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N° 43
 PRIX : 4 francs
21 AVRIL 1948 

L’EMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA L’OEUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MÊMES
La Voix des Travailleurs


 

  ORGANE DE LUTTE DE CLASSE

 

NI DU NEUF,NI DU RAISONNABLE !
    En réclamant un gouvernement d'union démocratique, la résolution finale du comité central du P.C.F., qui vient de se tenir les 15 et 16 avril, à Gennevilliers, confirme qu'en politique non plus l'on ne saurait rester assis entre deux chaises.
    Tel est bien le cas du parti stalinien en France. Ce fut uniquement la peur d'être débordés par les trotskystes qui obligea les ministres staliniens à donner leur démission, quand la grève Renault d'avril 1947 révéla que les ouvriers en avaient assez de la misérable politique du produire d'abord, revendiquer ensuite, grâce à laquelle Thorez était arrivé à la charge de "ministre d'Etat". Phraséologie "révolutionnaire" sans révolution, verbiage revendicatif sans aucune véritable lutte pour les salaires, tantôt en brisant les luttes commencées par d'autres, tantôt en lançant dans des combats décisifs seulement la minorité des travailleurs (grève de novembre-décembre), tout cela n'avait qu'un but de la part des dirigeants du P.C.F. : reprendre leurs troupes en main, lasser la classe ouvrière qui avait osé troubler leur quiétude ministérielle !
    N'étant partis que pour empêcher les travailleurs de trouver une voie nouvelle, la lutte véritable, côte à côte, avec les ouvriers du rang, leur fait l'effet de strapontins ; après avoir réussi en grande partie leur travail de démoralisation, les chefs staliniens ne pouvaient donc que briguer à nouveau quelques misérables fauteuils ministériels.
    Car gouvernement d'union démocratique, c'est cela et rien de plus. Ennemi de l'action indépendante des travailleurs, craignant comme la peste la révolution socialiste, inséparable d'une véritable démocratie ouvrière, que reste-t-il à Thorez pour étayer ses prétentions gouvernementales, sinon l'arithmétique parlementaire ? Or celle-ci le pousse, encore et à nouveau, dans les bras des Blum, des Bidault et autres "démocrates" ; c'est pourquoi, encore et à nouveau, il tend la main ; mais, comme l'a fait remarquer un journaliste, tel un dieu hindou, il en tend d'innombrables ! Dans tous les sens, même opposés, ajouterons-nous : au catholique-ouvrier et au catholique-prêtre, au démocrate-ouvrier et au démocrate-politicien, au résistant-ouvrier et au résistant-patron ; en un mot, aux exploités en même temps qu'aux exploiteurs. Mais, si l'on tend la main au patronat sous prétexte de démocratie, de résistance et d'anti-américanisme, c'en est fait de la lutte pour un véritable minimum vital, pour l'adaptation des salaires au coût de la vie en réduisant les profits des capitalistes et pour le contrôle sur les livres de comptes des requins de la finance et l'industrie ; car on ne peut pas, en même temps, s'unir et s'attaquer à quelqu'un !
    De son côté, De Gaulle se livre au même jeu. Seulement, dans son jargon, la politique de la main tendue prend nom de j'en appelle à tous. Il a, lui aussi, besoin, le pauvre homme, des Schuman, des Herriot, des Daladier, des Blum et autres parlementaires du même calibre, pour "sauver la France", c'est-à-dire revenir au gouvernement. Le fait qu'il réclame de nouvelles élections ne change rien à l'affaire : s'unir au Parlement ou s'unir pour des élections parlementaires n'est qu'une seule et même opération.
    Ainsi, grâce à Thorez et grâce à De Gaulle, le ramassis de politiciens qui a dirigé les destinées de la Troisième République et qui a survécu à toutes ses catastrophes reste l'arbitre de la situation politique et le maître du destin de la France, sous le nom de Troisième Force. Vieille et grimée, elle ne doit, en réalité, son existence qu'à un équilibre instable entre les forces de De Gaulle et celles de Thorez et leurs ambitions gouvernementales.
    Tous ces gens, réunis, prétendaient cependant, il y a quelque trois ans, faire ensemble du neuf et du raisonnable. Mais il n'y a rien de raisonnable dans le fait que le peuple français, débarrassé du règne sanglant de Pétain et de Hitler, ait été obligé d'en revenir au vieux système pourri de la Troisième République (qui avait précisément engendré le pétainisme) et de se mettre sous la coupe des banquiers de New-York.
    Est-il étonnant que rien de neuf non plus n'ait été fait ?
LA VOIX DES TRAVAILLEURS.



