POUR
GAGNER LA GREVE IL
FAUT TENIR !
Lentement, mais sûrement,
la grève pour les 3.000 fr. gagne tous les jours des secteurs
nouveaux.
Déjà le langage patronal et gouvernemental a quelque peu
changé. Les 5% qui devaient être le plafond maximum
d'augmentation,
et encore seulement dans certaines branches et selon la volonté
du patron, sont devenus un minimum. Certains patrons de petite et
moyenne
importance ont même accordé les 3.000 fr. par mois et pour
tous. Ces premiers résultats prouvent que les travailleurs et
les
organisations qui étaient partisans de la grève aient
raison
contre les hésitants.
Cependant le mouvement
gréviste est arrivé à son tournant décisif.
Les travailleurs de chez Ford à Poissy ou de chez Renault
à
Boulogne-Billancourt sont en grève depuis plus de 8 jours et,
malgré
son extension, la grève n'a pas encore atteint une
étendue
suffisante pour acculer l'Etat-patron et les patrons à
capituler.
Le rythme lent de la grève et son échec partiel dans des
usines importantes comme Citroën ou Panhard ne provient pas d'un
manque
de volonté de lutte de la part des travailleurs. Il est le
résultat
inévitable de la rivalité d'intérêts qui
oppose
les dirigeants des différentes organisations syndicales qui
retardent
l'action des travailleurs en tirant à hue et à dia. C'est
ainsi que dans le métro le referendum organisé par toutes
les organisations syndicales a donné une écrasante
majorité
pour la grève, mais l'opposition du Syndicat des Conducteurs,
dont
la direction est réactionnaire, a retardé son
déclenchement.
Dans les mines, nous apprend-on, ce n'est que le mardi 28
février
que F.O. a accepté d rencontrer la C.G.T. pour "envisager"
l'action,
tandis que la C.F.T.C. n'a pas encore donné sa réponse.
Dans
les services publics parisiens, la C.F.T.C. et F.O. ont refusé
de
participer au referendum : mais le chiffre de 75% en faveur de la
grève,
malgré cette double abstention, confirme que ce n'est pas du
côté
des ouvriers qu'il faut chercher la responsabilité de l'inaction
présente de la majorité des travailleurs.
Donc, si son extension
est lente, la grève ne piétinera pas. L'entrée en
lutte de nouvelles couches décisives de travailleurs
(métro,
mines, électricité, gaz, etc.) est inévitable.
A leur suite, les travailleurs de la métallurgie, qui n'ont pas
encore cessé le travail, rentreront eux aussi dans le mouvement.
IL FAUT DONC QUE LES TRAVAILLEURS DEJA EN LUTTE TIENNENT BON A TOUT
PRIX.
Tenir, voilà la consigne du moment.
Et les travailleurs en
grève tiendront bon parce qu'ils savent qu'il n'y a pas d'autre
voie, parce que dès le début, ils savaient qu'ils
s'engageaient
dans une lutte prolongée qui ne leur épargnerait pas les
souffrances.
Pour tenir, les travailleurs
doivent préserver leur unité. A la base, les travailleurs
de toutes tendances unis dans la lutte ne doivent pas se laisser
diviser
par les divisions de leurs dirigeants. Les travailleurs peuvent gagner
la bataille des 3.000 francs et ils la gagneront. Le front des ouvriers
aura raison de la coalition patronale avec l'Etat-patron.
L A L U
T T E
ILS
N'ONT RIEN APPRIS
C'est naturellement des chefs
socialistes qu'il s'agit. Tels ils étaient au gouvernement, tels
on les retrouve hors du gouvernement. Pas un groupe, pas une voix, au
Conseil
National de Puteaux (26-27 février), pour dire quelque chose qui
vaille d'être dit, qui dise autre chose que les habituels lieux
communs
par lesquels les social-démocrates essaient toujours de couvrir
leur nullité, leur nudité idéologique et leur
trahison
des intérêts ouvriers. Evidemment, on ne pouvait
s'attendre
à de véritables manifestations de clairvoyance et de
force
de la part de leaders qui ont rarement mené une lutte ailleurs
que
dans les fauteuils ministériels et qui sont complètement
aveulis par leurs éternelles compromissions. Mais il y a des
situations
dans lesquelles même de tels dirigeants sont obligés
d'adopter,
et adoptent quelquefois, une meilleure attitude. C'est ainsi que,
menacés
d'être chassés du gouvernement par la formation d'une
majorité
de droite excluant les députés socialistes et
pressés
par leur propre base, tels chefs socialistes avaient pris
"l'héroïque"
décision de s'en aller tout seuls... A un moment où les
grèves
déferlent et où Bidault s'apprête à
étrangler
les libertés ouvrières, les leaders socialistes pouvaient
persévérer dans leur "hardiesse", devaient ne pas
retomber
dans leur ornière de stratèges ministériels. Mais
il n'en a rien été. Le Conseil national de Puteaux,
exclusivement
consacré au "mode de scrutin en vue des élections"
et à la "tactique de la participation ministérielle",
montre que les dirigeants socialistes sont absolument incapables, en
1950,
de retrouver les élans qui animèrent parfois le parti
socialiste
entre 1934 et 36. Les résolutions adoptées ne contiennent
rien qui puisse ouvrir une voie nouvelle aux masses travailleuses, rien
qui puisse assurer leur défense contre l'offensive de
misère
et de totalitarisme des capitalistes.
