LA
LUTTE N'EST PAS FINIE
Pour tirer le bilan de la
bataille gréviste, il ne suffit pas de compter ce que la
grève
a coûté aux ouvriers et ce qu'ils ont arraché, ce
que
les patrons ont cédé et ce qu'ils n'ont pas
cédé.
Il faut, avant tout, se rappeler où en était la situation
avant que le mouvement n'éclatât.
Il
y a trois mois, le Gouvernement
inaugurait la nouvelle loi sur les conventions collectives en
présentant
un projet d'arbitrage obligatoire qui était en fait
l'interdiction
du droit de grève ; il fixait le "minimum vital" à 9.500
francs, de 3.000 francs inférieur à celui existant alors,
afin de ne "préjuger d'aucune augmentation de salaires".
Bidault,
au prix même de la démission de ses ministres socialistes,
ne voulait accorder une "prime" qu'aux salariés gagnant moins de
14.000 francs par mois. Il y a trois mois à peine, les
capitalistes
se promettaient, avec le retour à la liberté des
salaires,
sous prétexte du marasme des affaires et sous la pression du
chômage,
DE REDUIRE POUR L'ENSEMBLE DE LA CLASSE OUVRIERE LES SALAIRES EXISTANTS.
Or, tous ces objectifs
sont tombés à l'eau. Les capitalistes n'ont pas pu
imposer
aux travailleurs une nouvelle réduction du niveau de vie, comme
ils en avaient l'intention. La classe ouvrière s'est
défendue,
et sur ce point a gagné. Mais les ouvriers, qui ont lutté
avec courage et au prix de grands sacrifices, ne peuvent se contenter
de
cette constatation, si encourageante qu'elle soit. Il leur faut voir
clairement
les raisons pour lesquelles ils n'ont pas atteint les objectifs qu'ils
se sont posés dans la grève, pourquoi, malgré leur
lutte et leur volonté de vaincre, ils n'ont pas vaincu. Comme au
temps du blocage des salaires et malgré sa suppression, les
ouvriers
en grève ont dû faire front non pas devant leurs patrons
individuels,
MAIS DEVANT LA COALITION PATRONALE AVEC L'ETAT-PATRON. Malgré le
retour à la liberté de discussion et d'accords, le
Gouvernement
a pris ouvertement parti pour la cause patronale. Le 24 février,
Bidault réunissait les patrons, et leur enjoignait publiquement
de n'accorder aucune augmentation de salaire. Les divisions de C.R.S.
aux
portes des usines ont assuré la "liberté du travail",
c'est-à-dire
la possibilité pour une minorité de briser l'action
décidée
par la majorité des travailleurs. Les Banques prirent des
dispositions
pour accorder des crédits aux entreprises qui se seraient
trouvées
en difficulté afin d'éviter la rupture du front patronal.
La propagande par la presse et la radio, l'intervention de
l'armée,
la répression par la police, les tribunaux, les prisons, tous
les
moyens ont été mis en oeuvre. L'ETAT S'EST TROUVE
OUVERTEMENT
AU SERVICE DES TRUSTS POUR BRISER LES GREVES, PARCE QU'IL EST LUI-MEME
LE PLUS GRAND DES TRUSTS, L'ETAT-PATRON.
Or, face à cette
puissante coalition, la grève n'a jamais opposé,
même
à son point culminant, plus d'un million de travailleurs. Il n'y
a pas eu d'occupation des usines en grève pour faire respecter
la
volonté de la majorité. Dès le début, la
grève
du métro, décisive pour l'extension du mouvement dans la
Région parisienne, n'a pas été totale,
malgré
le vote de 85% pour la grève. Et les secteurs industriels qui
ont
fait la grève, ne se sont pas trouvés
simultanément
dans le mouvement. La métallurgie était en grève
depuis
15 jours, que le gaz et l'électricité (où le vote
était acquis depuis 8 jours) n'étaient pas encore
entrés
dans le mouvement et que les organisations de mineurs
commençaient
seulement à consulter les ouvriers. Les tergiversations, la
trahison
et le sabotage des dirigeants syndicaux inféodés au
Gouvernement
ont fait que la volonté de résistance UNANIME dans la
majorité
de la classe ouvrière n'a pas pu se manifester effectivement et
réaliser en face du bloc patronal le bloc ouvrier qui l'aurait
fait
céder comme en juin 1936. Voilà pourquoi la classe
ouvrière
n'a pas vaincu dans cette nouvelle bataille qu'elle vient de livrer, et
qui fait partie de la lutte qu'elle mène depuis 1947 pour tenir
tête à une bourgeoisie qui, depuis 1939, par la guerre et
la répression, l'a réduite à la misère.