LA CLASSE OUVRIERE SE DEFEND MAIS SES ORGANISATIONS BUREAUCRATISEES NE LA DEFENDENT PAS
    Le patronat ne connaît pas de trêve dans la lutte de classe qu'il impose constamment à la classe ouvrière. Quand celle-ci arrache une victoire, il essaie de reprendre de la main gauche ce qu'il a été obligé de lâcher de la droite. Quand elle subit un échec, il en profite aussitôt pour pousser plus loin ses "avantages". C'est ce qui se produit depuis le mois de décembre : partout les capitalistes s'attaquent à la dignité et aux libertés des ouvriers, à leurs conditions de travail pour les rendre plus pénibles, à leurs salaires pour les ramener plus bas (dans maint endroits les ouvriers ont été ramenés, par divers procédés, aux salaires d'avant novembre).
    Si dans un endroit et dans l'autre les ouvriers répondent par des grèves partielles à l'augmentation de la cadence, aux licenciements massifs ou au renvoi de responsables syndicaux, c'est là la preuve que, s'ils ont été trahis dans leurs luttes par les dirigeants bureaucratisés, ils n'acceptent pas encore de se soumettre au patronat.
    "La classe ouvrière se défend", s'écrie triomphalement Frachon dans L'Humanité du 17 avril.
    Oui la classe ouvrière se défend ! Mais la classe ouvrière se défend aujourd'hui non pas en attaquant le patronat comme elle l'avait fait, en mai dernier, en posant ses propres revendications pour un niveau de vie plus digne. La trahison, par les Frachon et Cie, de la lutte gréviste commencée au mois de mai de l'année dernière, a réduit la classe ouvrière à se défendre péniblement pour parer les coups que veut encore lui porter le patronat. Elle se défend, mais la confiance dans sa force, son union, ses mots d'ordre et ses dirigeants lui manque, pour pouvoir aller courageusement de l'avant. Est-ce cela la victoire des Frachon ?
    Quand la classe ouvrière a réellement voulu se défendre, ses dirigeants bureaucratiques l'en ont empêchée. Si, aujourd'hui que la situation de la classe ouvrière a empiré, les Frachon crient victoire, c'est parce qu'ils sont restés les mêmes qu'il y a un an, étrangers aux intérêts des travailleurs, sabotant leurs luttes et criant victoire quand, après avoir réussi à les briser, ils peuvent plus facilement s'emparer des leviers de commande. Les ouvriers sont pour eux ce que sont, sur le champs de bataille, les soldats pour les généraux, un prétexte pour crier victoire.
Oui, la classe ouvrière se défend, mais les organisations bureaucratisées ne la défendent pas !

En mai dernier, pour s'unir et attaquer le patronat, les ouvriers avaient rejeté les dirigeants traîtres ; Quand ils seront à nouveau capables de le faire, ils pourront vraiment défendre leurs libertés et leurs conditions d'existence.


