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chronologie 1948 |
N° 33 |
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4 FEVRIER 1948
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Rendez-vous de 18h à 20h :
café-tabac «Le
Terminus» angle r. Collas av. Edouard Vaillant. M° Pont-de Sèvres |
Rien que depuis le 31 décembre, le coût de la vie s'est officiellement élevé de 14%. Or, dans la plupart des usines, les ouvriers n'ont même pas touché, au jour d'aujourd'hui, l'augmentation prévue au 1° décembre. Opération fructueuse pour le patronat, que de verser des acomptes de 5 fr. ou même de 2 fr. (comme chez Renault pour les manoeuvres), sur une augmentation qui vaudra moins de la moitié, au moment où elle sera versée, par rapport au moment où elle a été "accordée". Les abus que le patronat ne cesse de multiplier depuis deux mois contre les ouvriers, ne se résument pas seulement à cette escroquerie. A cela s'ajoutent : la complication volontaire du calcul des salaires, d'où écarts considérables entre ouvriers d'une même catégorie, les vols du patron sur cette partie instable du salaire que constituent primes, boni, etc..., la cadence sans cesse augmentée, les vexations et les brimades de toutes sortes, la surveillance policière, la cantine misérable. C'est devant cette aggravation flagrante de la situation que le syndicat démocratique Renault, par un tract, appelle les ouvriers à résister, car PLUS LES OUVRIERS BAISSENT LA TETE, PLUS LA DIRECTION LEVE LA TRIQUE. Si cet été, continue le tract, nous avons pu tenir tête à la direction, ce n'est pas parce que nous étions en meilleure posture pour le faire, mais parce que nous avions confiance en nous-mêmes. Il est vrai que la grève de novembre a été un échec, mais un échec dû à la direction cégétiste et un échec à prévoir : les ouvriers n'avaient pas manqué de manifester leur méfiance "contre un mouvement de grève généralisé dont l'initiative aurait appartenu à la C.G.T." (Tract du S.D.R., 22 octobre 1947). Mais l'année dernière aussi, avant les luttes de cet été et de cet automne, la situation ne paraissait guère plus favorable. Il y a un an à pareille époque, le patronat menait contre les ouvriers la même politique de répression : pour diffuser un tract, protestant contre les bas salaires, les chronométrages arbitraires ou le manque total de protection dans le travail, il fallait agir clandestinement, sous peine de se faire mettre sur-le-champ à la porte. La classe ouvrière pliait sous le joug de la collaboration et de la complicité de leurs soi-disant représentants syndicaux (frachonistes et jouhaussistes "unis" dans la C.G.T.) avec le patronat. Devant cette coalition unanime contre eux, les ouvriers avaient la sensation de ne pouvoir agir. Ainsi, personne ne "voulait" faire la grève. Des années de collaboration de classe semblaient avoir définitivement maté les ouvriers. Et cependant la classe ouvrière a été capable d'agir. Elle a voulu, et elle a fait la grève. Le magnifique mouvement de mai a surgi d'en bas, envers et contre tout. Or, après avoir déjà montré pendant des mois qu'elle sait lutter et se défendre, la classe ouvrière est d'autant plus capable aujourd'hui de le faire. Ce n'est donc pas un hasard si le S.D.R. dans son tract, fait à nouveau appel à la confiance des ouvriers en eux-mêmes. Comme il y a un an, ce n'est que dans la mesure où ils auront repris confiance dans leur capacité de tenir tête au patronat qu'ils pourront résister à sa politique criminelle. Même si pendant les luttes de cet été les ouvriers, parce que mal dirigés, n'ont pas obtenu la satisfaction de leurs revendications essentielles, ces luttes leur avaient fait gagner, vis-à-vis du patronat, une certaine liberté sans laquelle ils seraient totalement écrasés sous son talon de fer. Ce qui doit donner confiance aux ouvriers : c'est ce qu'ils ont été capables de faire dans des circonstances qui ne leur étaient pas plus favorables. Ayons confiance en nous-mêmes, c'est-à-dire en ce que nous avons déjà fait ! Quels que soient les obstacles que ses ennemis lui opposent, la classe ouvrière repassera à l'attaque. Elle ne doit pas baisser la tête, parce que le patronat ne lèverait que plus haut la trique ! Le S.D.R. mène campagne depuis longtemps contre la duperie des primes de toute sorte, allouées aux ouvriers en guise de salaire, tout en maintenant leur salaire de base au même taux. Ces primes mettent l'ouvrier à la merci du patron. Leur montant n'étant pas intégré dans le salaire, elles sont considérées comme des suppléments, des gracieusetés du patron, et ce dernier se réserve le droit de les supprimer quand bon lui semble. Or, quel est l'ouvrier qui, à l'heure actuelle, pourrait se contenter uniquement de son salaire de base pour vivre ? On se rappelle comment, chez Renault, lors de l'augmentation des 11%, la direction a pu, à la suite de savants calculs, n'accorder aux ouvriers que 0 fr.60... en restant dans le cadre de la loi ! Il lui a suffi de se livrer à un tour de passe-passe : elle a bien accordé les 11% prévus sur le taux de base, mais a supprimé en même temps diverses augmentations que les ouvriers en lutte lui avaient arrachées, mais qui, n'ayant pas été intégrées dans le taux de base, avaient été payées au titre de "primes". Aujourd'hui, encore davantage, les travailleurs ont pu se convaincre combien ils étaient volés. Les journaux parlent couramment de rajustement de 30 et 40%, mais quand les mensuels font le calcul de ce qu'ils touchent, ils s'aperçoivent que c'est à peine 1.000 ou 1.500 francs de plus que ce qu'ils gagnaient auparavant. Pourquoi cela ? C'est que cette augmentation n'est prévue que sur le taux de base. Toute la partie de salaire constituée par les primes (qui représentent souvent la moitié de ce que gagne un ouvrier) reste inchangée. L'augmentation ainsi se réduit de moitié. Bien plus, la loi prévoit la suppression de certaines de ces primes. La prime de vie chère, par exemple, que l'on touche depuis la grève de novembre, leur est enlevée. Le patronat peut ainsi, de complicité avec le gouvernement, se livrer au jeu de "qui perd gagne", permettant de maintenir les salaires à un niveau sensiblement égal, tout en lançant dans le public des chiffres d'augmentations importantes. Mais les ouvriers ne resteront pas indéfiniment passifs devant ces méthodes qui les grugent. A l'arsenal de Toulon, les primes de rendement sont considérées comme faisant partie du salaire, et les ouvriers malades les perçoivent au même titre que ceux qui travaillent. A l'usine aéronautique de Billancourt, le samedi 31 janvier, les ouvriers ont empêché le départ du prototype de l'avion-cargo "Cormoran", pour exiger que les primes de rendement versées pour l'achèvement du prototype soient intégrées dans le salaire de base.
