CORRESPONDANCE
1946-1949

David Korner (Barta) - Natalia Sedova


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PRESENTATION
Datées de décembre 1946 à juin 1949, les onze lettres (sept de David Korner [Barta] et quatre de Natalia Ivanovna Sedova) constituant la correspondance connue (1) entre le dirigeant de l'Union Communiste (Trotskyste) (UC) et la veuve de Trotsky révèlent les préoccupations du premier et témoignent de l'attention que lui accorda sa correspondante.
Implantation des idées révolutionnaires dans la classe ouvrière, sélection et formation des cadres à la qualification professionnelle, élaboration d'une politique conduisant à la construction du parti, mais aussi, et c'était complémentaire, amers reproches à l'adresse du Parti Communiste Internationaliste (PCI) -- la section française de la Quatrième Internationale -- constituent les soucis de Barta et la trame de ses textes.
Dans les réponses de Natalia, questions, suggestions, critiques même, marquent son intérêt pour l'activité de l'UC. Elles révèlent aussi, parfois, le caractère partial de ses informations. Pourtant, au-delà des différences d'approche des problèmes, des désaccords sur les hommes ou les questions à poser, inévitables conséquences de leur différence de situation et des sept années de rupture des communications, on ne peut pas ne pas être frappé de leur accord sur l'essentiel. Ils se rejoignent pour faire du "sens révolutionnaire" la pierre de touche de leur jugement. Par des voies. différentes, ils étaient parvenus au même diagnostic concernant l'organisation qui se proclamait Quatrième Internationale: "Vous ne m'avez pas exposé du tout les points de divergence entre vous l'UC et le PCI . Au lieu de ça vous vous plaignez du manque de caractère révolutionnaire dans toutes leurs actions. C'est parfaitement juste. Car ce manque de sens révolutionnaire leur dicte leur attitude politique, théorique et pratique" (2).
Ces lettres -- qui couvrent la période d'activité la plus intense de l'UC -- parlent d'elle-mêmes. Tout au plus n'est-il peut-être pas inutile de rappeler brièvement qui était Barta et dans quel contexte elles furent écrites.
Né le 19 octobre 1914 en Roumanie, David Korner, dit Barta (dit aussi Albert et A. Mathieu) arriva à Paris en 1933. Il y prit contact avec la Ligue Communiste Inter- nationaliste (Bolchévik-Léniniste). Il participa, en avril 1935, à la création du Groupe Bolchévik-Léniniste de Roumanie, activité dont il rendit compte à Trotsky dans deux lettres (janvier et mai 1936). A l'automne 1936, accompagné de quelques camarades, il quitta la Roumanie avec l'intention de rejoindre la révolution espagnole. Empêché de le faire, il s'établit à Paris et milita au sein du Parti Ouvrier Internationaliste. Début 1939 il fut de ceux qui, avec la fraction Rous, rejoignirent le Parti Socialiste Ouvrier et Paysan sur le conseil de Trotsky.
Ce qu'il écrit de son activité pendant et après la guerre dans sa lettre à Natalia du 20 février 1947 parait suffisamment explicite pour qu'on n'y revienne pas.
Il faudrait cependant insister sur l'importance de la grève Renault d'avril-mai 1947. Les quatre années de conflit et d'occupation en France s'étaient traduites, outre les morts, les déportations et les destructions, par un recul brutal du niveau de vie de la classe ouvrière. La "Libération" et la participation de ministres communistes aux gouvernements n'avaient, de ce point de vue, pas arrangé grand chose. On avait toujours froid et parfois faim dans les quartiers ouvriers. Aux désillusions et à la dureté de l'époque s'ajoutait, dans les usines, le poids d'une nouvelle maîtrise, celle instituée par les militants du Parti Communiste Français (PCF) qui doublait l'ancienne, et souvent la dépassait par son zèle productif et son arrogance de parvenue. Aux yeux des staliniens, la grève était devenue "l'arme des trusts". "Produire d'abord, revendiquer ensuite" était leur leitmotiv.
Ce contexte éclaire la politique suivie par l'UC: pour la première fois depuis des décennies un décalage important et durable se manifestait entre la politique du PCF et la conscience de la classe ouvrière. En accord avec la volonté maintes fois exprimée de Trotsky et conformément à ce qu'indiquait sa propre analyse de la situation, s'implanter parmi"les travailleurs avait toujours été la préoccupation première de Barta.
Dans le contexte de l'après-guerre, il devint vital de donner une expression politique au mécontentement ouvrier en menant la lutte politique et parfois physique contre les staliniens.
De ce point de vue, mais aussi de celui du choix de concentrer toutes les (modestes) forces du groupe sur Renault-Billancourt et de multiples décisions tactiques, de la façon enfin dont elle fut conduite, la grève Renault fut le produit d'une politique consciente, "fruit d'un travail long et patient", écrit Barta. (3)
Vérification de la validité de la politique de l'UC, cette grève ne fut pas dans l'histoire du mouvement ouvrier une grève parmi d'autres. Elle constitua une rupture, une porte ouverte sur l'inconnu", pour reprendre une expression de Barta. Rupture de la coalition gouvernementale (déjà minée par les débuts de la "guerre froide"), rupture du parti communiste avec les fonctions gouvernementales mais aussi, et ce fait aurait pu être le plus fécond pour l'avenir, première rupture sur sa gauche d'une fraction significative de la classe ouvrière avec le parti stalinien.
Pourtant, l'efficacité de la politique mise en oeuvre par l'UC trouva, dans les années qui suivirent, les limites auxquelles fait allusions Barta dans sa dernière lettre à Natalia, le 29 juin 1949: "Quant aux perspectives d'avenir, elles seraient brillantes si la croissance qualitative des cadres pouvait se faire rapidement." Elle ne se fit pas. Une scission se produisit au sein de l'organisation qui n'y survécut que quelques mois. En ce sens aussi, d'une certaine façon, la grève Renault et ses suites furent une rupture qui marqua la fin d'une période historique.
Richard Moyon

  (1) Natalia fait explicitement référence (lettre du 22 octobre 1947) à une lettre de Barta datée du 25 septembre 1947 qu'elle dit avoir reçu et dont nous n'avons pas connaissance. Elle semble d'autre part faire allusion (lettre du 17 mars 1948) à une lettre reçue entre novembre 1947 et mars 1948.
  (2) Lettre de Natalia Sedova à Mathieu [Barta], 17 mars 1948.
  (3) Lettre de Barta à Natalia Sedova, 5 juin 1947.

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