ne tombe pas
malade.
C'est contre la volonté des dirigeants de la C.G.T. et du
P.C.F.,
qui en étaient encore à "l'opposition loyale"
parlementaire,
que la vague gréviste, bien que fractionnée, a
déferlé
puissamment, englobant en l'espace de quelques mois la majorité
de la classe ouvrière. Et ce sont ces "dirigeants"
précisément
qui ont fait les premiers appels au gouvernement, dans la grève
Renault, par exemple, pour rétablir "la liberté du
travail",
par l'arrestation des dirigeants du Comité de grève !
C'est la politique d'affamement
des masses travailleuses poursuivie par le patronat et l'Etat bourgeois
qui est la cause des "troubles sociaux" (c'est ainsi que MM. les
journalistes
bourgeois appellent la lutte des travailleurs défendant leur vie
menacée par la rapacité des forbans capitalistes).
Les cris poussés unanimement par les serviteurs de la bourgeoisie contre les "agitateurs" ne visent donc pas principalement les chefs du P.C.F. Les grévistes des P.T.T. en août 1946, ceux de la presse, en mars 1947, les grévistes de chez Renault en mai 1947, bien qu'ils aient eu à leur tête non pas des membres du P.C.F., mais des adversaires et des ennemis de ceux-ci, ont-ils été mieux traités ? Toute grève, pour ces messieurs les capitalistes, quelle que soit l'origine de ses dirigeants, est l'oeuvre d'agitateurs, trouble "l'ordre public", met en péril la "civilisation". La décadence du régime capitaliste est telle que, bien qu'ils soient obligés de reconnaître la légitimité des revendications des ouvriers dont l'existence intenable est évidente pour tout le monde, il leur est d'autre part impossible de leur assurer dans le cadre de leur régime, une vie tant soit peu supportable. C'est pourquoi, tant que les ouvriers ne se mettent pas en mouvement, ils leur prodiguent de bonnes paroles, mais pas un centime. Au contraire, ils en profitent pour alourdir tous les jours un peu plus leur fardeau. Si au contraire les ouvriers se mettent en grève et les obligent à desserrer l'étreinte, alors sous tous les prétextes, mêlant le faux et le vrai, ils ameutent les paysans et la petite bourgeoisie contre les "fauteurs de troubles". L'avantage des patrons dans la lutte actuelle, c'est précisément qu'en faisant semblant de s'en prendre uniquement aux Thorez, aux Frachon et aux Duclos, ils profitent de la haine que ces bureaucrates ont répandu dans la classe ouvrière contre eux, pour dresser les ouvriers les uns contre les autres et affaiblir leur lutte en les divisant. Mais la classe ouvrière, qui dans cette première série de luttes antipatronales d'envergure depuis 1938, a réussi à rompre totalement avec la collaboration de classes qu'on voulait lui imposer sera aussi capable de refaire son unité, malgré le sabotage de la plupart de ses dirigeants actuels, frachonistes ou jouhaussistes. Elle se regroupera à la base dans des organisations de classe vraiment démocratiques, sous son contrôle. Elle deviendra capable de vaincre totalement l'ennemi capitaliste. Car l'agonie du régime capitaliste condamne les travailleurs à un sort pire que la mort et ne leur laisse aucune autre issue. LA
VOIX DES TRAVAILLEURS.