Mais la lutte n'est pas
finie. Pour les 3.000 francs, comme pas en avant vers le pouvoir
d'achat
de 1939, pour les conventions collectives, contre les sanctions et les
brimades, la classe ouvrière continue son action. Dans les
grèves
qui viennent d'avoir lieu, les meilleurs ouvriers, de toute
appartenance
syndicale ou politique, ont uni leurs efforts et se sont
constitués
en comités de grève. Ces comités doivent
subsister.
C'est cette unité des ouvriers de toutes les tendances et de
toutes
les organisations, réalisée dans le coude-à-coude
fraternel de l'action qui, pour la réussite des prochains
mouvements,
se révélera comme le gain le plus précieux de la
lutte
qui vient d'être menée.
L A L U
T T E
LE
P.C.F. A UN TOURNANT
A la veille du 12e Congrès,
le P.C.F. se trouve dans une situation très peu brillante. Ses
dirigeants
sont obligés de constater qu'il a cessé de jouer un
rôle
indépendant en tant que parti politique, sur le terrain de
l'entreprise
c'est-à-dire à l'endroit décisif pour un parti
ouvrier.
Son activité y est réduite aux seules revendications
économiques,
ses militants se bornant à intervenir devant les ouvriers comme
membres de la C.G.T. et passant complètement sous silence les
questions
de la "lutte pour la paix" et de la lutte contre les "lois
scélérates".
Un tel état de choses ne laisse pas de préoccuper au plus
haut point la direction stalinienne, qui, comme d'habitude, en rejette
l'entière responsabilité sur la base.
C'est pourquoi la préparation
du 12e Congrès revient essentiellement à semoncer les
cadres
inférieurs pour la "mauvaise application de la juste ligne du
parti" et à éliminer de leurs postes quelques vrais
ou
prétendus coupables, pour l'exemple. Au préalable,
ceux-ci
sont dûment disqualifiés par la critique de la direction
du
parti, et c'est autour de cela que tournent entièrement ce que L’Humanité
appelle "les discussions en vue du Congrès". Et ce sont de
telles
"discussions" qui sont servies aux militants et au public comme une
preuve
de l'existence de la démocratie au sein du P.C.F. C'est ainsi
que
Thorez a traité de "bureaucrates" les responsables staliniens
d'Ivry
qui, le 15 janvier, au lieu d'organiser immédiatement la riposte
au raid gaulliste en mobilisant la population laborieuse, sont
allés
chercher "Monsieur le commissaire de police" pour les protéger
de
la racaille fasciste. Pourtant, c'est bien lui, Thorez, qui
pendant
de longues années, a décrété que la "juste
ligne du parti" en matière de défense contre le fascisme,
consistait à crier : "la police avec nous !" Et il ne
s'est
trouvé personne pour lui rappeler cette vérité et
lui retourner le "compliment" ! On n'a encore jamais vu, et on ne verra
jamais, dans ce parti dominé par des bureaucrates, qu'un
militant quel qu'il soit puisse émettre le moindre doute quant
à
la politique de ses dirigeants.
Or, c'est là que
gît le lièvre. Si les membres du P.C.F. n'osent pas
présenter
devant l'ensemble des travailleurs les positions politiques de leur
parti,
ce n'est pas seulement à cause de leur insuffisance
politique
personnelle, comme le décrètent Thorez et Marty, mais
à
cause de la politique du P.C.F. elle-même, qui est indéfendable.
Les dirigeants staliniens
ont beau vouloir obliger leurs militants à faire de la politique
dans les usines, leur politique laisse les masses ouvrières
indifférentes.
En quoi consiste, par
exemple, leur politique de paix ? Malgré les mots ronflants dont
elle se couvre, la politique stalinienne dite de paix n'est qu'un
lamentable
fatras. Car il ne suffit pas de dire aux ouvriers de ne pas fabriquer
et
transporter les armes, et de boycotter les envois d'armes
américaines.
Pour obtenir cela des ouvriers, pour susciter leur confiance et leur
initiative,
il faut d'abord les convaincre que les buts de paix du P.C.F sont
réalistes
et progressifs. Or, Courtade définit ainsi les buts de paix
du P.C.F. (Huma, 16-3-50) : "L'union Soviétique ne
pose
pas des conditions irréalisables, elle ne propose pas de faire
tourner
le cours de l'histoire à l'envers. Elle demande simplement que
l'on
recherche les conditions d'une paix durable par le règlement
d'un
certain nombre de questions très précises, comme celle du
désarmement, de la destruction et de l'interdiction de l'arme
atomique,
le renforcement de l'O.N.U., etc."
