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chronologie 1949 |
Paris, le 29 Juin 1949
Chère camarade Sedova:Il y a bien longtemps que j'aurais souhaité pouvoir vous écrire. Mais j'attendais qu'un résultat officiel vienne donner du poids à nos affirmations. Maintenant, c'est chose faite. Nous avons réussi, par une action de masse, propagande et agitation chez Renault, à imposer la reconnaissance de notre "représentativité" et notre participation aux élections de délégués. Nous avons obtenu une moyenne de 1.300 voix et 7 délégués sur 132; le bulletin vous en fournit le commentaire. Ce que je veux souligner pour vous, c'est que cela ne représente pas un "reste d'influence" de la grève de Mai 1947, mais une conquête nouvelle, une pénétration dans l'usine en dehors des départements 6 et 18 (où nous obtenons approx. 325 voix). Il faut, pour apprécier ce résultat, tenir compte du fait qu'il a été obtenu dans une période marquée par des défaites ouvrières, qui, comme toujours, bien que donnant raison à la politique des révolutionnaires, ne profitent qu'aux bureaucrates. Nous avons aussi maintenant une base chez Citroën. Pour mener à bien cette tâche il a fallu vaincre non seulement les difficultés sur le terrain de l'usine, mais aussi surmonter le découragement dû à la décomposition croissante des milieux "révolutionnaires". A ce sujet, nous avons le grand regret de vous faire savoir que le camarade M. nous a produit l'effet d'un habitant tombé de la lune, et que non seulement nous n'avons pu collaborer avec lui, mais son séjour ici ne contribue en rien à un renouvellement de la situation. Quant aux perspectives d'avenir, elles seraient brillantes si la croissance qualitative des cadres pouvait se faire rapidement. Etant donné que nous ne pouvons compter que sur nos seules forces (il ne nous a même pas été possible de voir une deuxième fois depuis la grève de Mai le camarade Rosmer qui cependant paraissait approuver notre travail) il faut du temps, et c'est le temps justement qui nous presse, étant donné la situation mondiale. Mais de grands progrès vont cependant être réalisés par rapport au passé, grâce à la situation nouvelle du syndicat. En ce qui concerne La Lutte de Classes, il ne nous a pas été possible de faire paraître de nouveaux numéros. Nous sommes en tout et pour tout deux rédacteurs, qui écrivons péniblement, et il y a tant de choses à faire pour faire marcher une organisation dont le combat est quotidien. Je serais heureux de connaître votre avis sur l'article "Qui unifiera l'Europe" (partie concernant l’URSS). Nous ne négligeons nullement la théorie, c'est elle qui nous a permis d'aller de l'avant sur une base trotskyste (révolutionnaire). Mais pour la renouveler il faut que l'action révolutionnaire pratique -- qui, elle, n'est possible que sur la base des théories "classiques" -- aboutisse à de nouvelles conclusions, sinon on tombe inévitablement dans les révisionnismes les plus plats. Nous considérons l'analyse de Trotsky sur l'URSS (La Révolution trahie en particulier) comme une oeuvre dont on ne peut trouver l'équivalent qu'en remontant à Marx et Engels. L'analyse de l'évolution de l'URSS depuis 1940 n'est possible que sur cette base. Nous considérons l'URSS comme un "Etat ouvrier dégénéré" dont les traits négatifs l'emportent sur les traits positifs, chose qui se concrétise dans les effets de l'occupation russe en Europe centrale et dans les Balkans. Seule une montée révolutionnaire dans le monde pourra du reste trancher la question de la défense de l'URSS d'une façon définitive. Chère camarade, permettez-nous, à cette occasion, de vous renouveler aussi l'expression de notre vive reconnaissance pour tout ce que votre génération a fait pour la révolution socialiste, et soyez certaine que votre exemple nous inspire la volonté de tenir, coûte que coûte, jusqu'au bout. Recevez, chère camarade Sedova, nos salutations fraternelles. |