OU
ETAIENT LES
SCISSIONNISTES ?
"Les manoeuvres de
la réaction
sont parvenues à entamer notre front de lutte". C'est ainsi que
le "Comité central national de grève"
cégétiste
justifie la défaite à laquelle il vient de conduire les
ouvriers.
Mais dans quelle catégorie
de réactionnaires faut-il classer Léon Jouhaux et "Force
Ouvrière" qui, par leur appel à la répression
policière
contre les grévistes ont entamé, plus qui quiconque, le
front
de lutte ? Ne sont-ils pas membres de la C.G.T. et du bureau
confédéral
?
A l'épreuve, la
C.G.T. qui devait soi-disant assurer l'unité des travailleurs,
s'est
avérée le principal facteur de division et de
désagrégation.
Quel spectacle lamentable que la scission, en plein mouvement
gréviste,
du cartel des fonctionnaires, de Fédérations faisant
appel
à la grève et leurs syndicats ne suivant pas, ou de
syndicats
faisant la grève quand leurs Fédérations se
prononçaient
contre ! Voilà les fruits du régime de violences et
d'étouffement
entretenu par les deux cliques, frachoniste et jouhausiste, qui forment
l'appareil bureaucratique de la C.G.T.
Quel contraste avec le
mois de mai, quand le Comité de grève réalisa,
pour
la première fois depuis 36, l'unité librement
exprimée
de tous les travailleurs de chez Renault, inorganisés ou
organisés
et quelle que fût leur appartenance !
Quelle différence
entre une C.G.T. dont l'unité n'était que façade
et
l'attitude du S.D.R. qui a constamment subordonné son
activité
à la volonté de la majorité des travailleurs et
à
l'unité d'action avec les autres organisations syndicales.
Où sont les scissionnistes
?
Tous les travailleurs
qui ne s'étaient résignés à rester dans la
C.G.T. que parce qu'ils pensaient que celle-ci représentait tant
bien que mal une garantie d'unité, sont aujourd'hui
amèrement
déçus. Le coup de poignard dans le dos de Jouhaux, en
mettant
fin au mythe de "l'unité" dans une C.G.T. bureaucratisée,
les laisse complètement désorientés.
Mais l'action du Comité
de grève, au mois de mai, et du S.D.R. depuis, bien que
privés
de toutes ressources ou facilités, prouve ce dont sont capables
les travailleurs lorsqu'ils prennent leur sort en leur propre main.
Pour refaire l'unité
syndicale de la classe ouvrière, il n'y a d'autre moyen que de
commencer
à reconstruire à la base, dans chaque usine, des
syndicats
directement sous le contrôle des ouvriers, englobant leur
majorité
sans distinction de tendances, et lier ces syndicats les uns aux autres
au fur et à mesure de leur création. Dans certains cas,
comme
chez Alsthom-Lecourbe, le Syndicat C.G.T. en entier, se méfie
depuis
longtemps de la direction confédérale, et le lien avec
celle-ci
n'est que nominal. Mais dans un cas comme dans l'autre, il faut
s'assurer
des fondations de la maison avant de mettre le toit ; et c'est
là
tout le sens du travail accompli jusqu'à maintenant par les
camarades
initiateurs du S.D.R.
LA
VOIX DES TRAVAILLEURS.
CE
QUI EST GAGNE
Il aura fallu une
nouvelle
lutte gréviste pour que le gouvernement se décide
à
accorder une aumône de 1.500 francs, alors que le salaire ouvrier
est unanimement reconnu comme un salaire de famine.
Après trois semaines
de grève, les ouvriers sont obligés de reprendre le
travail
avec les concessions que, la veille encore, la C.G.T. jugeait
inacceptables.
Le gouvernement verse
des larmes de crocodile sur les pertes qu'a subies l'économie,
alors
que, par son refus délibéré de garantir une
adaptation
des salaires au coût de la vie, il entend continuer la politique
d'affamement et de vie chère qui est la cause de toutes les
batailles
pour les salaires depuis le mois de mai.
