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N° 44
 PRIX : 4 francs
28 AVRIL 1948 

L’EMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA L’OEUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MÊMES
La Voix des Travailleurs


 
ADMINISTRATION :
Jean Bois, 65 rue Carnot, Suresnes (Seine)
  ORGANE DE LUTTE DE CLASSE
ABONNEMENTS:
6 mois: 100 fr
1 an :    200 fr
 
UN "MUR DES LAMENTATIONS" N'ARRETERA PAS LA GUERRE
    "Qui ose prétendre que le plan Marshall d'aide économique à l'Europe soit un plan de guerre ?" interrogeait superbement, il y a quelque temps, la presse favorable aux banquiers de New-York. Mais, à peine voté par le Congrès américain et officiellement accepté par le troupeau des seize ministres des Affaires étrangères européens, le plan de "relèvement" dévoile entièrement ses véritables buts. Ne peuvent en douter que les gens qui ne veulent, à aucun prix, ni voir ni entendre.
    Le début de la semaine a été marqué par une grande offensive de la diplomatie "occidentale" qui, par tous les moyens de propagande à sa disposition, s'efforce de convaincre le public de la nécessité d'une garantie militaire américaine à l'Europe de l'Ouest. On apprend, en même temps, toujours par les journaux ﷓﷓car ces messieurs n'ont vraiment pas besoin d'en demander d'abord la permission à leurs peuples﷓﷓ que Marshall, Bevin et Bidault préparent déjà les grandes lignes d'un vaste programme de défense.
    Ils ont besoin d'une grande armée pour la disposer face au "rideau de fer" ; ils veulent des bases aériennes pour la R.A.F. anglaise sur le continent, y compris en France ; ils s'apprêtent à unifier les marines des cinq puissances (Angleterre, France, Belgique, Hollande et Luxembourg) et à préparer les plans de mobilisation générale : VOILA A QUOI SERVENT LES MILLIARDS DE DOLLARS AVEC LESQUELS TANT DE NAIFS ONT ETE ALLECHES. L'Oncle Sam philanthrope n'est qu'une illusion derrière laquelle se cache le businessman américain, qui poursuit depuis trente et un ans (1917 !) ses plans de conquêtes mondiales !
    Rien n'a été négligé, cette fois-ci non plus, pour offrir aux éternels dupes une paille à laquelle s'accrocher. Vous le voyez, il s'agit d'organiser militairement les "Cinq" seulement ; des pays comme l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne en sont exclus ; nous resterons entre alliés, entre démocrates !
    Mais, si la coopération militaire n'est pas préconisée pour le moment, la coopération économique avec l'Italie, l'Espagne et l'Allemagne est néanmoins une coopération de guerre. Même ainsi, il n'est déjà que trop clair que toutes ces guerres contre l'ennemi "héréditaire" ou contre "l'agression" n'ont été que des prétextes utilisés par les capitalistes, selon leur bon plaisir, au profit de leur brigandage contre les peuples.
    Mais, bien que conscients des duperies dont ils sont victimes, les peuples n'ont pas été capables, jusqu'à maintenant, de réagir efficacement. Aucun signe n'est venu révéler que les ouvriers des pays intéressés, ceux de France en particulier, soient décidés à mener enfin une véritable lutte contre la guerre. Il y a d'un côté une minorité qui essaie d'embrigader les masses dans le camp russe ; de l'autre côté, une minorité "intéressée" au plan Marshall, tandis qu'au milieu la grande masse reste désemparée, ne sachant que faire, se vouant à tous les saints ; en fin de compte, elle ne sait que se répandre en quotidiennes lamentations, en attendant que la catastrophe vienne l'écraser de tout son poids.
    Cependant, dans la lutte contre la guerre, la classe ouvrière a de nombreuses traditions, possède sa propre méthode ﷓﷓la révolution﷓﷓ et dispose seule de la force nécessaire. Seulement, au-dessus d'elle, une couche de parasites bureaucratiques, n'ayant adopté qu'en apparence différentes idéologies ouvrières (socialistes, communistes, syndicalistes et autres), l'empêche d'accomplir sa mission historique, qui est celle de renverser le capitalisme et de bâtir le socialisme afin de mettre un terme aux guerres entre les peuples. Au contraire, ces bureaucrates vendent les ouvriers au plus offrant. La lutte contre la guerre commence donc par l'effort de se débarrasser de ceux qui déforment et avilissent le mouvement ouvrier. Ces gens ne sont pas des inconnus pour les ouvriers. Les exploités connaissent par leur nom ceux qui, tout en prétendant servir la classe ouvrière, ne font que s'en servir. Le malheur, c'est que, tout en s'en plaignant, ils retombent à chaque nouvelle occasion, sous leur férule. L'époque de prospérité capitaliste d'avant guerre a trop habitué le gros de la classe ouvrière à s'en remettre, pour les questions décisives, à ses députés ou ses "représentants" syndicaux.
    Or les temps ont complètement changé. A notre époque, l'homme fait plus que jamais lui-même son destin. Seul l'esclave résigné se lamente ; l'homme qui veut devenir libre agit. Il essaie de convaincre, de mobiliser, se mobilise lui-même ; il relève le courage des autres, et pour cela il commence par regarder lui-même courageusement autour de lui. Il ne cherche pas si la bonne cause entraîne déjà des millions de partisans : il examine seulement si la cause est juste. Car une cause juste ne manquera jamais de rassembler les millions d'hommes qui la mèneront à bien.
    Les travailleurs de France possèdent dans leur propre histoire de véritables traditions de lutte socialiste. Ou la classe ouvrière renouera avec ses traditions révolutionnaires, ou la guerre passera. Ce n'est pas un "mur de lamentations" qui peut l'arrêter.
LA VOIX DES TRAVAILLEURS.


