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chronologie 1948 |
N° 32 |
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28 JANVIER 1948
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Rendez-vous de 18h à 20h :
café-tabac «Le
Terminus»
angle r. Collas av. Edouard Vaillant. M° Pont-de Sèvres |
Cependant, "la troisième force" veut prouver qu'elle est capable de gouverner toute seule ; elle veut prouver aux capitalistes qu'ils peuvent se passer non seulement de Thorez, pour ce qui est de faire trimer les ouvriers, mais aussi de De Gaulle, pour ce qui est de rendre la liberté totale de mouvement au patronat. Schuman a donc décidé de ne pas faire les choses à demi. Pas assez, d'avoir réprimé par tous les moyens, la grève de novembre-décembre : il se met à voler aux ouvriers l'aumône qu'il leur avait promise alors, "s'ils se montraient raisonnables". Pas assez, l'emprunt forcé sur les classes moyennes : la dévaluation du franc doit accélérer leur ruine. Pas assez, d'avoir épargné les capitalistes, tandis qu'ouvriers et classes moyennes sont réduits au désespoir : il leur rend la liberté de spéculer à la bourse sur les devises, et il appelle cela "faire renaître la confiance". Les boursicotiers, les capitalistes, doivent "sauver l'industrie française de la paralysie menaçante" ! Mais, en fait, qu'est-ce qui paralyse l'économie sinon les capitalistes ? Les tâches de la reconstruction sont-elles terminées ? L'agriculture dispose-t-elle du matériel nécessaire à son relèvement ? L'équipement industriel a-t-il été renouvelé ? La demande générale de produits de toute sorte, du vélo à l'auto, de la casserole au tracteur, a-t-elle été tant soit peu satisfaite ? En réalité, le marché intérieur est capable d'assurer l'activité industrielle de la France pour de nombreuses années. Mais messieurs les capitalistes ne sont pas disposés à encaisser leurs profits en francs, monnaie instable ; par conséquent, ils ne veulent pas faire marcher la production pour la consommation intérieure. Le franc, voyez-vous, est tout juste bon pour payer les salaires, qui perdent ainsi automatiquement une partie de leur valeur entre le moment où ils sont touchés et le moment où ils sont dépensés. Le franc est tout juste bon pour remplir les lessiveuses des paysans qui ne trouveront pas en échange les produits industriels nécessaires, ou pour donner l'illusion aux petites gens qu'ils possèdent quelque chose. Mais les milliardaires sont des gens sérieux, qui, s'ils spéculent sur le franc, calculent leur fortune seulement en or et en dollars. L'appât du gain les pousse ainsi vers l'extérieur. Détenteurs de tous les moyens de production, les 200 familles laissent le pays tomber en ruines et surexploitent les masses travailleuses jusqu'à l'extrême limite, pour trouver des débouchés à l'étranger. Et c'est seulement pour donner "un coup de fouet" aux exportateurs, que le gouvernement Schuman, par la dévaluation et "la liberté de l'or et du dollar" frappe durement les masses. Mais, quand l'expédient de la dévaluation sera épuisé, ce "coup de fouet" en nécessitera bien d'autres. Cela a toujours été le cas, du reste, pour faire marcher les affaires de ces messieurs. L'inflation, la dévaluation, la guerre, la guerre coloniale, etc., que sont-elles d'autre que des "coups de fouet" sans lesquels la domination des capitalistes se serait déjà écroulée ? Et qu'importe au patronat de réduire la masse de la population à des conditions de travail qui ressemblent toujours davantage au bagne, si cela leur assure à eux-mêmes, et à leurs laquais (du gouvernement ou d'ailleurs) le paradis ; non pas le paradis dans l'autre monde, mais un paradis terrestre "sonnant et trébuchant" ! Malgré le "suffrage universel", le parlement, le gouvernement, la police, l'armée appartiennent en propre aux capitalistes. C'est l'Etat qui contraint les masses travailleuses à des conditions de bagne, tandis qu'il monte une garde vigilante pour préserver le paradis que les capitalistes se sont créé par l'exploitation sanguinaire des masses. LA
VOIX DES TRAVAILLEURS.