La C.G.T. déclare
qu'elle a donné l'ordre de reprise générale parce
que le gouvernement a désorganisé le mouvement
gréviste
en acculant les ouvriers à la famine, provoquant ainsi de
nombreuses
reprises partielles.
Mais si la C.G.T. avait
été capable de diriger une grève
générale,
il n'aurait pas fallu attendre trois semaines pour que la classe
ouvrière
accule le gouvernement à capituler, comme en juin 36, au lieu
que
ce soit le gouvernement qui accule la classe ouvrière.
La grève, dirigée
par la C.G.T. à l'échelle nationale, n'a englobé
qu'une
minorité, malgré la volonté de lutte de tous. Si
elle
n'a pas entraîné la solidarité simultanée de
toutes les catégories de travailleurs, n'est-ce pas parce que,
dans
les luttes précédentes, les dirigeants
cégétistes
avaient été les premiers à donner l'exemple du
fractionnement
et de la division? Contre une organisation, qui pendant sept mois ne se
serait pas attiré la méfiance sinon la haine des
ouvriers,
le coup de poignard dans le dos de Jouhaux et les menaces
gouvernementales
auraient été inefficaces. C'est parce que la C.G.T. avait
acculé la classe ouvrière à la
démoralisation
que le gouvernement a pu l'acculer à la famine.
Le patronat et son gouvernement
ont le cynisme de déclarer qu'aucune amélioration durable
du sort des travailleurs n'est à envisager, que la situation ira
en s'aggravant.
"Il faut regrouper et
rassembler nos forces pour les combats futurs qui seront rudes", disent
les dirigeants cégétistes dans le manifeste du
Comité
national de grève.
Mais c'est là une
vieille vérité qu'ils viennent seulement de
découvrir
(comme ils ont découvert récemment la
nécessité
de la revendication de l'échelle mobile), et que nous avions
expliquée
depuis longtemps.
Seulement ce qui s'est
également révélé, c'est que la direction
faillie
de la C.G.T., avec sa prétention au monopole du mouvement
ouvrier,
n'est pas capable de mener ces combats. En conséquence, cette
grève
aura eu l'effet salutaire d'avoir convaincu nombre de militants de base
de la C.G.T. même de la nécessité d'une
collaboration
fraternelle entre tous les ouvriers quelles que soient leurs tendances
et leurs organisations. C'est là un acquis positif, pouvant,
dans
les mois qui viennent, s'avérer décisif pour le
relèvement
du mouvement ouvrier.
DEUX
GREVES
Si, depuis
près de
dix ans, les travailleurs de chez Renault n'avaient pas fait
grève,
cette année ils en ont fait deux. Mais, bien que très
rapprochées
et ayant les mêmes objectifs : le salaire minimum vital garanti,
ces deux grèves ont été totalement
différentes
l'une de l'autre.
Au mois de mai, la grève
contre la direction patronale et gouvernementale fut
déclenchée
par une poignée d'ouvriers, malgré l'hostilité
ouverte
des dirigeants syndicaux.
La grève du mois
de novembre, au contraire, fut déclenchée par les
dirigeants
cégétistes.
Cependant, à force
d'avoir endigué le mouvement gréviste
général
pendant des mois, c'est dans les pires conditions qu'ils furent
obligés
d'y entrer (l'approche de l'hiver, le manque de travail dans l'usine et
la méfiance qu'à juste titre ils s'étaient
attirée
de la part des ouvriers).
Mais, "au mois de mai,
le mouvement avait été déclenché par une
poignée de diviseurs et n'avait
aucune
chance d'aboutir, tandis qu'aujourd'hui c'est la grande C.G.T. qui
prend
ses responsabilités". Ainsi se rassuraient les fidèles.
Dans
leur enthousiasme, ils avaient oublié ce que disait Carn aux
responsables
syndicaux, huit jours avant : "Vous savez bien qu'actuellement c'est
impossible
de déclencher la grève.