LE PREMIER MAI FERIE C'EST SIGNE HITLER-PETAIN
    Depuis plus d'un demi-siècle le 1er mai est, pour le prolétariat international, une journée de lutte revendicative et de mobilisation de forces dans le monde entier.
    Avant la guerre, le 1er mai était marqué par des luttes ouvrières. Le patronat se tenait sur la défensive, en menaçant de licenciements, l'Etat mobilisait sa police pour maintenir "l'ordre"'. En un mot, la bourgeoisie craignait le 1er mai. En France, c'est en 1906 que, pour la première fois, le 1er mai revêt une ampleur formidable. L'objectif est la journée de huit heures, et les bourgeois ont une telle peur de l'action des ouvriers qu'ils ont, dans les jours précédents, fait provision de vivres, et se sont réfugiés dans les caves de peur de l'émeute populaire.
    La bourgeoisie a essayé de transformer la manifestation ouvrière annuelle contre l'esclavage capitaliste, en une "fête du travail". Aux travailleurs écrasés par le misère, elle a préféré faire le sacrifice d'une journée de chômage payé, plutôt que de s'exposer à la lutte revendicative des ouvriers. C'est ce que fit Pétain pendant la guerre. C'est ce qu'avait fait Hitler au pouvoir en Allemagne.
    Après la "libération", les organisations syndicales attachées au char des capitalistes alliés et De Gaulle, voulurent faire mieux : elles décidèrent que le 1er mai 1945 serait une "journée de travail de choc". Mais les protestations indignées des ouvriers firent rapporter cette décision, et après les années de guerre et l'occupation, pour la première fois, les ouvriers retrouvèrent dans le 1er mai, une journée de manifestation de classe.
    Mais déjà en 1946, le renégat Croizat, alors ministre du Travail, reprend l'idée de Pétain et fait du 1er mai un "jour férié". Mais, comme il ne veut pas gêner la production, cette journée sera récupérable.
    En 1947, les dirigeants du P.C.F. étant assis dans les fauteuils ministériels, la manifestation du 1er mai sort des faubourgs pour se transformer en un défilé de mi-carême, de la Bastille à la Concorde. Cependant, les travailleurs de chez Renault sont en grève, et les matraquages des agents du P.C.F. contre les diffuseurs des tracts du Comité de grève Renault seront impuissants à arrêter l'élan de la lutte gréviste qui, durant toute l'année 1947, déferla par toute la France.
    Que sera le 1er mai 1948 ?
    Certains ouvriers, dégoûtés des méthodes du P.C.F., iront peut-être au Parc de Saint-Cloud, où De Gaulle, suivant dignement les traces de Pétain, "offre gratuitement" un spectacle champêtre avec Edith Piaf et autres exhibitions. D'autres iront écouter les discours des "grands chefs" et défiler de la Bastille à la Nation. D'autres iront au muguet. 1er mai 48, jour de fête. Voilà ce qu'on offre aux ouvriers. Une journée de repos et de bourrage de crâne, afin de nous faire oublier un moment tous les autres jours de l'année où il faut trimer dur.
    Mais, déjà au 1er mai 1945, comme au 1er mai 1947, les ouvriers ont montré qu'ils savaient se passer de l'approbation des dirigeants pour agir dans un esprit de classe.
    Si les défaites récentes, dues à la trahison des chefs ouvriers, ne leur permettent pas de manifester leur combativité en ce jour de 1er mai, ils n'en ont pas pour autant abandonné leur droit à la vie. Gare au jour où ils auront récupéré suffisamment de forces et de cohésion.
    Tremblez, messieurs les capitalistes et leurs valets. Car si les travailleurs n'ont pas la possibilité de manifester leur colère en ce 1er mai 1948, ils n'en gardent pas moins au fond de leur coeur une haine profonde pour le régime qui les oppresse. Et tôt ou tard, cette colère finira bien par éclater.