Allez donc parler de ces
choses-là aux ouvriers qui ont fait l'expérience de la
duperie
du désarmement, de l'interdiction des "armes inhumaines" (sic)
et
du renforcement de la Société des Nations (à
laquelle
l'U.R.S.S. a appartenu) avant 39 ! Allez leur parler du retour à
l'entente de Potsdam de 1945 entre l'U.R.S.S. et les Etats-Unis ! Allez
leur expliquer, monsieur Courtade, qu'il ne s'agit pas là de
"faire
tourner le cours de l'histoire à l'envers" !
A la vérité,
le P.C.F. n'a pas de véritable politique de paix, sa
démagogie
n'a pour but que d'embrigader les masses ouvrières dans le camp
russe. De cela, les ouvriers ne peuvent pas ne pas s'apercevoir et
c'est
ce qui paralyse les membres du P.C.F. quand ils veulent défendre
la politique "de paix" de leur parti devant les masses.
Il en va de même
de la lutte contre les lois scélérates. Il ne suffit pas
de protester verbalement contre ces lois. Il faut entraîner les
masses
ouvrières à l'action, et pour les entraîner
à
l'action, comme dans la lutte pour la paix, il faut un but progressif
et
réaliste. Il faut donner comme but à cette lutte le
renversement
du gouvernement policier bourgeois et son remplacement par un
gouvernement
des masses exploitées. Là aussi, la direction du P.C.F.
n'a
rien d'autre à proposer qu'une formule équivoque, dont
elle
n'a jamais précisé et dont elle est incapable de
préciser
le contenu exact : le Gouvernement d'Union Démocratique.
La seule définition que L'Humanité en ait
donné
jusqu'à maintenant, c'est "Gouvernement d'hommes propres". Mais
même si les travailleurs pouvaient oublier que ces soi-disant
hommes
propres (les dirigeants du P.C.F.) ont trempé dans toutes les
combinaisons
politiques de la bourgeoisie - avant guerre avec le Front Populaire,
après
guerre avec De Gaulle - cela ne suffirait pas encore. Les hommes
propres
doivent-ils s'appuyer sur le Parlement actuel ? Cela, les dirigeants
staliniens
n'osent pas le dire, car leurs députés ne constituent que
le tiers de l'Assemblée. Faut-il lutter pour sa dissolution et
pour
de nouvelles élections ? Là, silence complet de la part
des
dirigeants staliniens. Peut-être s'agit-il d'un gouvernement
révolutionnaire
? Les dirigeants du P.C.F. ne fournissent aucune réponse
à
cette question non plus. Alors, comment le militant de base peut-il
mener
la lutte contre les "lois scélérates" ?
Il serait archifaux, par
ailleurs, de croire que la majorité des travailleurs
français
seraient "apolitiques" et que c'est cela qui expliquerait les
difficultés
du P.C.F. et des organisations ouvrières en
général.
Rappelons que le plus grand mouvement de la classe ouvrière
française
d'avant guerre, celui de juin 36, a débuté le 12
février
1934, comme mouvement politique, contre le fascisme, contre la
réaction.
Mais la défense
de la paix et la lutte contre les lois scélérates qui
préparent
le fascisme ne peuvent être menées à bien que par
une
politique véritablement révolutionnaire. C'est seulement
en luttant pour les Etats-Unis SOCIALISTES d'Europe et du monde et
pour un Gouvernement ouvrier et paysan imposé par la
grève
générale, que les militants révolutionnaires
pourront
défendre efficacement la paix et la liberté.
A. MATHIEU.
APPEL AUX
SYMPATHISANTS
ET AUX LECTEURS
Les ressources financières
que nous escomptions nous procurer par la vente des cartes de soutien
ont
été retardées par l'éclatement des
grèves,
qui par ailleurs ont imposé à nos camarades un
surcroît
de travail et de gêne matérielle. Nous avons
été
dans l'obligation de suspendre jusqu'à ce jour la parution du
journal.
Nous appelons instamment
tous les travailleurs à nous aider immédiatement en
achetant
nos cartes de soutien. Demandez-les partout aux diffuseurs de La Lutte.
L'ADMINISTRATION.
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