Les ouvriers ne nous suivraient pas".
Les ouvriers ont suivi
quand même ce mouvement déclenché d'en haut, en
dehors
de leur volonté, parce qu'ils savent bien que seule l'action
directe
peut faire aboutir leurs revendications.
Mais il s'est avéré
que la grève a été mieux conduite au mois de mai
avec
des ouvriers du rang, qu'aujourd'hui par la "grande" C.G.T.
Au mois de mai, la seule
grève Renault a donné le branle à tout le
mouvement
revendicatif de cet été, sans aucun ordre venant d'en
haut.
La grève générale des cheminots a fait capituler
le
gouvernement au bout d'une semaine.
C'est l'unanimité
de tous les travailleurs qui caractérisait le mouvement au mois
de mai, que seule l'opposition farouche de la C.G.T. a
empêché
d'éclater en une grève générale.
Au mois de novembre, la
C.G.T., englobant des millions d'adhérents et dirigeant le
mouvement,
n'a pas pu empêcher la division, le manque de confiance, elle n'a
pas été capable de faire renaître un nouveau juin
1936.
Au mois de mai, le comité
de grève Collas fut capable de rallier dans la grève tous
les ouvriers de l'usine, y compris les cadres, qui débrayaient
malgré
l'opposition farouche des responsables cégétistes.
Au mois de novembre, il a fallu que
les
piquets de grève emploient la force pour empêcher la
maîtrise
et les employés de continuer le travail.
En mai, alors que tous
les ouvriers étaient dans la grève, alors qu'ils
refusaient
de reprendre le travail le mardi 29 avril, à 13 heures, comme
l'avait
préconisé la C.G.T., celle-ci organisait un vote secret
dans
l'usine, pour briser le mouvement. Le résultat fut que deux
tiers
des ouvriers se prononcèrent pour le comité de
grève.
En novembre, la même
direction cégétiste dut s'opposer de toutes ses forces
à
ce qu'un vote ait lieu, tant elle craignait le sentiment des ouvriers.
Au mois de mai, les travailleurs
de Collas, continuant la grève trois jours de plus que le
restant
de l'usine, arrachèrent à M. Mayer le paiement des heures
de grève pour tous, revendication reprise depuis dans toutes les
grèves. Contre les grévistes de Collas, la section
syndicale
C.G.T. fit alors appel à MM. Lefaucheux et Mayer pour faire
respecter
la "liberté du travail". Mais les grévistes avaient pour
eux la sympathie de tous les travailleurs de la Régie qui, en
deux
jours, collectèrent plus de 60.000 francs pour les soutenir.
Au mois de mai, les ouvriers
formaient eux-mêmes leurs piquets et comités de
grève,
chaque travailleur pouvant ainsi librement se manifester. La
démocratie
ouvrière réalisait l'unité.
Au mois de novembre, la
section syndicale a rejeté du Comité central de
grève
les militants ouvriers du S.D.R. partisans de la grève, parce
qu'ils
n'étaient pas dans la C.G.T., pendant que les bureaucrates
pro-grévistes
(Frachon) et antigrévistes (Jouhaux) faisaient "l'unité"
dans le bureau confédéral.
Au mois de mai, les ouvriers
allaient eux-mêmes faire débrayer d'autres usines et faire
la propagande pour la grève générale et ses
revendications.
Au mois de novembre, le
Bureau confédéral de la C.G.T., de peur de prendre ses
responsabilités,
s'est défendu publiquement d'avoir voulu déclencher la
grève
générale.
L'échec du mouvement
de novembre n'est pas une défaite directe de la classe
ouvrière,
mais celle d'une entreprise que les dirigeants cégétistes
ont mené à sa perte, parce qu'ils sont désormais
incapables
de gagner la confiance des ouvriers qu'ils ont abusés.