A la R.N.U.R.OU VEULENT EN VENIR LES DIRIGEANTS CEGETISTES ?
    Les raisons de faire grève, chez Renault comme partout, ne manquent pas. En premier lieu, le problème du salaire lui-même : la direction a si bien jonglé avec les textes gouvernementaux, que pour la première fois depuis la mise en Régie, les ouvriers se trouvent payés à un taux de base inférieur au minimum légal de leur catégorie.
    Mais, s'il n'est nul besoin de "fomenter" des grèves pour que les ouvriers y recourent, comme en ce moment, pour riposter aux attaques de la direction visant l'augmentation des cadences et la diminution des salaires, la façon dont elles sont conduites amène la question : où veulent en venir les dirigeants cégétistes avec leurs grèves, tantôt pour un motif, tantôt pour un autre, sans aucune liaison, ni aucune coordination ?
    Tout d'abord, pour savoir que tel département de chez Renault est en grève, il faut lire les quotidiens, et, spécialement L'Humanité qui n'enregistre tous les jours que "victoires". Car dans l'usine, ni tracts ni réunions, même les ouvriers en grève ignorent les revendications qui sont présentées à la direction.
    A la 4 CV, ainsi qu'aux presses de la tôlerie, les ouvriers ont obtenu satisfaction. Leur salaire était tellement anormal et inférieur au reste de l'usine (62 et même 59 fr. pour un OS à la tôlerie), que la direction a dû céder, bien que même maintenant les ouvriers soient payés à un tarif inférieur aux autres secteurs.
    Au Dép.95, par contre, les ouvriers ont fait grève pour revendiquer que la perte de salaire résultant de la suppression de 4 heures supplémentaires soit compensée par une augmentation du salaire horaire. Accorder cette revendication, c'était pour la direction admettre le principe d'une limitation de la journée de travail pour un même salaire. Elle a refusé. Et les délégués se sont inclinés, en déclarant que la direction voulait pousser à une grève générale pour pouvoir se débarrasser des délégués, et qu'il fallait cesser la grève pour ne pas faire son jeu.
    Dans leur presse, les dirigeants cégétistes affirment que les ouvriers luttent, en même temps que pour des revendications particulières, pour l'augmentation générale des salaires, qu'ils chiffrent à 36% (équivalant à l'augmentation de décembre non accordée par la direction).
    Pourquoi, dans aucun des mouvements qui ont lieu, ne posent-ils la revendication des 36%, qu'ils "défendent" dans leurs journaux ?   
    Pourquoi ne posent-ils pas la revendication du paiement des heures de grève et répondent-ils aux ouvriers qui la réclament qu'on peut aussi bien s'arranger avec les collectes faites dans l'usine ?
    Pourquoi ne posent-ils aucune revendication qui attaque le système de rémunération au rendement, cause de tous les conflits actuels ?
    Pourquoi le Comité d'entreprise ne prend-il ses responsabilités pour publier les chiffres que les ouvriers auraient intérêt à connaître, tels que le détail des frais généraux, les sommes investies dans l'achat de nouvelles machines, alors que les revendications des ouvriers ne sont pas satisfaites, les appointements de la haute maîtrise (Grillot, Lefaucheux, etc.), la part versée aux concessionnaires pour la vente des voitures, et, enfin, la part des obligataires dont le seul travail est d'encaisser les bénéfices ?...
    C'est que les responsables cégétistes ne recherchent pas la satisfaction des revendications ouvrières, mais uniquement un bilan de "victoires". Et il est d'autant plus facile d'obtenir la victoire, qu'on n'a rien demandé.
    Mais l'attitude qu'ils prennent, aujourd'hui, d'entretenir une agitation dans l'unique but de prouver leur "emprise sur les masses" et obtenir leur retour au gouvernement, n'est pas faite pour redonner aux travailleurs la confiance en eux-mêmes, diminuée par l'attitude antiouvrière des dirigeants cégétistes dans les grèves de l'année dernière.
    C'est pourquoi, comme le dit le dernier tract du S.D.R., aux attaques patronales, les ouvriers doivent répondre en élaborant eux-mêmes leurs revendications, en définissant eux-mêmes les moyens de les faire aboutir.
    Ils ne laisseront pas la responsabilité de leurs luttes à des chefs sans scrupules qui veulent spéculer sur leur action pour se hisser à nouveau dans le repaire de brigands qu'est le gouvernement, au lieu de faire aboutir les revendications.
P. BOIS.