Et ce fut le tour de Robert Schuman qui, lui, reçut l'investiture de la Chambre et forma un nouveau gouvernement orienté ouvertement vers les gaullistes. Cependant Blum les avait assez rassurés lors de sa déclaration à la Chambre. En effet, s'il parla de faire quelques concessions à la classe ouvrière, il parla aussi, et beaucoup, de fermeté, ce qui signifie matraquages et recours à la force. De même Schuman, s'il entend mener la politique des bâtons blancs et des pèlerines roulées, parle, tout comme son confrère Blum, de "combattre la misère" et de réparer "les injustices sociales". En fait, quel que soit l'homme que les discussions autour du tapis vert mettent au gouvernement, la politique est la même : Blum c'est l'os à ronger et la matraque, et Schuman c'est la matraque et l'os à ronger. Tous ces messieurs préféreraient, en effet, briser les grèves par la force plutôt que de céder quoi que ce soit, mais tant que les travailleurs seront en lutte ils ne pourront pas employer la force brutale, car la classe ouvrière est de taille à leur répondre : la semaine dernière le gouvernement a rappelé 30.000 hommes sous les drapeaux "pour le maintien de l'ordre". A cela les cheminots de certains réseaux du Nord ont répondu en débrayant pour empêcher les troupes de circuler. La bourgeoisie est toujours l'ennemie des ouvriers, mais c'est leur combativité qui lui impose une attitude plus ou moins conciliatrice à leur égard. Ainsi à l'heure actuelle elle est obligée de faire la politique de Blum, même sans Blum, car la lutte de classes l'y oblige. Au mois d'avril, les ouvriers quittaient les machines malgré le gouvernement, malgré la direction et aussi malgré l'hostilité acharnée des cégétistes. Ils faisaient la grève parce qu'ils ne pouvaient plus vivre et c'étaient eux les animateurs de la grève. Ils se répandaient dans les ateliers, allaient dans les autres usines. Ils voulaient la grève générale et ils la généralisaient. Et s'ils durent reprendre avec presque rien ce n'est pas qu'ils aient capitulé devant la direction, mais parce qu'ils furent vaincus par la bureaucratie cégétiste qui sut s'opposer avec succès à la généralisation de la grève. Aujourd'hui, les ouvriers ne se sentent plus les seuls animateurs de leur mouvement. Ils sentent que la lutte échappe à leur contrôle, et se posent une foule de questions.
Comment se fait-il que
les dirigeants cégétistes, qui, pendant des années
furent les pires ennemis de l'action directe, qui, pendant notre
grève
d'avril, furent les plus acharnés à nous combattre,
n'hésitant
pas à s'abriter derrière la direction et même le
gouvernement
; ces gens qui, hier encore, se déclaraient contre la
grève
(Carn
prétendait
que ça gênerait la 4 CV), comment se fait-il qu'ils
déclenchent
aujourd'hui eux-mêmes la grève ? Pourquoi, se demandent de
nombreux ouvriers, s'il fallait en arriver là, les dirigeants
cégétistes
ne nous ont-ils pas appuyés et n'ont-ils pas
déclenché
la grève quand nous étions partis au mois de mai ?
Pourquoi
ont-ils fractionné notre lutte et entraîné des
boîtes
comme Citroën dans des aventures qui ont coûté cher
aux
ouvriers (5 semaines de grève pour rien) si aujourd'hui ils sont
obligés d'en arriver à la même conclusion que celle
du comité de grève en avril : Aujourd'hui non seulement les dirigeants cégétistes ne sont plus contre la grève mais encore ils en revendiquent le monopole. Seulement ils n'en prennent pas la responsabilité. Le bureau confédéral n'a pas donné l'ordre de grève générale. Dans l'usine on a voulu donner une illusion de démocratie aux ouvriers en constituant le comité de grève. Mais les méthodes restent les mêmes : La calomnie continue contre ceux qui ne pensent pas de la même façon que les dirigeants. Les ouvriers ne sont consultés sur aucune question concernant l'orientation de la grève. La section