La grève de mai
prouve que l'organisation des travailleurs du rang est capable de
surmonter
obstacles et difficultés, la grève de novembre prouve que
les défaites sont l'oeuvre des directions bureaucratiques. Les
ouvriers
n'avaient pas encore suffisamment compris en mai la leçon que
leur
renouvelle le mouvement en novembre.
P.
BOIS.
UNE
DANGEREUSE FICTION
Pourquoi Schuman
a-t-il demandé
au parlement de voter des lois spéciales pour la
répression
des "délits" de grève ? Comme l'ont fait remarquer les
journaux,
il pouvait mobiliser des soldats ou arrêter des saboteurs sans
lois
nouvelles. D'innombrables textes de loi, dont certains datant depuis un
siècle ou établis par Pétain, permettent en
réalité
au gouvernement dit "républicain" de prendre n'importe quelle
mesure
! Ce n'est donc point juridiquement que Schuman avait besoin
de l'aide du parlement, mais politiquement.
Depuis la "libération",
la bourgeoisie avait pu maintenir les travailleurs à un niveau
de
famine, tout en les empêchant de revendiquer, par la
collaboration
de tous les chefs syndicaux avec le gouvernement. La présence
des
chefs communistes et socialistes au sein de celui-ci assura
"pacifiquement"
la paix sociale - un régime dans lequel les travailleurs
acceptèrent
de se serrer la ceinture, tandis que les gros requins de l'industrie et
de la banque poursuivaient tranquillement leur pillage des richesses de
la France. Pendant cette période de "produire d'abord,
revendiquer
ensuite" (Thorez), il ne pouvait donc y avoir que des cas de
répression
isolés.
Mais la vague de revendications
ouvrières, qui a surgi au mois de mai avec la grève
Renault,
a cependant obligé les dirigeants de la C.G.T. et du P.C.F.
à
rompre leur collaboration avec la bourgeoisie et à "soutenir"
(comme
la corde soutient le pendu) les luttes ouvrières actuelles.
Prise
à l'improviste par le mouvement, la bourgeoisie fut
forcée
de faire des concessions, en apparence minimes, mais qui permirent
cependant
au mouvement ouvrier de prendre toujours plus d'extension.
Cependant, laissée
sans riposte, il est certain que, finalement, la vague aurait
débordé
la bourgeoisie et son Etat. Faute de pouvoir obtenir comme auparavant
que
les ouvriers "persuadés" (c'est-à-dire trahis) par leurs
propres dirigeants, renoncent de "bon gré" à leurs
revendications,
la bourgeoisie devait avoir recours à une politique de force.
Non
pas contre des travailleurs isolés, mais contre toute la classe
ouvrière. C'est pourquoi Schuman eut besoin de la sanction du
parlement.
Contre le véritable peuple, il fallait que l'utilisation de la
force
soit faite au nom des représentants fictifs du peuple :
c'est-à-dire
des députés et des conseillers de la République !
Une fois de plus les travailleurs
peuvent se rendre compte du rôle véritable du parlement,
instrument
des riches contre les pauvres. Déjà à la suite de
la victoire de juin des cheminots, c'est le parlement qui, en votant le
"plan" financier de Schuman, a permis à la bourgeoisie de
reprendre
aux travailleurs de la main droite ce qu'elle avait été
contrainte
d'abandonner de la main gauche. C'est encore le parlement qui
sanctionne
aujourd'hui le passage à une politique de force contre la classe
ouvrière. Seuls peuvent s'en étonner ceux qui ne
comprennent
pas que tant que la bourgeoisie est maîtresse de toutes les
richesses,
elle est aussi maîtresse de toutes les institutions en apparence
le plus démocratiquement élues. Mais n'est-ce pas le
parlement
élu en 1936, en plein "Front populaire", qui a voté
en 1940 pour Pétain ?