LE PRIX DE LA VERITE
    Aux premiers coups de feu de Bogota, la presse unanime, reconnaissait la main de Moscou dans l'insurrection de la capitale colombienne, où siège justement, en ce moment, la Conférence Panaméricaine, sous l'égide de Marshall.
    Mais à peine quelques jours s'étaient-ils écoulés, que nos journalistes, tout à coup, se ravisaient : on avait exagéré ! "Les communistes en Colombie sont une infime minorité : 8.000 environ pour une population de près de 11 millions d'habitants", rectifiait Le Monde du 13 avril.
    Finalement, il s'avère que le danger "communiste" (les gens de Moscou) en Colombie est minime sinon imaginaire. Le danger    "communiste" ? Il existe, certes, mais en Europe, non pas en Amérique latine. Il ne faudrait donc pas que, sous prétexte de le combattre dans leur voisinage immédiat, les Etats-Unis n'accordent plus à l'Europe la même attention..., c'est-à-dire la même part des fonds que lui destinait jusque-là le Plan Marshall. Pour les 8.000 communistes de Colombie, c'est déjà bien assez des 500 millions de dollars qui leur ont été alloués !
    Pour une fois, mal en avait pris à nos journalistes d'emboucher si vite la trompette américaine de l'anticommunisme. Ils se sont aperçus à temps qu'à partager les mêmes dangers, il faudrait partager les mêmes secours. Quelques centaines de millions de dollars en péril valaient bien un revirement aussi brusque. Ils valaient bien un aveu de la part du Monde qui, du même coup, est obligé de découvrir toute la vérité sur la situation en Colombie. "En réalité, comme le font remarquer maint observateurs fort avertis des problèmes américains, c'est à la source économique et sociale de ces pays - qu'il faut remonter pour situer la cause des mouvements séditieux. Les républiques latines reflètent dans l'hémisphère occidental l'image du Moyen-Orient : mêmes élites vivant dans l'opulence, mêmes masses ignorantes et miséreuses."    
    Les dollars en jeu valaient bien la peine de cet aveu, dût-il encore prouver que la presse capitaliste n'est que bourrage de crâne, vendue au plus offrant.  



"DEMOCRATIE" IMPERIALISTE EN ALGERIE
    Quoi qu'il en soit, l'Assemblée algérienne comprend une majorité suffisamment solide pour travailler sans heurts", écrivait Le Monde, le 13 avril, en se félicitant du triomphe des partisans du colonialisme.
    Le fascisme a montré déjà comment on "fait" des élections. Une lettre ouverte, adressée par le M.T.L.D. (parti de l'indépendance algérienne) au gouverneur général de l'Algérie, et sur laquelle tous les journaux ont fait silence, donne une idée de la façon dont a été obtenu le succès électoral des champions de l'impérialisme français en Afrique du Nord :
    Suppression de la presse d'opposition (El Mogrib, El  Arabi) ; internement dans sa villa du chef du M.T.L.D. Messali Hadj ; des arrestations par centaines, sous prétexte d'"atteinte à la souveraineté française", dont celle de 21 candidats qui, internés à la prison d'Alger, au régime de droit commun, font la grève de la faim depuis le 8 avril pour obtenir leur droit au régime politique ; absence complète de contrôle sur les opérations électorales par l'interdiction des bureaux de vote aux délégués des candidats, etc.
    "C'est cette mesure qui vous a permis, monsieur le gouverneur, de nommer et non d'élire vos "administratifs" qui vous garantissent une confortable et tenace majorité de deux tiers...
    "C'est cette mesure, enfin, qui engage directement M. le gouverneur, votre responsabilité et celle de votre administration dans la tuerie d'Aumale". (Lettre ouverte au gouverneur général).   
    Voilà le vrai visage de la "démocratie au sein de l'Union française"...