L'arrogance du patronat, qui pratique la politique du pire, se trouve renforcée par la menace du chômage qui pèse sur les ouvriers. Si les capitalistes, déjà au moment où ils avaient besoin des ouvriers, les faisaient travailler avec des salaires de famine, aujourd'hui que leurs spéculations et combinaisons internationales frappent de paralysie l'économie et la production, les premières victimes doivent en être tout naturellement les ouvriers. LE CHOMAGE, voilà qui, suivant les plans des capitalistes, doit "mettre à la raison" les ouvriers, les contraindre, en suspendant sur leurs têtes le spectre de la famine, à toutes les capitulations.
Dans son attitude vis-à-vis
des ouvriers, le patronat spécule donc sur son meilleur
allié
: LA MISERE.
Le plein emploi et un salaire décent ! Quand ils avaient besoin de main-d'oeuvre, les capitalistes ont bien su réclamer le maximum de travail et encaisser tout le profit ; aujourd'hui, s'ils sont incapables d'assurer du travail à tout le monde, ils doivent assurer le minimum vital à ceux qui ont produit tous leurs bénéfices.
Les travailleurs ne peuvent
pas admettre le raisonnement selon lequel le patronat ne peut pas payer
ceux qui ne travaillent pas. Si le travail manque, à qui la
faute
? Pendant la guerre, on admettait bien que les chômeurs soient
payés
à 75% de leur salaire, le chômage étant
indépendant
de leur volonté.
Mais pour soi-disant faire rentrer ces capitaux, le gouvernement dévalue la monnaie, et offre une prime aux nouvelles spéculations. Les primes à la spéculation ne feront pas rentrer les capitaux. Mais qu'on arrête seulement quelque 200 représentants des 200 familles pour leurs spéculations, qu'on les jette en prison, et on verrait alors s'ils ne rapatrieraient pas leurs avoirs, si les fonds ne sortiraient pas de là où ils se sont entassés. Mais la politique du gouvernement, c'est : des dollars pour les capitalistes, le chômage pour les ouvriers. Echelle mobile des heures de travail ! Paiement des ouvriers en chômage à 75% de leur salaire ! Telle sera la riposte de la classe ouvrière, qui ne laissera pas le patronat lui attacher aux pieds le boulet du chômage. Production américaine, technique américaine, secours américains... la propagande bourgeoise nous présente les Etats-Unis comme le pays de la richesse et de la prospérité pour tous. Mais s'il est vrai que, grâce à une technique extrêmement perfectionnée, la production a pu augmenter, par exemple, depuis la guerre de 80%, il n'est pas moins vrai que la grosse majorité de ceux qui créent toutes ces richesses ne peuvent en jouir. En effet, quel est le salaire moyen de l'ouvrier et du petit employé américains ? Environ 2.500 dollars par an (et bien des salaires sont en-dessous : ainsi les pilotes de remorqueurs gagnaient avant la grève au début de cet hiver, 1.800 dollars par an), c'est-à-dire que, les impôts déduits, il reste environ au travailleur américain 200 dollars par mois. Avec ce salaire, comment peut-il se loger, se nourrir, s'habiller, se distraire ? En ce qui concerne le logement, tout le monde a entendu parler des appartements américains pourvus du dernier confort et des instruments les plus perfectionnés, en particulier pour la cuisine. Or un tel appartement, de deux pièces et demi, revient, PAR MOIS, à 95 dollars, c'est-à-dire presque la moitié du salaire de l'ouvrier ! Ne pouvant se l'offrir, il doit se contenter d'un logement moins "américain". Tout compte fait, pour 60 dollars environ, il a un logement assez semblable à celui du travailleur français avec en plus, peut-être, une salle de bain et un frigidaire, s'il a le moyen de s'en payer à crédit. Il reste donc à notre ouvrier environ 140 dollars. Pour manger, de la même façon, on vante beaucoup les si pratiques restaurants américains. Mais le repas, dans l'un de ces restaurants, catégorie D, coûte 1,8 $. La nourriture reviendrait ainsi, en moyenne, à 4$ par jour et par personne. L'ouvrier mange donc chez lui avec sa femme. Ce qui leur revient de 100 à 130 $ par mois. Les frais de loyer, nourriture, blanchissage