RAPPORT SUR
L'ORGANISATION
JUILLET 1943

David Korner (Barta)


RAPPORT1943        
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Le Rapport sur l'Organisation présenté ci-dessous fut rédigé par Barta en juillet 1943. Le Groupe communiste (qui deviendra l'Union communiste en octobre 1944) ne compte alors que quelques militants, très jeunes pour la plupart.
Survenue à l’occasion d’un incident mineur mais révélateur de son irritation devant le manque de rigueur organisationnelle (le « mal français » dont se plaignait Trotsky !) , la séparation de Barta d'avec les trotskystes "officiels" remonte à septembre 1939. Mais la première véritable divergence politique apparaît à l'automne 1940 quand Barta découvre les concessions au nationalisme de militants issus du POI et du PCI. Il rédige alors (novembre 1940) La Lutte contre la deuxième Guerre mondiale impérialiste, seul manifeste authentiquement internationaliste en France à l'époque. Ajoutons que, produit de son sens politique et de sa fidélité aux analyses de Trotsky, il y prédit le retournement de Hitler contre Staline et la défaite de l'Allemagne.
Au moment de la rédaction de la Brochure de 40, le groupe n'a que quatre membres : Barta, Louise (Irène), Jacques Ramboz (Lucien), ancien des Jeunesses communistes, et Fanny (Lucienne). Début 1941 Jacques Ramboz gagne son ancien condisciple du lycée Michelet, Mathieu Bucholtz (Pamp). Le "talent d'organisateur et [l'] imagination inventive"  de Pamp en font rapidement la cheville ouvrière du groupe qu'il pourvoit de faux papiers, de machines à écrire et à dupliquer, etc. Il amène, de plus, quelques renforts : celui de son frère cadet, Michel, et celui de Pierre et de Jean Bois, ex-JC eux aussi.
L'attaque allemande contre l'URSS marque un tournant dans la guerre. Le PCF abandonne le langage pseudo-internationaliste qui avait été le sien et renoue avec son chauvinisme outrancier.
Dans ce contexte, le relatif développement du groupe permet d'entreprendre, en octobre 1942, la publication de la Lutte de Classes qui sera, jusqu'en avril 1947, l'organe du Groupe communiste puis de l'Union communiste.
Le Rapport sur l'Organisation de juillet 1943 est, dans une certaine mesure, un texte d'éducation qui s'inscrit dans le processus de formation et de développement du Groupe communiste.
Adressé à de jeunes militants, il accorde une large place à la clandestinité, vitale dans les circonstances de 1943.
L'organisation et les méthodes que Barta juge nécessaire de faire prévaloir sont bien entendu celles du Parti bolchevik, du centralisme démocratique. "Centralisme rigoureux" dit-il, "qui prend tout son sens dans le contrôle politique souverain du parti ». Mais aussi, insiste-t-il, citant Lénine, "plus que la "démocratie : une confiance fraternelle entre révolutionnaires".
Discipline donc, produit de la compréhension par chacun des buts et des moyens, mais aussi démocratie. Barta s'attache à en définir le contenu vivant : "Chaque responsable doit être convaincu organiquement que sans la démocratie, c'est-à-dire sans la participation active de tous, non seulement au travail pratique mais également à l'élaboration de la politique de l'organisation, il ne peut y avoir de parti révolutionnaire, donc de victoire du prolétariat sur la bourgeoisie" .(2)
La conception n'est certes pas neuve. Elle est celle formulée par Lénine dans Que Faire ?, mise en pratique des années durant par le Parti bolchevik dont Barta rappelle qu'il fut "un des partis les plus démocratiques qu'ait connu l'histoire"(3)) , celle de Trotsky aussi dont on est surpris, au travers des Oeuvres(4)  ou de la biographie de Pierre Broué (5) de découvrir un dirigeant, bien sûr intransigeant sur les principes, mais aussi discutant patiemment, prenant en compte les arguments qui lui sont opposés, nuançant son point de vue, évoluant, revenant sur les questions, expliquant etc... Bref, un personnage à cent lieues du "prophète" péremptoire et cassant parfois peint en Trotsky et que, certains se sont ultérieurement plu à singer jusqu’à la caricature.