C H E Z  R E N A U L T
A l'atelier 95
    A l'atelier 95 (entretien) les ouvriers ont fait grève, grève d'avertissement d'une heure le lundi et grève totale le mardi à deux heures. La revendication mise en avant par la C.G.T. était la suivante : "Augmentation des salaires sous n'importe quelle forme, de façon que le paiement des 100 heures par quinzaine effectuées actuellement soit égal à celui des 104 heures effectuées il y a un mois, avant le nouvel horaire de travail". En effet, les ouvriers estiment fournir aujourd'hui en 100 heures le même travail qu'auparavant en 104 heures, puisque l'entretien de l'usine est toujours le même et que, de toute manière, ils doivent le mener à bien.
    Cette revendication s'est heurtée à un refus catégorique de la direction. Les ouvriers ont alors reculé et repris peu à peu le travail jusqu'au mercredi à 5 heures, quand le délégué est venu leur recommander de cesser la grève, sinon "c'était faire le jeu de la direction".
    Néanmoins, cette revendication mérite d'être retenue. Elle marque la volonté de ces ouvriers d'obtenir un meilleur salaire pour un nombre d'heures moins grand.
    Les ouvriers ont d'autant plus raison d'avancer cette revendication que le salaire, en régime capitaliste, ne dépend nullement de la production, mais de la lutte qu'ils mènent pour le défendre.
D.M. (atelier 95)
Au département 49
    A la suite de l'écho "Unité d'action" paru dans La Voix n° 41, L'Acier, spécialiste de calomnies en tous genres, a soulevé l'indignation des ouvriers par son "interprétation" de l'action menée au département 49. Voici à ce sujet la réponse des camarades du S.D.R. de ce département.
*   *   *
    Un camarade du S.D.R. et un camarade cégétiste avaient pris l'initiative de faire circuler un pétition aux ateliers 49.58,
49.61, 49.67, revendiquant qu'il soit percé des fenêtres sur la rue Emile-Zola (cette revendication ayant été déposée depuis deux ans et n'ayant pas abouti). Ils portèrent cette liste de pétition, signée de tous les ouvriers, au chef de département, qui promit de faire le nécessaire.
    En agissant ensemble, les camarades de la C.G.T. et du S.D.R. ont montré que l'unité des ouvriers peut se faire, quelle que soit leur appartenance syndicale, politique ou autre.
    Cette unité n'a pas plu à MM. les responsables de la C.G.T., qui ont fait beaucoup de tapage avant que les fenêtres soient percées. C'est ainsi que dans leur bulletin local, ils prétendent avoir fait aboutir cette revendication et passent sous silence l'action des ouvriers.
    Dans L'Acier, ils ne se content pas de falsifier les faits, ils insultent et calomnient les ouvriers du S.D.R.
    Pour eux, l'unité d'action des ouvriers appartenant à des organisations différentes, c'est la division.
    Ce qui les rend hargneux, c'est de voir les ouvriers et même les cégétistes ne pas prendre leurs arguments au sérieux et sympathiser avec nous.  
Le 18.4.48.


Propagande R.P.F.
    La gaulliste Etincelle Renault amuse son public avec des ragots et des petites histoires sur les leaders du P.C.F. ; mais ce n'est que pour faire passer plus facilement sa marchandise sérieuse, qui consiste à enseigner aux ouvriers la soumission.
    A quoi bon faire grève ? "Les travailleurs français de 1948 ont une législation qui les protège, une Inspection du Travail qui les défend, des syndicats qui doivent parler en leur nom, des délégués au pouvoir certain..."
    Heureux ouvriers ! Mais curieuse argumentation pour des gaullistes, ennemis déclarés de la Constitution...
    Cependant, l'argument massue, c'est celui que L'Etincelle arbore en slogan : "La première victime de la grève c'est ton porte-monnaie". Ces messieurs ne veulent faire au patron nulle peine, même légère. Ce n'est pas eux qui iront revendiquer le paiement des heures de grève, quand la rapacité patronale oblige les ouvriers à recourir à leur seule arme efficace.
    Sans doute, la grève sabotée par des chefs traîtres fait du mal au porte-monnaie de l'ouvrier (novembre 1938, novembre-décembre 1947) ; mais la grève dirigée par les ouvriers eux-mêmes fait du mal aux coffres-forts des patrons et améliore le standard de vie de l'ouvrier (juin 1936 : semaine de 40 heures, congés payés, conventions collectives, etc...).
    Sans doute, que L'Etincelle se le tienne pour dit, si la classe ouvrière arrive à se débarrasser de ses chefs traîtres, ce ne sera pas pour aller chercher les représentants militaristes et réactionnaires de la bourgeoisie.


