La création d’un site consacré à l’Union communiste (Trotskyste) et à celui qui fut son fondateur et son dirigeant, Barta constitue une victoire.



Il y a quelques années encore, le nom même de Barta était inconnu hors du cercle restreint des vieux militants qui l’avaient connu ou des plus jeunes qui les avaient entendu parler de son action –bien souvent d’ailleurs d’une façon erronée ou mensongère-.
 Barta a pourtant tenu une place importante dans l’histoire du mouvement trotskyste en France ainsi qu’en attestent les documents présentés ici. Par le niveau de sa pensée politique d’abord. Sa brochure La Lutte contre la deuxième guerre impérialiste mondiale est le seul document à avoir maintenu une position authentiquement internationaliste à l’époque. Il y annonce le retournement de l’Allemagne contre l’URSS et de la défaite finale du Reich, victoire de l’Amérique sur l’Europe commente-t-il après Trotsky. Fin 1943 (références), il voit dans les manifestations et les insurrections ouvrières d’Italie les prémices de la révolution. Comme chacun sait aujourd’hui, la montée ouvrière, réprimée par le fascisme, écrasée sous les bombes alliées et étranglée par le stalinisme avorta. Mais « l’erreur de Barta » est celle d’un révolutionnaire qui, dans chaque situation, s’attache à dégager le sens des événements et à dire où, dans quelle direction, les révolutionnaires doivent peser. Les exemples de l’efficacité de cette pensée –qui n’est évidemment pas l’apanage de Barta mais qui fut celle de tous les penseurs et dirigeants révolutionnaires- sont multiples dans les pages qui suivent : rupture en 1944 avec la sacro-sainte « défense de l’URSS » devenue ouvertement contre-révolutionnaire en Europe de l’Est, propagande pour la grève générale, dès 1945, pour faire échec au patronat et à la politique anti-ouvrière soutenue par le PCF, puis succès de la grève d’avril-mai 1947 chez Renault, impulsée par l’UC mais qui sera dévoyée par le PCF dans des grèves fractionnées ultérieures.

    Pour le lecteur d’aujourd’hui, il s’agit d’histoire, bien sûr. Mais il s’agit aussi de véritables leçons de choses politiques. « Agir, c’est comprendre » répétait Barta. C’était vrai il y a soixante ans et ça le reste tout autant aujourd’hui. Jamais l’histoire n’est allée aussi vite que ce dernier demi-siècle. Et jamais la pensée révolutionnaire n’a autant fait défaut, enfermée dans des formules toutes faites. En août 1972, Barta raillait les dirigeants de Lutte ouvrière « Possesseurs de recettes révolutionnaires salvatrices, les dirigeants de ces groupes agissent en dehors de l’histoire […] selon des formules et des orientations qui, valables il y a trente ans, le seront encore en l’an 2 000 »..
 

    Nous sommes en l’an 2 000. Et Barta a eu raison d’une façon qui l’aurait sans doute désespéré. « L’Âge d’or », les « Trente glorieuses », se sont achevées avec les « Décennies de crise » sociale et politique, le stalinisme s’est effondré, l’URSS est démantelée, le Mur de Berlin est rasé, les anciennes Démocraties populaires ont rejoint le capitalisme libéral, etc, etc.

    Aujourd’hui, l’action politique est profondément déconsidérée dans de larges couches de la société. Un récent sondage (voir Le Monde du 22 novembre 1999) montrait que 90% des jeunes de 15 à 24 ans affirment n’avoir aucune confiance dans les partis politiques. L’une des explications (pas la seule, évidemment) est sans doute à rechercher dans leur incurie intellectuelle, leur incapacité à éclairer le chemin. De ce point de vue, l’étude des textes de l’Union communiste (1939-1951) est, à n’en pas douter, riche d’enseignements pour les futures générations de militants révolutionnaires, tout comme celle, évidemment, de ceux à qui l’histoire a laissé l’occasion d’agir (de comprendre !) à un tout autre niveau : Marx, Engels, Rosa Luxembourg, Lénine, Trotsky et tant d’autres.

    La pensée de Barta présente pourtant, pour les militants actuels, un intérêt spécial. D’abord parce qu’il a vécu (et commentée) des événements que ses illustres prédécesseurs n’ont pas connus. Mais aussi parce qu’il se trouva placé dans des conditions qui sont plus proches de celles qui existent aujourd’hui.
Quand il commence son action indépendante, en septembre 1939, le mouvement ouvrier est durement frappé et désorienté (dissolution des organisations communiste, pacte Germano-soviétique). Il fallait des capacités politiques pour s’orienter et une énergie militante pour construire un groupe.

    Mais pas seulement. Il y fallait aussi du courage politique. Celui d’aller jusqu’au bout de ce que suggérait l’analyse et de l’assumer publiquement sans la moindre concession au « politiquement correct » de son époque. Le courage politique dont il témoigne pour combattre le chauvinisme en 1940 ou en 1944 pour abandonner la défense de l’URSS est le même que celui qui le conduit à tirer la conclusion qui s’impose à lui après l’échec de l’UC en 1950 : « L’arbre prolétarien a rejeté la greffe révolutionnaire ». Le propos lui a été reproché. Pourtant, un demi-siècle plus tard, rien ne témoigne du contraire ? Les partis politiques sont déconsidérés et, parmi eux, ceux d’extrême-gauche.

    Cela ne signifie pour autant pas qu’il faille renoncer ni limiter son engagement au « mouvement social » comme le font tant de militants qui, ne trouvant aucun aliment dans les idées des groupes
d’extrême-gauche, se replient sur une action, utile et indispensable, au sein d’associations ou de syndicats.

    Mais l’action politique reste nécessaire. C’est la façon dont elle est aujourd’hui envisagée qui doit être mise en question.

 

    MR