syndicale C.G.T. n'a même pas pu tolérer que des représentants du S.D.R. siègent au comité central de grève. Ils sont pour la grève, mais ils chassent du comité de grève ceux des ouvriers qui, depuis six mois, ont été les plus acharnés dans l'action gréviste, ceux qui ont déclenché la grève d'avril-mai. En excluant du comité central de grève les camarades du S.D.R., ce sont les "énervés de Collas" que l'on rejette de la grève. En fait, les dirigeants cégétistes n'ont pas changé. Seulement ils ne tarderont pas à s'apercevoir que, chez Renault du moins, ces méthodes n'ont plus cours. Pierre BOIS.Le prétexte nouveau de cette hausse, était que l'indice des prix industriels se trouvait en retard par rapport à celui des prix agricoles et qu'il fallait les ajuster. Or si les indices officiels industriel et agricole étaient respectivement de 9 et 12, le salaire est à l'indice 6. Celui-ci se trouvait donc déjà de 50% en-dessous d'un minimum vital même calculé sur l'indice industriel seulement. Cependant, loin de penser à ajuster l'indice du salaire au moins sur l'indice officiel de l'industrie (car l'indice réel est bien supérieur), patronat et gouvernement ont déclenché une nouvelle attaque contre les salaires, en rejetant sur les travailleurs le fardeau de nouvelles hausses, aussi bien des prix industriels qu'agricoles. C'est seulement maintenant, sous la pression du mouvement gréviste, que le gouvernement admet officiellement qu'une certaine augmentation des salaires est indispensable : Schuman, l'homme des banques et des 200 familles, parle de "justice sociale". En même temps qu'il utilise la répression policière, qu'il veut réglementer le droit de grève et mettre le bâillon aux ouvriers, il espère s'en sortir, comme cela a été le cas dans toutes les grèves jusqu'à présent, par quelque aumône accordée aux travailleurs. Mais qu'est-ce que "l'indemnité de vie chère", que le gouvernement veut céder, eu égard à toute la politique capitaliste de hausses passée, présente et à venir ? Que représentent ces concessions, à côté de tous les efforts que les ouvriers font depuis 3 ans, des luttes qu'ils ont soutenues pour se défendre contre la misère croissante ? Bien entendu, si les capitalistes ont pu jusqu'à présent se permettre de répondre aux luttes ouvrières par des aumônes, aussitôt annulées, c'est parce que jusqu'à présent ce sont les dirigeants syndicaux eux-mêmes qui étaient leur complice n° 1 dans cette politique. Cependant, l'objet de la lutte ouvrière n'est pas l'aumône d'une dérisoire "indemnité de vie chère". Il s'agit, pour les ouvriers, non seulement d'une augmentation de salaire, mais de garanties concernant leur niveau de vie, d'une défense réelle contre toute la politique sournoise, brutale, d'asphyxie des masses travailleuses, que mène la bourgeoisie. Seules les revendications suivantes peuvent y aboutir : Un salaire minimum vital : c'est-à-dire le droit légitime, pour celui qui travaille, de vivre en travaillant. L'échelle mobile : c'est-à-dire la garantie de ce salaire, par son adaptation automatique à toute hausse des prix industriels et agricoles, pour empêcher le patronat de spéculer sur la misère des ouvriers en les essoufflant dans des luttes revendicatives incessantes. Le retour progressif aux 40 heures, mesure de défense contre le chômage qui menace. Le contrôle ouvrier sur les livres de compte patronaux : c'est-à-dire le moyen pour ceux qui produisent de dire aussi leur mot dans l'établissement des prix et ne pas les laisser au bon plaisir des capitalistes et des spéculateurs.
Tant que les ouvriers
ne se mobiliseront pas tous pour lutter pour ce programme, patronat et
gouvernement les réduiront à l'alternative comme
l'expliquait
un tract revendicatif du S.D.R. dès le mois de septembre, "soit
à se mettre périodiquement en grève, soit à
crever de faim".
