LA VOIX DES TRAVAILLEURS
et LA LUTTE DE CLASSES
TOME III (mai 1947 mars 1950)


tome-3
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AVANT PROPOS
La grève Renault de mai 1947 chez Renault est, pour l'Union Communiste (trotskyste), l'aboutissement d'une dure bataille qu'elle avait commencée seule, dès 1945, contre la dictature stalinienne du P,C.F. imposée dans les usines par l'intermédiaire de la "grande" C.G.T. Dictature au détriment des intérêts ouvriers et au bénéfice du patronat, sous couleur de "redressement" du pays. Impulsée par une avant-garde révolutionnaire, la grève Renault est une victoire pour les ouvriers, qui reconquièrent la solidarité entre eux-mêmes et la liberté d'expression face à tous ceux qui prétendent leur imposer leur loi. Pour démocratiser la vie syndicale, les ouvriers les plus déterminés créent le Syndicat Démocratique Renault (S.D.R).
C'est alors que l'appareil stalinien, craignant de perdre son contrôle sur la classe ouvrière, change de tactique : il approuve les grèves pour en prendre la direction, les fractionner et les mener à leur perte. Des années plus tard, un ancien militant de la SNECMA racontait : "dans leurs bureaux, à la Fédé, les chefs syndicaux revoyaient avec terreur les événements de 1947, la grève Renault qui avait failli les emporter". (Gabriel Enkiri, Militant de base).
Mais tandis que le grand mouvement de Juin 36 avait poussé les masses ouvrières vers le syndicat, le mouvement de 47 ne réveille pas leur intérêt pour la vie syndicale. Elles restent attachées aux vieux appareils par la force de l'habitude. Rassurés, les staliniens instaurent à nouveau un climat d'agressions et d'intolérance. C'est ainsi que la C.G.T. refuse aux ouvriers nord-africains le droit de participer au défilé du 1er mai 1949 avec leur propre banderole "M.T.L.D." (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques).
La sympathie réelle des ouvriers envers le S.D.R. ne se traduit pas en actes, à part une petite minorité : "les ouvriers, même conscients, se sont imaginé que le nouveau syndicat allait exister sans leur participation active, par le truchement d'une carte et d'un timbre plus ou moins payé à jour".  (Bulletin du S.D.R. du 26.X.1948).
Les militants de l'U.C. se trouvent ainsi submergés par la lutte quotidienne dans l'usine, contre l'exploitation et le mépris. Ils sont à l'avant-garde des revendications sur les salaires, les horaires, l'hygiène, les conditions de travail. Un exemple entre mille : un vieil ouvrier à la fonderie, militant du S.D.R., revendique pour les ouvriers des fonderies, qui même en hiver travaillent torse nu, une répartition spéciale de savon. Il déplore, en même temps, qu'un jeune ouvrier refuse de prendre un livre qu'il lui propose, "parce que c'est encore du communisme".
C'est là où le bât nous blesse ! Dès le premier numéro sorti après la grève, notre journal se donne pour tâche "d'éduque les ouvriers qui cherchent une nouvelle voie". La Voix des Travailleurs traite de problèmes syndicaux, économiques, mais aussi culturels, politiques, internationaux, elle rend compte des luttes ouvrières dans le monde, elle combat les dangereux préjugés chauvins et racistes. Mais nous ne rencontrons pas d'écho sur ce terrain ; car le courant révolutionnaire qui fit ses premiers pas en 47 ne s'est pas développé. Nous avons, de ce fait, échoué à susciter au sein du mouvement ouvrier, parmi les jeunes, une nouvelle avant-garde. Cependant, La Lutte de Classes qui reparaître, pour une brève période, en janvier 1950, insiste à nouveau sur l'idée que les indispensables efforts revendicatifs (appuyés sur l'action syndicale) ne peuvent assurer le bien-être des ouvriers que s'ils vont de pair avec une lutte sur tous les terrains de la société capitaliste en vue de son renversement.
En 1975, sur la fin de sa vie (il est décédé en 1976 à l'âge de 62 ans), Barta s'exprimait ainsi dans un entretien avec un jeune camarade : "vivre en tant qu'homme se pose à toutes les époques sous une forme différente ; mais je crois que l'histoire a pris un autre cours, un tout autre cours que celui entre 1914 et la deuxième guerre mondiale. Il est évident, que ce soit à l'échelle nationale ou internationale, les problèmes se posent de toute autre fa‡on. On voit bien qu'il y a un retour vers les formes nationales, de réaction nationale..." 
Dans l'intervalle de vingt années entre les deux guerres (1918-1940), le prolétariat a mené partout des combats et a subi aussi de lourdes défaites, en Allemagne, en Espagne, tandis que la révolution russe, isolée, succombait sous la dictature de la bureaucratie stalinienne. Après la deuxième guerre mondiale, la révolution escomptée ne se produit pas. La lutte d'émancipation des colonies fait naître un éphémère tiers-mondisme. Mais il n'y a plus d’Internationale ouvrière.