Barta présente enfin une sorte de condensé de sa morale militante, montrant ce que l'activité authentiquement révolutionnaire, celle "conforme aux intérêts véritables de l'humanité" dégage "de dignité et, si l'on veut, de félicité" (6).
Ces conceptions organisationnelles et morales furent celles qui guidèrent la formation des militants. Les succès relatifs remportés par l'UC témoignent de leur valeur. Il serait pourtant erroné de les attribuer aux seules formes organisationnelles prônées par Barta et de faire de la "méthodologie organisationnelle" la pierre philosophale de la politique révolutionnaire. L'efficacité de l'intervention de l'UC fut, avant tout, le produit d'une analyse des situations et de la mise en oeuvre d’une politique tout entière tendue vers un but. Dans l'optique de Barta, rigueur organisationnelle et politique révolutionnaire sont indissolublement liées. Le Parti bolchevik de Lénine l'avait illustré. Barta le répète ici, à son échelle et dans les conditions de la France de 1943. Vidé de sa substance révolutionnaire et ramené à une collection de recettes organisationnelles, le pseudo-centralisme démocratique conduit aux caricatures tragiques ou comiques, hélas courantes dans l'histoire du mouvement ouvrier.
Alors, texte de circonstance, le "Rapport 43" l'est sans doute. Mais il va bien au-delà. Par la forte impression produite sur ceux qui ont eu l'occasion de le lire alors et par la suite. Mais aussi parce que, d'une certaine façon, il est, encore aujourd'hui, d'actualité.
A l'heure où il est de bon ton d'enterrer le bolchevisme avec l'URSS et les atrocités staliniennes, il témoigne de la hauteur morale des révolutionnaires de cette génération, renvoyant à leur ignorance intéressée ceux qui se complaisent à amalgamer le bolchevisme et ses sinistres parodies.
Impossible, pourtant, de ne rien dire du sort de ce document, (« le petit machin de 1943 », disait Barta) après la disparition de l’UC en 1950. Récupéré, comme l’ensemble de l’héritage de l’UC et de Barta par Voix ouvrière puis Lutte ouvrière, il fut érigé en relique mythique. Réédité sans référence à son auteur et aux circonstances de sa rédaction (« C’est ce que « les copains » ont écrit en 43 »), il était remis aux responsables de l’organisation avec des mines de conspirateur pour être enfoui dans des tiroirs d’où il ne sortait que pour être furtivement exhibé au yeux de plus jeunes camarades, caution « historique » aux pratiques de LO… qui n’ont pourtant rien à voir avec celles décrites dans le Rapport 43. Avec la brochure « La Lutte contre la seconde guerre impérialiste mondiale » de 1940 (elle aussi « écrite par les « copains » et longtemps rééditée sans le nom de son auteur), le Rapport 43 a, des décennies durant, constitué l’un des principaux éléments de la captation d’héritage de l’UC par LO.
Le paradoxe est que, même depuis sa première réédition en avril 1992 par le Centre Pietro Tresso (Florence, Italie), la fable de la filiation entre Lutte ouvrière et l’UC a trouvé à se nourrir de ce texte désormais public. Faisant complètement abstraction des conditions de sa rédaction rappelées ci-dessus et de ce qu’était l’UC en 1943, ignorant aussi le plus souvent ce que sont les pratiques internes de LO, certains ont cru déceler dans le Rapport sur l’organisation les prémices de ce qu’est Lutte ouvrière. Ce n’est pas plus sérieux que d’essayer de faire porter au Que Faire ? de Lénine la responsabilité des crimes de Staline !
Il est arrivé souvent dans l’histoire que ceux que Trotsky nommait avec mépris les épigones tentent de parer leurs agissements de la caution de noms plus grands que les leurs en dévoyant leurs textes et leur pensée : Napoléon-Bonaparte et Napoléon 1er, Staline et Lénine, etc. Il est regrettable qu’une partie de ceux qui souhaitent, parfois sincèrement, participer à l’écriture de l’histoire telle qu’elle fut ﷓et non pas telle qu’il est admis qu’elle ait été﷓ tombent dans le panneau.

                                Richard Moyon

  1/ Louise, Notes I, p.2
  2/ Idem
  3/ Idem
  4/ Léon Trotsky, Oeuvres, Publications de l'Institut Léon Trotsky, Paris
  5/ Pierre Broué, Trotsky, Fayard, Paris, 1988
  6/ Barta, Rapport sur l'Organisation, juillet 1943
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