En dehors des profits capitalistes, la politique du "produire" n'a rien relevé. Les grands travaux de reconstruction sont inexistants. Dans l'aviation, le chômage sévit, ainsi que dans les branches de construction électrique. Après avoir réalisé des millions et des millions de profits en imposant aux ouvriers une vie de forçats, les capitalistes, faute de débouchés et de crédit, commencent maintenant à stopper la production. Et c'est aux travailleurs qu'ils voudraient une fois de plus, faire supporter les conséquences de leur désordre. A notre époque où un travailleur vit avec ses 60 heures d'usine, à peu près comme un chômeur avant guerre, avec son allocation, le chômage signifierait la famine pure et simple. C'est ce qui se passe en Italie où des milliers de chômeurs font des marches de la faim désespérées. Ne plus avoir de travail, c'est ne plus avoir le droit de vivre. Si le chômage est à nos portes, les capitalistes en sont seuls responsables. Nous ne devons pas payer les pots que nous n'avons pas cassés. Au L.M.T., la direction avait projeté un licenciement massif. Mais la section syndicale C.G.T. s'y est opposée, préconisant le retour aux 40 heures de travail par semaine pour tous, plutôt que de faire faire des heures supplémentaires aux uns, tandis que les autres seraient sur le sable. C'est, en effet, la solution que nous devons imposer partout où le chômage menace. Pour permettre à tous de gagner leur vie, il faut répartir les heures de travail entre tous les ouvriers, abaisser, s'il le faut la semaine à 35 ou 30 heures. Nous devons exiger l'échelle mobile des heures de travail. Mais cela signifie-t-il que les travailleurs devraient se résigner à ne percevoir que 30 heures de leur salaire actuel ? C'est impossible. Pendant des années, les capitalistes ont accumulé les profits, nous donnant juste de quoi ne pas mourir de faim. Aujourd'hui, ils doivent continuer à assurer notre subsistance. Quel que soit le nombre d'heures de travail, notre salaire doit rester un salaire vital. A ce sujet, les représentants de la C.G.T. ne soufflent mot ! Nous exigeons l'échelle mobile des heures de travail avec un salaire correspondant à celui de la même catégorie dans les branches de plein emploi. Henri DURIEUX.Ainsi, au dernier Comité confédéral national de la C.G.T., Frachon et Jouhaux offraient un spectacle bien touchant : c'était, des deux grands pontifes, à qui serait le plus démocrate ! Frachon, le briseur de grèves depuis la "libération", exigea inopinément la participation de tous les travailleurs syndiqués ou non, à l'élaboration de toutes les décisions... Jouhaux, l'homme de confiance des grands capitalistes, se mit en devoir de défendre les droits des syndiqués de la base et les véritables "principes" du syndicalisme, qui opposent la qualité au nombre, les syndiqués "conscients", à la masse inorganisée "inconsciente" et... le vote secret. Comme c'est dommage que Jouhaux n'ait pas soutenu ce point de vue lorsque, il y a trois ans, 6 millions d'adhérents, les plus conscients et les plus combatifs de la classe ouvrière, se pressaient dans la C.G.T. pour en faire un instrument de lutte contre le patronat. A ce moment-là, une possibilité réelle de s'exprimer dans les syndicats aurait créé une véritable démocratie pour toute la classe ouvrière. Actuellement, à quoi peut servir le vote secret ?
La démocratie n'est
pas une chose que l'on donne ou que l'on retire aux ouvriers à
volonté
comme le prétend Frachon, ni ne se résume à un
simple
droit de vote comme voudrait nous le faire croire Jouhaux !
Pour régner en
maîtres dans la C.G.T. et faire le travail des capitalistes dans
une organisation dont la mission avouée est d'organiser les
travailleurs
contre le patronat, ils n'ont pas hésité à
éloigner
la grosse majorité des syndiqués des assemblées
générales
et à en exclure les éléments les plus combatifs.
Et aujourd'hui, après avoir rendu les travailleurs incapables de se défendre, après les avoir privés de leurs meilleurs défenseurs, après leur avoir désappris toute PRATIQUE de la démocratie, ces "responsables" disent aux ouvriers : "C'est à vous de décider". Vive le vote secret, etc. !
Mais comment les ouvriers
pourraient-ils décider ? Privés depuis des années
de toute possibilité d'exprimer leurs opinions, ils n'ont plus
l'habitude
de contrôler leurs dirigeants. Ce à quoi se résume,
en définitive, la démocratie, on l'a bien vu à
cette
récente assemblée des cadres syndicaux, chez Renault,
où
Carn et Delame, après avoir fait chacun leur discours, ont
déclaré
: "Il se fait tard, il faut lever la séance...", sans avoir
accordé
la parole à qui que ce soit, et sans que qui que ce soit veuille
la demander !
Le véritable visage
de Jouhaux en fait de démocratie, n'est pas dans le vote secret,
dont il a besoin seulement pour dénombrer ses partisans de ceux
de Frachon, mais dans l'appel que ses partisans ont adressé
à
la police pour faire respecter "la liberté du travail"... et
d'exploitation
par les capitalistes. Quant à la défense des intérêts ouvriers, c'est un souci qui leur reste, à tous deux, aussi étranger aujourd'hui qu'auparavant. A.