IL Y A UN AN ...
    Il y a un an, le 25 avril, les ouvriers du secteur Collas, chez Renault, en se mettant en grève pour un "véritable minimum vital", déclenchèrent un mouvement revendicatif qui s'étendit ensuite, par étapes, à toute la classe ouvrière.
    Ce mouvement rompait avec deux années et demie de soumission complète des travailleurs au bon plaisir des patrons, soutenus par toutes les tendances syndicales officielles (C.G.T. frachoniste et jouhaussiste, C.F.T.C., etc.). Et il ouvrait une nouvelle période de renaissance du mouvement ouvrier qui, malgré les revers actuels dus à la puissance encore debout des vieux bureaucrates syndicaux, n'est pas close.
    Il n'est pas inutile que les lecteurs de La Voix, dont une grande partie est précisément de ceux qui ont participé à cette grève, trouvent ici un historique des événements de l'année dernière.
    La grève fut préparée de longs mois à l'avance, par le travail d'un petit nombre de militants ouvriers groupés autour du journal La Lutte de classes (organe de l'Union communiste-trotskyste). La fraction Renault de ce groupe (créée pour renverser les capitalistes et instaurer la démocratie économique et politique ouvrières), appela les travailleurs à plusieurs reprises, par des tracts à changer complètement d'orientation.
    Ainsi le 7 janvier, dans un tract, elle concluait : "Ce qu'il faut faire, c'est dire à la bourgeoisie et à nos soi-disant représentants : Nous n'avons plus confiance en vous, ni en vos discours, ni en vos manoeuvres. Nous n'avons confiance qu'en une seule chose : notre action."
    Le 13 février, elle commença à publier La Voix des Travailleurs de chez Renault (dont notre journal n'est que la continuation), qui proclamait : "Nous en tant qu'ouvriers, nous avons décidé de discuter, au moyen de ce bulletin, quelle est l'attitude qu'on doit avoir ; nous voulons opposer la conception de la majorité des ouvriers prise sur le vif, à ceux qui prétendent avoir le secret du "bon point de vue" et qui n'hésitent pas, pour faire triompher ce point de vue, même quand il est en contradiction avec l'opinion de la majorité des ouvriers, à employer des procédés répugnants."  
    Par ses tracts et par La Voix des Travailleurs de chez Renault, le groupe réussit à donner aux ouvriers confiance en eux-mêmes et à les amener à prendre en leurs propres mains la défense de leurs intérêts.
    Et c'est ainsi que, le 23 avril 1947, eut lieu l'assemblée générale des ouvriers du secteur Collas qui décida la grève déclenchée le vendredi 25 avril.
    Elle avait pour but immédiat une augmentation de 10 francs sur le taux de base et le paiement des heures de grève.
Nous reproduisons ci-dessous le compte rendu publié à l'époque dans La Lutte de Classes n° 89 (26 avril 1947). "Le camarade" qui prit le premier la parole et dont le compte rendu devait encore taire le nom, c'est le camarade Pierre Bois.     Nous continuerons à rappeler dans les prochains numéros les principales étapes de la grève.
    A 12 h.30, lorsque j'arrive, le trottoir (large d'au moins 8 mètres) est encombré d'ouvriers qui sont là, par dizaines et discutent ; tandis que, par paquets, les ouvriers sortant de la cantine continuent d'affluer. Toutes les conversations roulent sur le même sujet : ce qui va se passer tout à l'heure. Et le mot de grève circule. Un tract diffusé dans la matinée, de la main à la main, nous a fait savoir que le Comité de grève, élu à l'Assemblée générale précédente par 350 ouvriers contre 8, a tenu à nous réunir afin de nous mettre au courant des démarches qu'il a effectuées auprès de la direction.
    Une heure donnée doit être respectée, et à 12 h. 30 précises, un camarade, qui est déjà sur la fenêtre, commence à parler. Au premier rang de cet auditoire, bien plus nombreux que la fois précédente, où se retrouvent presque tous les ouvriers des deux départements faisant la "normale", soit quelque 700 ouvriers, des coups d'oeil significatifs s'échangent ; les visages sont plutôt gais, quoique les esprits soient tendus. Le camarade explique brièvement, en termes clairs, l'échec de la délégation, auquel d'ailleurs on s'attendait. Et, devant l'auditoire ouvrier attentif, il démontre que l'arme gréviste reste le seul moyen permettant d'obtenir satisfaction. Au milieu des cris d'approbation qui fusent de toutes parts, il explique que la grève à venir sera une lutte des plus sérieuses qu'il faudra mener avec résolution jusqu'au bout. "Il ne sera plus question de jouer de l'accordéon, ou de rester les bras croisés à attendre que ça tombe, mais il faudra s'organiser pour faire connaître le mouvement dans toutes les usines, faire des piquets de grève et défendre les issues de l'usine au besoin."