Pas une directive,
pas un mot d'encouragement, pas une expression de solidarité,
pas
même une allusion aux luttes ouvrières en cours, aux
travailleurs
en grève !
Avec une pareille attitude,
les dirigeants socialistes peuvent ensuite affirmer tant qu'ils
voudront
qu'ils ne collaboreraient qu'à un gouvernement qui "travaillerait
à affermir la situation économique et financière
sans
reculer devant les résistances de puissances capitalistes"
et
qui n'oublierait pas que "l'intérêt
général
de la nation dépend de la réalisation chaque jour plus
complète
des aspirations du monde du travail". Personne ne les prendra au
sérieux.
Chacun sait qu'en juin
36, bien qu'il y ait eu un gouvernement Blum soutenu "sans
éclipse"
par Thorez - gouvernement de Front populaire se réclamant
exactement
des mêmes principes - il a fallu que des millions de travailleurs
occupent les usines pour que les capitalistes soient obligés de
reculer et que "les aspirations du monde du travail" soient
satisfaites.
Qui ne voit que l'attitude de l'actuel gouvernement ou de son
successeur
éventuel vis-à-vis de la classe ouvrière
dépend
exclusivement de l'issue de la bataille gréviste en cours et non
pas de pieuses résolutions ? Ne levant pas le petit doigt pour
aider
les travailleurs en lutte, les dirigeants socialistes fournissent la
preuve
que leur départ du gouvernement ainsi que leurs
résolutions
ne sont que manoeuvres pour redorer leur blason aux yeux des masses.
Ils
voudraient retrouver quelque popularité qui les rendrait
indispensables
aux autres "partis républicains" (sic), le M.R.P., les radicaux,
les indépendants, dans les coalitions gouvernementales.
Mais il ne semble pas
que les chefs socialistes soient eux-mêmes très convaincus
de pouvoir se réhabiliter. Cela exigerait de leur part une
politique
active de défense des travailleurs, politique qu'ils sont
incapables
de mener. Ce manque de confiance en eux-mêmes se voit très
bien dans le choix du mode de scrutin qu'ils voudraient voir adopter
par
l'Assemblée en vue des élections. Le scrutin le plus
démocratique,
en régime capitaliste, c'est en effet le scrutin proportionnel
intégral.
Or, sous prétexte qu'il ne se trouve pas une majorité
dans
le Parlement actuel pour voter la proportionnelle intégrale - L'Humanité
prouve au contraire qu'avec les députés socialistes,
P.C.F.
et certains M.R.P., cette majorité existe - les dirigeants
socialistes
ont résolu de soutenir le mode de scrutin majoritaire,
c'est-à-dire
le système le plus réactionnaire. Avec ce mode
d'élections,
un parti réunissant 49% des voix peut n'avoir aucun
représentant
devant une coalition groupant 51 pour cent des voix ; avec ce
système,
un parti peut recueillir des millions de voix et n'avoir que quelques
députés
! Il serait déjà plus démocratique de laisser
subsister
le mode actuel de scrutin basé sur la proportionnelle relative.
Si les chefs socialistes, sans aucun pudeur et sous d'aussi mauvais
prétextes
(manque d'une majorité pour voter un système plus
équitable),
renoncent à leur propre tradition pour adopter ce mode de
scrutin,
c'est parce que ce système obligerait tous les autres partis,
pour
faire pièce au P.C.F., à se coaliser avec eux aux
élections,
à leur accorder une place indépendamment de leur plus ou
moins grande influence. En se déclarant partisans d'un tel
système,
les chefs socialistes fournissent eux-mêmes la meilleure preuve
qu'ils
ne comptent plus sur leur propre force, mais uniquement sur des
compromis
pourris et des combinaisons électorales avec les autres partis
contre
le P.C.F. Les chefs socialistes n'ont plus d'autre but que de
s'assurer
une survivance honteuse. Mais les dirigeants socialistes se trompent
complètement
dans leurs calculs lorsqu'ils croient avoir tout résolu et
assuré
leur avenir en n'endossant officiellement la responsabilité ni
des
actes gouvernementaux, ni des luttes ouvrières, en tirant leur
épingle
du jeu. Ils se trompent lorsqu'ils pensent que l'orage passera et
qu'ils
reprendront tranquillement leur place dans les fauteuils
ministériels.
Ils se trompent parce qu'ils comptent sans la classe ouvrière,
d'un
côté, et parce qu'ils ne veulent pas voir le danger
totalitaire,
d'un autre côté.
Si la classe ouvrière
se bat et gagne la lutte sans eux, elle ne leur témoignera qu'un
total mépris et les rejettera complètement. Si, au
contraire,
la classe ouvrière subissait une défaite faute de
véritables
dirigeants, alors De Gaulle ne sera pas plus tendre envers les chefs
socialistes
que Mussolini et Hitler ne l'ont été pour leurs
confrères
italiens et allemands.
Les militants honnêtes
et les travailleurs socialistes, par contre, aperçoivent ce
danger.
C'est pourquoi, dans les luttes actuelles, on les retrouve dans un
coude
à coude fraternel avec tous les autres militants de la classe
ouvrière,
quelle que soit leur tendance. Qui des militants honnêtes ou des
chefs aveulis aura le dernier mot dans le P.S. ? Voilà qui
décidera
du sort final de la S.F.I.O.
A. MATHIEU.
|