déduits, il restera tout au plus une vingtaine de dollars à l'ouvrier pour le coiffeur, le cinéma, le tabac, etc. Mais dès qu'il s'agit d'une dépense extraordinaire, comme l'achat d'un costume, de meubles, d'un frigidaire ou d'une auto (les distances énormes qu'il a la plupart du temps à parcourir pour aller au travail l'obligent à en avoir une), le budget devient déjà beaucoup plus difficile à équilibrer : l'ouvrier est forcé d'acheter à crédit, et ses versements hebdomadaires réduisent d'autant son salaire. Il jongle avec les dettes jusqu'à l'augmentation rêvée - ou la mise à la porte, si son patron trouve quelqu'un de plus jeune et de moins cher que lui, car son travail n'est pas protégé. Alors, il est saisi et, lorsqu'il retravaille, on prélève sur son salaire de quoi payer ses dettes. Pour l'instant, les roues tournent et le chômage est réduit. Mais que se passera-t-il quand la crise sera là ? Ce jour-là, des millions de travailleurs américains recommenceront l'existence qu'ils ont menée après la crise qui suivit la première guerre mondiale : à eux la cabane à lapins, les camps de travail, la vente des pommes et des lacets à la sauvette, l'exode d'Etat en Etat. Si le travailleur américain n'est pas encore réduit au degré de misère du travailleur européen, sa situation n'en est pas moins précaire : non seulement les progrès techniques, qui rendent si facile la vie américaine, ne sont pas pour lui, mais encore il n'est jamais sûr de ne pas se retrouver le lendemain sur le pavé, si le patron en a décidé ainsi. En Amérique, comme en France et comme partout, le niveau de vie de l'ouvrier ne cesse de descendre depuis la guerre. C'est ce qui explique les nombreuses et gigantesques grèves qui n'ont cessé de déferler depuis deux ans et demi aux Etats-Unis. La loi assure, en principe,, aux ouvriers la représentation auprès du patronat par un certain nombre de délégués du personnel. En demandant l'élection, dans certains départements de la R.N.U.R., de délégués manquants les représentants du S.D.R. ne réclamaient donc que le respect de cette loi. Or, ces élections, à peine officieusement admises, sont à nouveau démenties, en vertu... d'une loi qui s'y oppose (loi Croizat : scrutin unique pour toute l'usine). Mais si s'opposer aux élections, c'est respecter la loi (scrutin unique), que devient, dans ce cas, la loi fondamentale qui prévoit un certain nombre de délégués pour un certain nombre d'ouvriers ? C'est là une absurdité. Car, d'une façon ou de l'autre, en voulant soi-disant se conformer à une loi, on en enfreint une autre. Et, à la fin, qu'est-ce qui est le plus illégal ? Que les élections soient faites dans un seul département ou que les ouvriers de ce département restent sans délégués ? Ce qui est manifeste, dans cette affaire, c'est qu'il y a des gens qui ont intérêt à s'opposer à l'élection des délégués : la direction et les cégétistes (qui ont peur que les ouvriers soient consultés). Et, pour s'y opposer, ils peuvent toujours appeler une loi à leur rescousse. C'est qu'il y a loi et loi. Il y a surtout deux catégories de lois : les lois qui consacrent l'exploitation et l'oppression, c'est "la loi", que le pauvre ne peut enfreindre sous peine de se voir jeter en prison. Il y a aussi les lois, que les ouvriers, par leurs luttes, ont imposé aux exploiteurs, c'est la législation sociale. Mais ces quelques lois, qui doivent protéger l'ouvrier contre le bon plaisir patronal, d'autres lois "complémentaires" les interprètent, les déforment, les restreignent au point de les ramener à l'état de fictions. Si bien que les ouvriers n'arrivent à les faire respecter qu'aussi longtemps qu'ils se tiennent prêts à les défendre par la force. Les patrons, pour qui n'existent ni démocratie, ni respect des droits acquis, ni légalité, s'indignent ensuite quand les travailleurs recourent à la grève ou à l'action directe. En réalité, c'est en les voyant faire, que les ouvriers comprennent pourquoi, dans le cadre de la légalité bourgeoise, il n'y a pas moyen d'améliorer leur sort. A.
