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DAVID KORNER A NATALIA SEDOVA


Paris, le 18 Juin 1948
Chère camarade:
Tout d'abord voici en quelques mots notre situation. Nous avons été obligés de suspendre provisoirement la parution du journal parce qu'il est devenu impossible de le continuer sur les mêmes bases. Il avait été conçu comme un moyen de lutte et d'éducation avant tout, de l'avant-garde ouvrière de chez Renault. Nous espérions, en partant de là, sur la base d'une croissance du mouvement ouvrier atteindre d'autres couches ouvrières. Mais l'expérience faite depuis le mois de Janvier jusqu'au dernier N° paru (47) nous a prouvé que l'échec de la grève de Novembre-Décembre avait mis fin à une telle perspective.
Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait changer de formule et nous avons décidé de faire paraître le journal, deux fois par mois, format agrandi et de le faire vendre aussi par les kiosques. C'est le seul moyen d'atteindre de nouvelles couches et pas seulement ouvrières. Bien entendu, le contenu doit changer lui aussi et se rapprocher bien davantage de l'ancienne Lutte de Classes; mais nous devons pour ce faire attendre après les vacances, car nous avons grandement besoin de prendre un peu de repos avant de nous atteler à cette tâche; d'autre part nous sommes en pleine bataille chez Renault pour la reconnaissance du syndicat. Vous savez par la Voix que le Juge de Paix nous a déclaré représentatif, mais la direction ne tient pas compte du jugement et nous devons la battre sur ce terrain. Le trente Juin ont lieu des élections de délégués et bien que nous n'ayons pas été admis à présenter nos candidats nous avons décidé de faire comme si de rien n'était: publier nos listes, faire notre propagande et inviter les ouvriers à voter pour nous. Entre-temps, le Juge de Paix a fixé pour le 23 Juin, le jugement de la contestation des élections décidées par la direction et les autres organisations syndicales, sans notre accord. Il est probable qu'il nous donnera gain de cause.
En tout cas, l'essentiel, c'est que nous menons la bataille sur tous les fronts, que nos camarades apprennent à se battre avec toutes les armes, que la liaison avec les ouvriers se renforce et que nos cadres grandissent, tant en nombre qu'en qualité.
Où en sont nos rapports avec les minoritaires du PCI ? Nous avons pris contact avec la fraction Gallienne et le résultat est plus que décevant. Je pense qu'il y a un malentendu dans leur désir de rupture avec le PCI. Ces camarades ne voient rien à reprocher au PCI concernant son "sens révolutionnaire"; leur seule pensée, c'est que la "discussion" sur l'URSS décide de tout. Bien que très réduit en nombre et sans aucune base ouvrière, leur première pensée n'est pas d'acquérir cette base. Comme nous leur expliquions que nous n'avions pas de forces suffisantes pour mener le travail ouvrier, publier le journal et en même temps, discuter avec "l'avant-garde" C’est-à-dire la poussière de petits groupes, débris peu glorieux de l'époque des cercles, ils nous ont rétorqué: "qu'après tout ils tiendront compte de L'expérience de chez Renault" mais qu'on pouvait laisser ce travail sur le deuxième plan, la tâche la plus urgente étant "d'en finir" avec les petits groupes, créer un grand parti, etc. Mais si telle est la tâche, pourquoi commencer par se retirer du PCI. Mais de toute évidence le "Sens révolutionnaire" leur manque complètement pour oser proposer de "négliger" le travail ouvrier de chez Renault, alors que nos camarades y mènent une lutte extrêmement dure où il y va non seulement de l'avenir du mouvement mais de leur propre vie. Nous ferons tout ce qui sera en notre pouvoir pour éclairer ces camarades et tâcher de collaborer avec eux dans la mesure du possible; mais nous n'avons plus grand espoir.
Vous serait-il possible, chère camarade, de collaborer éventuellement à la Voix bimensuelle avec ou sans signature. Ce serait pour nous une aide décisive.
Nous vous prions de nous écrire ce que vous pensez sur ces sujets sans ménagement.
Recevez, chère camarade, les salutations affectueuses de notre organisation.
A.Mathieu