    Répondant d'avance aux objections que pouvaient faire certains sur la perte d'argent que cela occasionnerait, et l'intervention toujours possible de la police, il indique que le paiement des journées de grève sera exigé ; quant aux "lacrymogènes" de la police, pendant plus de six ans nous avons reçu des bombes sur la gueule et on n'a rien dit. On s'est continuellement serré la ceinture avec les sacrifices que la bourgeoisie nous a imposés pour défendre ses coffres-forts. Et aujourd'hui, nous n'aurions pas la force et le courage d'en faire au moins une infime partie pour nous ?" Appuyant ces paroles de cris bruyants, les ouvriers marquaient leur approbation.
    Passant au vote, le camarade demande aux ouvriers de se prononcer sur la grève en tant que moyen à envisager dans les délais les plus courts. Tandis que quelques voix seulement votent "contre", les ouvriers votent "pour". C'est alors que le délégué cégétiste, littéralement poussé par ses "copains" qui lui ont frayé un chemin, s'avance pour exposer son point de vue, ainsi que le camarade venait de le demander, invitant les opposants à émettre leur point de vue. Malgré le calme relatif, les ouvriers étant curieux de connaître ses objections, il ne put éviter de s'attirer la réplique d'un ouvrier : "Tu vois, ici au moins, il y a de la démocratie". Grimpé sur la fenêtre, parlant à voix basse et ne sachant pas trop quoi dire, le délégué entreprit d'expliquer aux ouvriers la "situation réelle en ce qui concerne les salaires". Pour son malheur, il se mit à parler d'une délégation qui était allée voir Lefaucheux (avec la demande d'établir une égalité de salaires entre les ouvriers d'ici et ceux de chez Citroën, avec effet rétroactif) que d'ailleurs ajouta-t-il, elle ne trouva pas. Manifestement, les ouvriers vomissaient les délégations et, à peine le délégué achevait-il ses dernières paroles que sa voix était couverte d'exclamations plus ou moins significatives. "Les délégations, on en a assez". Jusqu'où comptez-vous nous mener en bateau ?" "On n'en veut plus de tes délégations, maintenant ce qu'il faut, ce sont des actes." J'ajoute moi-même : "Egalité avec Citroën, mais là-bas ils crèvent de faim aussi." Abrégeant son exposé, le délégué lança un "appel au calme" et une mise en garde "contre les démagogues" fut non moins huée que les "délégations". Après quoi, il dut descendre pour céder la place à un ouvrier d'une trentaine d'années qui, grimpé sur la fenêtre, expliqua, en quelques mots, ce qu'il pensait et des délégués et des délégations : "Camarades, depuis des mois, on nous fait attendre des augmentations qui doivent toujours arriver demain. On nous a déjà fait l'histoire en février et on nous a dit que l'absence de Lefaucheux, à l'époque, avait empêché les revendications d'aboutir. Cela a recommencé hier et, une fois de plus encore, il n'était pas là. Et les délégués sont repartis, comme avant. Cela ne peut plus durer. Jusqu'à quand allons-nous nous laisser mener ? Maintenant, ce n'est plus des parlottes qu'il faut, ce sont des actes."
    Complétant dans le même sens ce que l'ouvrier venait de dire, le premier camarade parla du minimum vital qui fut mis à l'ordre du jour de la C.G.T. en novembre et qui devait être appliqué avec effet rétroactif également. "Mais la C.G.T., dit-il, capitula sur le minimum vital et l'on ne parla plus ni du minimum vital ni de son effet rétroactif. Comment pouvons-nous croire à présent des personnes qui ont capitulé de la sorte ? Qu'est-ce qui nous prouve qu'ils ne capituleront pas de la sorte demain, avec leurs délégations ?" Cet incident clos de la bonne manière, le camarade demande alors, pour clore la réunion, que les ouvriers manifestent par un second vote leur confiance au Comité de grève afin de l'habiliter à déclencher la grève au moment opportun. Si la grande majorité qui accorda sa confiance au Comité de grève fut la même que précédemment, il n'en fut pas de même des "contre" qui voyaient leur nombre ramené à 8. Lorsque la majorité vota, un ouvrier qui se trouvait près du délégué lui cria à l'oreille : "Tu les vois, tous ceux qui sont pour l'action, rince-toi l'oeil !"