MATHIEU.
Pour obliger les ouvriers
à donner le maximum de leurs forces, les patrons ont
imaginé
d'instituer le travail au rendement. Longtemps combattu par les
organisations
syndicales, ce système est devenu le principal instrument de
leur
politique du "produire d'abord...". Il consiste à
chronométrer
un travail normalement fait, en déduire un temps au-dessous
duquel
l'ouvrier ne doit pas descendre sous peine de "ne pas faire l'affaire",
lequel temps représente, s'il est strictement respecté,
le
salaire de base.
Les temps ne sont, évidemment, pas tous au même niveau, ils ne sont pas tous aussi justes, il y en a qui permettent "d'y arriver". Mais comme ils sont intégrés dans une chaîne où il existe des temps très bas et que le boni de chacun est fixé non pas en fonction du travail individuel, mais de la sortie globale de l'équipe, il en résulte que tout le monde doit "mouiller sa chemise" pour réaliser une moyenne raisonnable. Ce procédé contraint toute une chaîne à un train d'enfer. Une action collective au département 49, dans une équipe a révélé qu'une partie des temps individuels étaient humainement irréalisables. Ce sont les autres qui travaillaient à remplir ce panier percé. Dans ces cas-là (il y en a au moins un par atelier) le chef d'atelier, le brave homme, règle tout de même au-dessus du boni réalisé pour éviter les "explications", assuré qu'il est d'avoir toujours une production maximum pour un prix minimum.
Quand les temps sont,
malgré tout, trop forts, au gré du patron, il lui reste
la
ressource de les diminuer. La loi prévoit que cette
opération
ne peut s'effectuer qu'en cas de modification d'outillage, mais le
moindre
bricolo, le plus insignifiant, permet de tourner légalement...
la
loi. Pour masquer ses agissements la direction ne recule devant aucun
subterfuge.
C'est ainsi que des temps ayant été réduits dans
un
atelier du département 6, certains ouvriers n'avaient
réalisé
que 70 et 75 minutes dans l'heure ; ils furent cependant
complétés
avec des bons chamois et furent payés comme les autres à
85 minutes.
Le système des temps est extrêmement compliqué. Si, en principe, il suffit de consulter son onglet pour connaître son temps, la majeure partie des ouvriers ignorent même son existence et bien souvent les chiffres qu'il contient sont "théoriques" et diffèrent de ceux exigés. Toutes ces combines ne sont possibles que parce que la plus grande partie du salaire dépend de la production, du rendement, d'où possibilité pour le patron de spéculer sur le pain de l'ouvrier. Le salaire au rendement est un piège pour l'ouvrier ; sous couleur de lui faire gagner plus d'argent, le patron le filoute de mille manières : il faut lutter pour qu'il soit supprimé. Ceux qui prétendent qu'il y a des aménagements possibles au système du boni dupent les ouvriers, car la raison d'être du boni, c'est justement de faire suer des bénéfices aux travailleurs, en les contraignant à donner leur maximum. Le seul système de rémunération acceptable, c'est le travail à l'heure. H. DURIEUX |