Leur propre
expérience
oblige les travailleurs à lutter pour les revendications
essentielles
mises en avant par le S.D.R. Pierre
BOIS.
Prochainement, les ouvriers et techniciens du Livre doivent se prononcer par un référendum au sujet de l'orientation organisationnelle de leur Fédération : rester dans la C.G.T., rallier "Force Ouvrière" ou devenir autonome. C'est pourquoi la presse syndicale du Livre est consacrée presque entièrement à la discussion de ce problème décisif. Les partisans de l'unité dans la C.G.T., les frachonistes, brandissent l'épouvantail de la scission, et pour se faire pardonner leurs erreurs passées, vont jusqu'à renier Croizat, secrétaire de la Fédération des Métaux-C.G.T. qui avait calomnié les grévistes du Livre en février 1947, en les traitant de "collaborateurs" et d'"agents de la réaction". C'était l'époque où, selon Frachon et Cie, la grève était "l'arme des trusts". La propagande pour "Force Ouvrière", vu le petit nombre de ses partisans et son manque de sympathie à la base, est inexistante dans la presse. La grosse majorité se prononce pour la création d'un syndicat autonome, comme le seul moyen, dans la situation actuelle, de maintenir l'unité de toutes les tendances. Il est certain que, si on ne considère pas l'autonomie comme un refuge vers le corporatisme, mais comme un moyen de s'émanciper de l'emprise bureaucratique des deux appareils, frachoniste et jouhaussiste, la position autonomiste est un moindre mal, en attendant le regroupement démocratique de la classe ouvrière dans une C.G.T. révolutionnaire. Les camarades du Livre ont trop de tradition de lutte et suffisamment de maturité pour ne pas se rendre compte que, plus que jamais, le succès de leurs luttes est lié au succès des luttes de toute la classe ouvrière. UN
TYPO.
Le plus sûr moyen Comme dans les autres usines, les ouvriers ont l'habitude, en raison de leur maigre salaire, de réclamer chaque semaine un acompte. Cette semaine, la direction a eu le cynisme de leur faire savoir qu'elle possédait en caisse 75 millions, mais qu'étant donné le retrait de la circulation des billets de 5.000 francs, elle ne pouvait leur accorder l'acompte habituel. Il y a 4.000 ouvriers chez Simca qui reçoivent 2.000 francs d'acompte chacun, ce qui porte à 8 millions la somme que la direction doit verser chaque semaine. Estimant, avec raison, que sur une telle somme, le patron possédait certainement 8 millions qui ne fussent pas en billets de 5.000 fr., les ouvriers arrêtèrent les machines pendant une heure, d'un commun accord. Le patron trouva alors miraculeusement les 8 millions nécessaires, dévoilant de la sorte sa mauvaise foi. Ce n'est pas la première fois, ni sans doute la dernière, que la direction se retranche derrière son hypocrite "je ne peux pas..." jusque dans les plus petites choses. Mais les ouvriers ont désormais la preuve que l'action directe est le plus sûr moyen de débusquer le patron de ses positions. Les caisses de secours aux chômeurs ont rouvert leurs portes. Mais, pour dérisoire qu'elle soit (70 francs par jour !), l'allocation n'est pas chose facile à obtenir.
Tout d'abord, chaque
chômeur
doit se présenter au bureau, sans rien toucher, tous les jours
pendant
cinq jours, délai au bout duquel l'ouvrier doit être
casé.
Le travail, quel qu'il soit, le chômeur est tenu de l'accepter.
Sinon,
pas de secours ! C'est ainsi qu'une ouvrière qualifiée
à
dû accepter un emploi d'O.S. machine (ce qui n'empêche que,
par ailleurs, on se plaigne du manque de main-d'oeuvre
qualifiée...).
Qu'un ouvrier ne pouvant travailler qu'assis est obligé de
prendre
un emploi où il est obligé de rester debout. Non seulement, on case les ouvriers n'importe où et on les oblige à se soumettre aux conditions de travail les plus désavantageuses, mais encore on leur inflige des humiliations de toute sorte : une ouvrière qui, n'étant pas prévenue, ne s'est pas présentée un jour sur les cinq de pointage obligatoire, s'est vue contrainte de recommencer une nouvelle série de cinq jours, sans être payée. La bourgeoisie ne se contente plus de faire trimer les ouvriers et de les voler, elle voudrait les réduire à la mendicité. Mais les chômeurs ne se laisseront pas traiter en mendiants ! |