Le fait que le parlement
ait voté les lois Schuman fait prévoir qu'il peut aussi
"légaliser"
un De Gaulle, lorsque le besoin s'en fera sentir. Pour l'instant le
gouvernement
lui a fait endosser ses responsabilités dans la lutte qui se
mène
dans le pays : chaque gréviste assommé, chaque
manifestant
blessé, chaque militant ouvrier emprisonné - le parlement
l'a voté.
A.
MATHIEU.
PROPOS
DE L'OUVRIER, M.
MAYER RECIDIVE ...
Il y a un mois, M.
Daniel
Mayer, ministre du Travail, s'élevait contre le paiement des
heures
de grève.
Il ne faut pas, voyez-vous,
que la grève devienne un congé payé
supplémentaire.
En réalité, le non paiement des
heures
de grève, quand le travailleur n'arrive pas à joindre les
deux bouts même quand il travaille, vise tout simplement à
rendre pratiquement impossible l'exercice du droit de grève. Et
pour ne pas rester en si bon chemin, D. Mayer revint à la charge
la semaine dernière. Il se mit à exalter à la
radio,
"le bon vieux temps" où les travailleurs en grève
risquaient
la mise à la porte et même la prison. A ce
moment-là
au moins, la grève c'était quelque chose !
Aujourd'hui les quelques
garanties que la classe ouvrière a obtenues concernant
l'exercice
du droit de grève (non licenciement, etc...) apparaissent
à
M. Mayer et ses maîtres comme autant de sinécures.
Mais tandis que M. Mayer parlait, la
police
agissait, comme au bon vieux temps, foulant aux pieds toutes garanties.
Pratiquement, pendant
les dernières semaines, le droit de grève a
été
remplacé par "la liberté du travail", sous la menace des
matraques policières.
Ces messieurs n'ont pas
hésité à ramener les travailleurs sous le
régime
des gros risques. Certains même des représentants de la
bourgeoisie
ne rêvent que d'aller jusqu'au bout et de pouvoir punir les
grévistes,
comme il y a cent cinquante ans, par la peine de mort. C'est ce que
prévoyait
la loi Le Chapelier, votée en 1792 par la bourgeoisie.
...Mais si au lieu d'évoquer
les "temps héroïques", pour les ouvriers, M. Mayer le
faisait
pour lui et ses semblables ?
Il apparaîtrait,
alors, que les plus à plaindre, ce sont les parlementaires et
les
ministres qui, au lieu de risquer, comme au "bon vieux temps" de la
Révolution
Française, la prison et même la mort pour leurs
agissements
contre le peuple, engraissent, sous la IV° République,
tranquillement
dans leurs fauteuils de ministre ou de député, ne sont
inquiétés
d'aucune façon, pour aucun de leurs actes et finissent
ennuyeusement
leur vie en souffrant de la goutte.
Le peuple a décidément
eu tort d'avoir laissé transformer en sinécures
grassement
payées des fonctions aussi décisives pour la vie des
masses.
Mais qu'à cela
ne tienne ; que messieurs les ministres ramènent par une
répression
accrue les travailleurs au bon plaisir patronal, et le "bon vieux
temps"
des risques "héroïques" reviendra pour tout le monde...
Avant
tout pour nos impudents ministres.
QUI
IMPOSERA LA DEMOCRATIE ?
Pour
désorganiser
le mouvement gréviste, le gouvernement et le patronat ont
mené
campagne pour le vote à bulletin secret sous prétexte de
faire respecter la volonté des ouvriers.
Or, quelques semaines
avant la grève, chez Renault, au secteur Collas, les camarades
du
Syndicat démocratique avaient justement organisé un vote
à bulletin secret pour soutenir le mouvement des employés
du métro. La majorité se prononça pour la
grève.
Que fit alors la direction de la Régie ? Elle réclama
tout
simplement le licenciement des ouvriers qui avaient organisé le
vote. Et il fallut le double arbitrage de l'Inspection locale du
Travail
et de l'Inspection divisionnaire pour que la sanction ne soit pas
appliquée.