Malgré tous ces retards et ces reculs chèrement payés, aucun regard sur le monde contemporain ne nous permet de renoncer au double héritage du mouvement ouvrier et de l'enseignement marxiste. Les progrès des sciences et des techniques, la productivité toujours plus grande, au lieu d'être au service de tous ne servent qu'à augmenter les inégalités. Les prêches réactionnaires de tout bord, nationalistes ou intégristes, perpétuent la barbarie. La seule chance de survie pour l'humanité est "du passé faire table rase", c'est-à-dire abolir les rapports de classe qui engendrent l'obscurantisme, l'oppression, les injustices et les guerres. C'est aux jeunes générations de s'interroger, de s'instruire, pour se donner de nouveaux outils de combat. La tâche la plus importante est l'éducation révolutionnaire de la jeunesse.
C'est ce but que doit servir aussi le présent volume.
Louise
Juin 1995


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AVERTISSEMENT
Ce volume constitue le troisième et dernier tome des écrits de l'Union Communiste (Trotskyste) édités à La Brèche.
Le premier, paru en décembre 1992, reproduisait les quarante-neuf numéros de La Lutte de Classes publiés pendant la guerre, d'octobre 1942 à juillet 1945 . Le second (mai 1994) présentait une sélection des articles de La Lutte de Classes  (septembre 1945-mai 1947) et la quasi-totalité de ceux de la première série de La Voix des Travailleurs (octobre 1945-avril 1946)  . Un supplément, édité par le G.E.T . propose les textes qui, faute de place, n'avaient pu être retenus pour l'édition de La Brèche.
Ce troisième tome couvre la dernière période d'existence de l'Union communiste, de mai 1947 à mars 1950. Il présente environ les trois quarts des textes des journaux. Comme pour le second, ceux qui n'ont pu trouver place ici seront édités par le G.E.T. sous forme d'un fascicule relié, à la façon des travaux universitaires.
Comme pour le tome précédent, le choix a été fait de ne pas présenter ce recueil sous le seul nom de Barta (Albert à l’U.C.), même s'il est l'auteur des articles les plus importants (parfois signés A. Mathieu) et si toute la politique de l'U.C. de ses origines à sa disparition porte son empreinte. Mais elle est aussi le produit de l'organisation sans laquelle il n'aurait pu ni l'élaborer ni la mettre en oeuvre.
La grève Renault qui éclate le 25 avril 1947 condamne La Lutte de Classes à cesser de paraître pour la première fois depuis octobre 1942 : entièrement mobilisée par ce mouvement, l'Union communiste n'a pas les forces de publier deux journaux. L'interruption forcée de la publication de la première Voix des Travailleurs en avril 1946 l'avait déjà montré. Placée devant d'importantes responsabilités par le succès de sa politique menée depuis août 1944, l'U.C. adapte ses outils politiques, et donc sa presse, aux tâches qui l'attendent. Quatre jours seulement séparent la dernière parution de La Lutte de Classes (n'90, 16 mai 1947) du premier numéro imprimé de La Voix des Travailleurs de chez Renault daté du 20 mai. Cette modeste feuille porte le numéro 6 pour souligner sa continuité avec les cinq parutions précédentes  (polycopiées) du bulletin d'entreprise de l'U.C (non reproduits ici, ils le seront dans le supplément à ce volume).
Quarante-deux numéros imprimés de La Voix des Travailleurs (du n°6 au n°47) paraissent du 20 mai 1947 au 19 mai 1948.
"La position stratégique que nous occupons actuellement chez Renault nous permet d'espérer un développement sinon rapide, du moins solide  , écrit Barta à Natalia Sedova en juin 1947. Le journal, lui précise-t-il un an plus tard, "avait été conçu comme un moyen de lutte et d'éducation avant tout de l'avant-garde ouvrière de chez Renault. Nous espérions, en partant de là, sur la base d'une croissance du mouvement ouvrier atteindre d'autres couches ouvrières"
Le titre, et en fonction des possibilités, le contenu du journal, s'adaptent à ces objectifs. Accolé au titre du journal, le nom de Renault fait référence au "soulèvement"  ouvrier d'avril-mai. Au fur et à mesure que la grève d'avril-mai s'éloigne tandis que de nouvelles entreprises entrent en lutte, la justification de lier le titre du journal aux usines Renault s'estompe. La référence à la Régie disparaître le 24 septembre 1947 (n'20), reflétant la volonté de l’U.C. d'en faire « un instrument de regroupement des ouvriers de nombreuses usines »  , . La Voix des Travailleurs, désormais sous-titrée Organe de Lutte de Classe, s'efforce de publier en plus grand nombre des articles et des échos provenant d'autres usines.
Journal ouvrier, le contenu de La Voix des Travailleurs diffère sensiblement de celui de l'ancienne Lutte de Classes.