MATHIEU.
Chez Citroën,
la grève
a été déclenchée par le C.G.T., en dehors
de
la volonté de la majorité des ouvriers. En effet,
beaucoup
parmi eux n'ont pas encore réussi à remonter la pente
depuis
la grève du mois de juin, qui a duré plusieurs semaines.
D'autre part, ils n'ont plus confiance en la C.G.T., qui les a si bien
trahis cet été. Aussi, les premiers jours, bien qu'en
dehors
des mensuels, une infime minorité d'ouvriers continuât
à
travailler, la plupart des grévistes restaient chez eux,
laissant
ainsi les délégués cégétistes seuls
pour tenir les piquets.
Mais le vendredi, quand la police, après avoir chassé brutalement les piquets, a commencé à surveiller l'accès des différentes usines, à Grenelle et à Javel, par exemple, un grand nombre d'ouvriers sont venus à l'usine dans l'intention de renforcer les cégétistes et de défendre la grève contre la répression gouvernementale. Ainsi l'intervention de la police, loin d'effrayer les ouvriers et de les disperser, n'a fait, au contraire, que resserrer leurs rangs et les décider à la lutte. Cependant, depuis le début de la semaine, les ouvriers viennent chaque jour plus nombreux reprendre le travail (lundi soir déjà, à Grenelle, sept cents ouvriers sur onze cents travaillaient). Leur attitude de vendredi dernier a, en tout cas, prouvé que ce n'est pas par crainte de la répression que les ouvriers recommencent à travailler, mais par manque de confiance dans le mouvement dirigé par la C.G.T., qui a d'ailleurs complètement disparu de l'usine depuis l'intervention de la police.
D'un autre côté,
devant le danger extérieur, beaucoup d'ouvriers se sont enhardis
et n'ont pas craint de dire leur fait aux délégués
cégétistes qui, jusque-là, avaient fait la pluie
et
le beau temps dans l'usine : "Si on en est là, c'est de votre
faute
; avant, il ne fallait pas faire grève, parce que Croizat et
compagnie
étaient au gouvernement. Mais maintenant, il faut que cela
change
!" disait un ouvrier à un
Ainsi, les nécessités
de la lutte pour en sortir obligeront les ouvriers de chez
Citroën,
comme d'ailleurs tous les autres, à prendre leurs propres
affaires
en main, à se débarrasser des dirigeants qui les ont
trahis
et à s'organiser à la base. Cela, de façon
à
ne pas voir se répéter une situation où les
ouvriers
désemparés reprennent le travail, sans avoir obtenu
aucune
garantie, par crainte d'être mis à la porte et
privés
de leur moyen d'existence, tombant ainsi à la merci de Boulanger.
Au Matériel
téléphonique
(Boulogne), la grève a été
déclenchée
dans toute l'usine le mardi 19 novembre, sous l'instigation de la
C.G.T.
Comme partout, suivant sa méthode habituelle, la section
syndicale
cégétiste a imposé un comité de
grève
presque essentiellement composé de ses membres. Elle a interdit
toute circulation entre les divers départements,
établissant
ainsi un cloisonnement étanche qui empêche les ouvriers de
se voir, de se concerter et d'avoir une vue d'ensemble sur toute
l'usine.
Dans la nuit de mercredi à jeudi, une ouvrière, qui
faisait
partie d'un piquet, s'est vue brutalement refuser le droit d'aller dans
un autre département, par un délégué, sous
prétexte qu'il fallait empêcher les "provocateurs" de
circuler.