En organisant ensuite
un vote à bulletin secret, le lundi 1er décembre,
à
la porte de Versailles, soi-disant pour faire respecter la
liberté
du travail, la direction de la Régie Renault n'a fait que
dévoiler
son hypocrisie, car dans ce cas, M. Lefaucheux comptait sur une reprise
du travail. En réalité, gouvernement et patronat n'ont
utilisé
le vote secret que comme moyen de faire reprendre le travail aux
ouvriers.
C'est tout ce qui les intéressait.
Mais ce n'est ni au gouvernement,
ni au patronat, de venir faire respecter la démocratie au sein
de
la classe ouvrière. Cela ne les regarde pas. Et leur simple
ingérence
dans les affaires des ouvriers est elle-même une atteinte
à
la liberté ouvrière. Les travailleurs sont assez grands
pour
faire la police chez eux et imposer eux-mêmes le respect de la
démocratie.
NE
PRENEZ PAS LES
"ALLOCATIONS FAMILIALES" DANS
LA POCHE DES TRAVAILLEURS !
Chaque fois que le
problème
des salaires se pose, le gouvernement ne manque pas d'inclure dans les
miettes qu'il jette aux travailleurs, l'augmentation des allocations
familiales.
C'est encore ce qui s'est
produit cette fois-ci.
Pourquoi cette "politique
de la famille" : en fait, aujourd'hui, la plupart des travailleurs sont
incapables de vivre du produit de leur travail. A plus forte raison,
comment
les pères de familles nombreuses pourraient-ils subvenir aux
besoins
de leur nichée ? Il faut bien que le gouvernement leur jette une
aumône supplémentaire, s'il ne veut pas les voir
réduits
à la famine pure et simple.
Mais chacun sait ce que
représentent les allocations familiales : il faut avoir quatre
enfants
pour toucher le salaire d'un O.S. Et qui oserait prétendre qu'un
salaire d'O.S. suffise pour faire vivre quatre personnes ?
D'autre part, comment
est financé le budget des allocations familiales ? Avant la
création
de la sécurité sociale, le budget des allocations
familiales
et celui des assurances sociales étaient complètement
distincts.
Pour les assurances, le patron et les ouvriers versaient chacun une
cotisation
égale. Pour les allocations familiales, au contraire, seul le
patron
versait un pourcentage sur l'ensemble des salaires par lui
payés,
à une "Caisse de compensation" qui versait ensuite les
allocations
au personnel de ses adhérents. C'étaient donc uniquement
les cotisations patronales qui finançaient ces allocations.
Aujourd'hui, assurances
sociales et allocations familiales ont été fondues en une
seule caisse. Résultat : par ce moyen, une partie des
cotisations
ouvrières sert à payer aux familles nombreuses le
supplément
de salaire qui leur est indispensable. Bien plus, dans les
dernières
dispositions prises par le gouvernement, il est prévu que les
1.500
francs subiraient la retenue "sécurité sociale" alors
qu'aucune
cotisation supplémentaire ne serait imposée au patronat
pour
les allocations, celles-ci devant être financées par
l'Etat
: c'est-à-dire les contribuables.
L'augmentation des allocations
familiales, loin donc de représenter un
prélèvement
supplémentaire sur les bénéfices des capitalistes,
est, au contraire, UN MOYEN DE FAIRE PAYER A L'ENSEMBLE DES
TRAVAILLEURS,
LE SOUTIEN DES PLUS DESHERITES D'ENTRE EUX.
Il est normal que les
travailleurs chargés de famille perçoivent un
supplément
de salaire. Mais c'est le patronat, et lui seul, qui doit assumer la
charge
de ce supplément.
F.
LUCIENNE.
Note
: la conclusion n'est pas "dans
la ligne"
de notre position sur les salaires.
Trois camarades du
S.D.R.
se sont présentés au Crédit lyonnais à
Boulogne
pour y déposer les quelques billets que représente la
caisse
du syndicat.
Après de nombreuses
chinoiseries sur les formalités, le caissier principal refusa
d'accepter
le dépôt. (Les grosses banques n'ont pas besoin des
quelques
sous des travailleurs).