A côté d'un éditorial et d'articles éclairant la situation sociale et politique française ou internationale, elle comporte de nombreux textes d'éducation, sur la nécessité et la manière de s'organiser ou justifiant telle ou telle revendication ouvrière. Les échos et les articles sur les conditions de travail, les salaires, la cantine, l'attitude de la maîtrise ou celle des staliniens brossent une peinture saisissante de la condition ouvrière de l'époque. Le hasard ne préside pourtant pas à leur rédaction. Ceux portant sur les salaires, la durée du travail, le rendement, les heures supplémentaires, etc, fournissent une véritable illustration des pages du Capital de Marx par la réalité telle que la perçoivent quotidiennement les ouvriers : loi de la valeur, plus-value, salaire, taux de profit, nombre de notions marxistes trouvent ici leur application concrète et concourent à l'éducation des travailleurs.
Cela étant, et quelle qu'en soit la qualité, La Voix des Travailleurs n'est pas l'organe politique de l’U.C. Barta, tout comme Natalia Sedova qui reçoit régulièrement La Voix, en sont conscients et en perçoivent les limites. La veuve de Léon Trotsky écrit en mars 1948 :
"La Voix des Tr. est très intéressant dans sa tendance révolutionnaire qui manque tellement en général dans nos publications. Mais je me demande si son "atmosphère" n'est pas un peu trop limitée aux questions du syndicalisme. J'en comprends la raison : vous le regardiez comme une partie du bulletin Lutte de Cl.-le complétant. Vous avez eu l'intention de le publier, mais malheureusement, à ce qu'il me semble, cela n'a pas pu encore se faire. Et c'est pourquoi manquent les questions théoriques et de politique générale". 
Il serait pourtant erroné de ne voir dans La Voix qu'une feuille d'agitation. Par leur niveau, ses articles auraient tout à fait trouvé place dans une publication plus directement politique. De plus, si La Voix des Travailleurs n'est pas l'organe politique de l'U.C, son contenu, y compris ses articles d'entreprise, le choix de ses échos, le texte de ses éditoriaux ou de ses articles sont sous-tendus par une véritable réflexion politique.
En mai 1948 La Voix des Travailleurs imprimée cesse de paraître.
"Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait changer de formule et nous avons décidé de faire paraître le journal deux fois par mois, format agrandi et de le faire vendre aussi par les kiosques. C'est le seul moyen d'atteindre de nouvelles couches, et pas seulement ouvrières. Bien entendu, le contenu doit changer lui aussi et se rapprocher bien davantage de l'ancienne Lutte de Classes "  écrit Barta à Natalia Sedova.
Faute de moyens matériels et militants, le projet ne voit pas le jour et seuls sept numéros ronéotypés, petit format, des tracts en réalité, paraissent encore jusqu'en janvier 1949. L'expression politique de l'U.C. est désormais réduite à la portion congrue.
En février, mars et avril 1949 trois numéros de La Lutte de Classes reparaissent, sous la forme d'un cahier ronéotypé d'une dizaine de pages. Enfin, après la scission, Barta et les quelques camarades restés avec lui, publient neuf numéros (de janvier à mars 1950) de la dernière formule de La Lutte de Classes qui disparaît définitivement à cette date.
Il était impossible de publier ce dernier tome des écrits de l'Union communiste sans lui adjoindre au moins deux textes postérieurs de Barta : Efficacité et limites de 1’initiative révolutionnaire rédigé en 1954 et la Mise au point concernant l"Histoire du Mouvement trotskiste en France"   adressée au directeur de Spartacus, publiée en août 1972.
Efficacité et limites de l'initiative révolutionnaire (Barta attachait une importance spéciale à ce titre) n'est pas un texte achevé mais des notes pour un article demandé par Pierre Monatte en 1954 pour sa revue La Révolution prolétarienne. Le projet n'aboutit pas. Mais, malgré leur caractère inachevé, ces notes constituent un exposé pertinent des buts de l'U.C. et une explication des raisons de son échec final, la seule en tout cas dont il nous ait été possible de prendre connaissance. Quelques coupes ont été pratiquées, destinées à en faciliter la lecture et à en éliminer les redites, sans en altérer le sens. La version intégrale sera publiée dans le "supplément-GET" à ce volume.
Très largement postérieure, puisque datant de 1972, la Mise au point concernant l"Histoire du Mouvement trotskyste en France" reprend l'idée principale d'Efficacité et limites quant aux raisons de la disparition de l'U.C. Texte dense et texte polémique, La Mise au point revient en outre sur le r“le de l'U.C. et celui de sa direction, c'est-à-dire Barta, dans le déclenchement et la direction de la grève Renault d'avril-mai 1947. Il contient, on le verra, des appréciations sévères sur Pierre Bois. Barta en regrettera par la suite le caractère incomplet comme il le précise dans une lettre à J.-P. B. du 30 juillet 1975 dont nous reproduisons l'essentiel.
Certes, en 1954 et a fortiori en 1972, l'Union communiste n'existe plus et ce n'est donc pas en son nom que parle Barta. Mais l'U.C. n'avait existé et joué un rôle que grâce à sa pensée et à son action. Cela justifie de présenter le bilan qu'il en tire.
GET.

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