Le résultat de ces méthodes anti-démocratiques, c'est que, bien que la plupart des ouvriers soient favorables à la grève, qu'ils considèrent comme le seul moyen de sortir de la situation actuelle, ils se désintéressent du mouvement : ils n'ont pas confiance dans une grève dont la C.G.T. détient le monopole exclusif. Outre les mensuels, qui ont refusé de faire grève aux départements 471-473, plusieurs dizaines d'ouvriers continuent à travailler (certains d'entre eux avaient pourtant participé à la grève de juin dernier). "Que le bureau confédéral prenne ses responsabilités, qu'il déclenche la grève générale ! On ne veut pas recommencer l'expérience de 38 !" disait un ouvrier à une réunion du comité de grève, mercredi matin. Un autre demandait : "Pourquoi la C.G.T. veut-elle qu'on fasse grève maintenant, alors qu'au mois de juin, elle a été contre nous, quand on a voulu s'y mettre ?" C'est cette méfiance presque générale vis-à-vis de la C.G.T. qui explique que les ouvriers ne prennent pas une part active à la grève, qu'ils viennent en très petit nombre à l'usine, laissant les délégués presque seuls pour assurer le roulement des piquets. Ce qui ne peut que faciliter la répression policière. Pour cela, la C.G.T. n'a évidemment qu'à s'en prendre à elle-même, et non pas à l'inaction des ouvriers. En réalité, les ouvriers du L.M.T., comme tous les autres, ne craignent pas de se battre, ce qu'ils craignent, c'est d'être trahis par leurs propres organisations et livrés pieds et poings liés à la répression féroce de la bourgeoisie (beaucoup se souviennent de 1938). La meilleure preuve, c'est que samedi les effectifs pour les piquets se sont présentés plus nombreux, le comité de grève ayant fait monter de solides barricades aux entrées de l'usine (à la suite de l'évacuation par la police des usines Citroën).
Les ouvriers n'ont pas
peur de se battre, mais ils veulent savoir pourquoi ils se battent et
être
matériellement en mesure de livrer bataille.
Parti de la
région
méditerranéenne, l'ordre de grève fut lancé
à la gare de Paris-Lyon dans la nuit de vendredi à
samedi.
Les "cadres syndicaux" avaient décidé l'arrêt du
travail
pour 7 heures. Aucun vote préalable, si ce n'est la
"consultation",
la veille, de quelques équipes de cheminots sur le "Manifeste de
la C.G.T.", qui ne précisait rien à ce sujet.
Aussi, lorsque l'ordre de grève circula dans la gare, le flottement fut général. Il s'aggrava au fur et à mesure qu'arrivaient les agents de service, invités, d'une part, par la maîtrise à se prononcer personnellement et de vive voix pour ou contre la grève, et qu'un placard de la direction menaçait, d'autre part, de sanctions dans le cas où ils refuseraient de travailler. Le syndicat accentue, de son côté, l'hésitation par l'absence de toute organisation de la grève : aucun comité de grève n'est élu. Il n'y a pas de piquets de grève, et c'est la police qui occupe la gare et garde les issues. "Officiellement", la section syndicale déclare laisser à chacun "le libre choix de ses actes", ce qui ne l'empêche pas, par ailleurs, de tergiverser lorsque la majorité des cheminots réclame un vote à bulletins secrets. Un vote à mains levées donne une faible majorité pour la grève. Les grévistes sont invités à quitter la gare, les autres à rester au travail. Pris entre les mesures policières et d'intimidation de la direction et le manque d'organisation de la section syndicale, les agents hésitent. Quitter le lieu du travail, c'est se signaler individuellement et encourir les sanctions prévues. Rester, c'est faire acte de briseur de grève. La division s'accentue et le flottement s'aggrave d'heure en heure. Déjà la majorité des agents sont repris le travail. Ils sont pourtant prêts à débrayer totalement, et à prendre leurs responsabilités, si le syndicat, lui, prend les siennes. Et la gare de Lyon présente, au moment où nous mettons sous presse, l'étrange aspect d'un chantier où tout le monde travaille et fait grève en même temps, puisqu'il n'y a pas de train. Seuls, les responsables syndicaux et quelques syndiqués, qui suivent aveuglément leurs ordres confus, font la grève chez eux.
Le syndicat a volontairement
oublié les résultats désastreux de la grève
de 1920, menée dans les mêmes conditions. Leur
volonté
de faire la grève sans démocratie effective coûtera
cher à l'unité de la classe ouvrière, sans cesse
réclamée
par eux-mêmes. Les vrais diviseurs ont enfin jeté le
masque.
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