"Nous ne pouvons pas vous
ouvrir un compte", dit l'homme au faux col en zinc, "nous n'avons
aucune
garantie, vos statuts mentionnent que les dirigeants du syndicat sont
élus
et révocables à tout instant..."
Vous vous rendez compte, vous, petit
syndicat
de grève, et, Nous Crédit lyonnais. Non, c'est impossible.
Un jour "les petits syndicats de
grève"
démoliront tous les Crédits lyonnais.
Aux fonderies,
atelier 66,
un ouvrier vint demander au délégué une
attestation
affirmant qu'il était gréviste pour pouvoir obtenir, de
la
mairie de Suresnes, où il habite, des repas gratuits dans les
écoles
pour ses enfants.
Le délégué
lui répondit : "Je ne peux pas te donner d'attestation, tu viens
ici juste pour pleurer", et il refusa l'attestation.
Les cégétistes,
qui ont fait appel plusieurs fois aux ouvriers pour qu'ils "tiennent",
avaient une manière bien à eux de les y encourager.
ILS
NE PERDENT PAS LE NORD
Un ouvrier,
syndiqué
aujourd'hui au S.D.R., avait été mis à la porte en
1938. Jugeant la sanction arbitraire, il attaqua le seigneur de
Billancourt
au prud'homme. Il perdit. Ce camarade, qui fut pendant cinq ans
prisonnier,
vient de recevoir une note, l'invitant à payer la moitié
des frais résultant de l'instance prud'homale terminée
par
jugement du 15-2-39 et appel du 15-6-39, soit 286 francs.
Dans sa tombe, Louis Renault
attaque encore les travailleurs.
Au Comité
central
de grève de la Régie Renault, une
délégation
a été formée pour aller signifier à Jouhaux
que, s'étant conduit en briseur de grève, il n'avait plus
de place dans la C.G.T. et, au besoin, lui cracher au visage.
Au département
49, le responsable du comité de grève qui rapportait
cette
décision s'est vu arrêté par cette réflexion
d'un ouvrier : "C'est seulement aujourd'hui que vous vous apercevez que
Jouhaux est un traître ?"
Non, évidemment,
ce n'est pas aujourd'hui que les responsables cégétistes
se sont aperçus de la trahison de Jouhaux. Mais ils ne pouvaient
rien faire, non seulement ils ne pouvaient rien faire contre lui, mais
ils le défendaient (qui se ressemble, s'assemble) contre les
attaques
des ouvriers.
Lorsque Jouhaux revint
d'Allemagne après la "Libération", les
représentants
cégétistes, chez Panhard (porte de Clichy)
expliquèrent
aux ouvriers, au cours d'une assemblée syndicale, que l'on ne
pouvait
pas faire autrement que de remettre Jouhaux à sa place, parce
qu'il
avait été déporté en Allemagne. Les
ouvriers
protestèrent vivement et, écoeurés, les trois
quarts
quittèrent la salle. La résolution demandant le retour de
Jouhaux au secrétariat général fut votée
à
l'unanimité... du quart qui restait.
A la même époque,
chez Citroën, à Levallois, sur proposition d'un camarade
oppositionnel,
une motion réclamant l'exclusion de la C.G.T. de Jouhaux fut
votée
à l'unanimité, moins les trois voix du bureau.
Huit jours après,
le secrétaire général de toutes les usines
Citroën
descendait dans une réunion extraordinaire convoquée
spécialement
pour "expliquer" le cas Jouhaux. Après les "explications" du
bonze
cégétiste, appuyées de la claque organisée,
la motion fut annulée. Depuis, Frachon et Jouhaux se sont
toujours
mis d'accord pour inviter les ouvriers à produire. On n'a aucune
nouvelle du résultat de la délégation
récente
du comité de grève Renault, et Jouhaux et Frachon sont
toujours
côte à côte dans les fauteuils du secrétariat
général de la C.G.T.
Pas d'unité
sans démocratie
Si les ouvriers du L.M.T.,
après avoir voté, quelques semaines auparavant, contre la
grève, sont entrés en lutte, c'est dû, en partie,
à
leur situation actuelle, mais, avant tout, à l'ampleur que
paraissait
prendre le mouvement. Les responsables cégétistes ayant
promis
une grande lutte généralisée, avec toutes les
garanties.
Seuls quelques ouvriers
continuèrent à travailler, dont plusieurs
méfiants,
qui attendaient un mouvement effectif pour s'y joindre. Un ancien
délégué
du 473 était du nombre. Mais la majorité des
grévistes
restèrent chez eux. Quant aux autres (pour la plupart des
cégétistes),
plus combatifs, ils organisèrent la défense de l'usine,
dressèrent
des barricades, formèrent des équipes de garde, etc.
Mais au bout de trois
semaines de grève, l'inquiétude finit par gagner les
grévistes
malgré les bals et les tombolas. La police et le renvoi ne les
effrayaient
pas. Au contraire, tous étaient prêts à lutter,
mais
l'unanimité, qui est tout, n'existait pas et chaque
gréviste
se sentait impuissant contre cela.
- Il faut s'unir à la base,
disait
un délégué.
- Si tous les gars marchaient,
reprenait
un ouvrier, nous ferions des manifestations.
- Si toutes les corporations
arrêtaient
en même temps, ça ne durerait pas si longtemps, ajoutait
un
autre, énervé.
Quant au
délégué
cégétiste Deveau, qui sentait de quel côté
venait
le vent, il avait découvert les coupables et déclara,
dans
une assemblée générale : "Si le mouvement n'est
pas
unanime, c'est la faute de ceux qui criaient à la grève,
avant, et qui, maintenant, font les jaunes".
Mais qu'avait dit M. Deveau
à cette époque-là ? "Un tel mouvement se
heurterait
à la police et à la réaction fasciste. La classe
ouvrière
n'est pas prête."
Que pouvaient penser les
ouvriers du L.M.T. quand ce même Deveau, ces jours derniers,
envisageait
l'intervention de la police pour faire voir comment les ouvriers savent
se battre (sic), alors que ceux-ci étaient divisés,
affaiblis
et que certains d'entre eux, après avoir écouté la
C.G.T., parlaient de reprendre le travail isolément parce qu'ils
se sentaient trahis. Quand, dans une réunion, un
délégué
cégétiste, après un laïus interminable sur la
force d'un grand mouvement généralisé,
déclarait
à un ouvrier que le bureau confédéral était
contre ?
Le bluff des girouettes
cégétistes du L.M.T. n'aura pas trompé les
ouvriers.
Les défaites changées en victoires ne peuvent que les
détourner
davantage de la lutte.
En réalité,
même des délégués cégétistes,
au L.M.T., arrivèrent à comprendre que seul un
regroupement
démocratique de tous les ouvriers à la base peut assurer
l'unanimité, gage essentiel de leur victoire.
"Les
stratèges"
A la gare Montparnasse,
voici comment le travail a repris, au moins en ce qui concerne le
secteur
aiguillage : la direction, carrément, demanda au personnel de
cesser
la grève. Les seules conditions que posèrent les
délégués
cégétistes locaux furent qu'aucune sanction ne serait
prise
contre le personnel. Or, il se trouve justement que les responsables
syndicaux
occupent les bonnes places, en vertu de la politique qui consiste
à
se caser aux postes importants, soi-disant en vue du Grand Jour. On
comprend
leur réticence !
La direction accorda cette
condition et le travail reprit. Pendant trois ans, ces soi-disant
représentants
ouvriers ont justifié leur arrivisme en expliquant que la
tactique
est de s'emparer "en douce" des points stratégiques. Mais le
moment
de la bataille venu, on voit à quoi ils leur servent : non
à
combattre, mais à capituler.
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