IL FAUT CESSER DE TOURNER EN ROND !
    D'après M. le ministre Teitgen, il nous reste à tenir encore six semaines pour que les choses aillent mieux.
    Mais, d'après M. Abelin, c'est encore trois mois qu'il faut patienter...
    Cependant, il a été reconnu, tout récemment, au Conseil économique, que le pouvoir d'achat des salariés se trouve aujourd'hui en-dessous de ce qu'il était en décembre dernier. Aussi le gouvernement, qui s'oppose, par ailleurs, à toute augmentation de salaire, promet-il d'augmenter la ration de pain... après la soudure.
    D'autre part, on a proposé de détaxer certaines denrées pour faire baisser les prix. Mais dans Le Monde (22 avril), journal officieux, on lit que "les difficultés budgétaires viennent compliquer le problème de la baisse des prix... Il faut s'attendre à une augmentation des dépenses militaires... Aussi ne semble-t-on pas disposé, au ministère des Finances, à opérer des dégrèvements fiscaux sur les denrées alimentaires".
    L'amélioration de la condition ouvrière, si l'on s'en remet au gouvernement, ne sera ni pour dans six semaines, ni pour dans trois mois, mais pour la semaine des quatre jeudis.
    Ce n'est pas parce qu'ils ont confiance dans la politique gouvernementale, dont ils connaissent les calculs, que les ouvriers, en ce moment, ne bougent pas, mais parce que leurs propres organisations ne leur inspirent plus confiance, pour mener la lutte. Que représente, en effet, pour eux, la revendication actuelle de la C.G.T. pour une augmentation de 20%, après le sort qui a été fait, jusqu'à présent, à ses autres revendications ? A peine celle-ci vient-elle de menacer de mettre les capitalistes au pied du mur par le contrôle effectif des comités d'entreprise sur leurs livres de compte, qu'il n'en est déjà plus question !
    Voilà pourquoi, la solution ne venant d'aucun côté, tout le monde tourne en rond : les ouvriers tournent en rond devant le buffet vide ; le gouvernement, avec son nième projet de baisse et son vingtième plan de la viande, tourne autour des difficultés et ajourne les "solutions" ; tandis que, grâce à la surexploitation et aux bas salaires, les affaires des capitalistes continuent, elles, à tourner rond.


A la R.N.U.R.
ACCORDEZ VOS PAROLES ET VOS ACTES, M. LEFAUCHEUX !
    La plupart des dernières grèves partielles qui ont eu lieu à la R.N.U.R., ont eu pour cause l'offensive patronale contre les temps : exiger plus de travail pour un même laps de temps, c'est indirectement diminuer le salaire de l'ouvrier dans lequel entre pour une part importante le "boni", le salaire au rendement.
    Contrairement à la C.G.T., qui ne met nullement en question le principe du salaire au rendement et revendique l'amélioration des coefficients, le S.D.R. met en avant le seul mot d'ordre qui puisse battre en brèche la politique patronale : retour au plafond (au taux en vigueur avant sa suppression, c'est-à-dire 116%), avec maintien des salaires.
Quelle est, à ce sujet, la position de la direction patronale ?
    "Il n'y a jamais eu d'ordre systématique donné par la direction pour réduire les temps de chronométrage", prétend M. Lefaucheux (compte tendu du Comité d'entreprise, 1er avril). Et s'il y a de grands écarts entre les salaires, cela est "très ennuyeux", mais "il ne pense pas" que cela "provienne des méthodes de chronométrage, mais de la suppression des plafonds".
    Si la suppression du plafond explique l'anarchie qui existe dans les salaires, cela ne justifie pas encore qu'ils aillent en décroissant, que plus l'ouvrier travaille moins il gagne, au point que si aujourd'hui "le plafond de la production est atteint, les ouvriers travaillent pour le même prix". En fait, comme s'exprime hypocritement M. Lefaucheux, "...il faut revoir les temps, mais de façon telle qu'un travail moyen permette à l'ouvrier de gagner sa vie", ce qui, traduit en clair, signifie que la suppression du plafond a permis à la direction de revoir les temps de façon à ce que l'ouvrier ne gagne pas plus que ce qu'elle considère suffisant.
    Mais si M. Lefaucheux ose ainsi sans danger dévoiler la situation actuelle comme engendrée par la suppression du plafond, c'est parce que ce sont MM. les cégétistes qui en ont été les champions.
    Aujourd'hui, dans la même séance du Comité d'entreprise sus-mentionnée, le représentant cégétiste se plaint que le chronométrage "soit plus ou moins judicieusement établi", c'est-à-dire au détriment des ouvriers.
    La direction, responsable des chronométrages, s'en prend à la suppression du plafond ; la C.G.T., responsable de la suppression du plafond, s'en prend aux mauvais chronométrages. Ainsi l'un et l'autre se renvoient la balle.
    Mais prenons donc M. Lefaucheux au mot. La suppression du plafond provoque l'anarchie des salaires, c'est-à-dire l'anarchie de la production. (En effet, il arrive fréquemment que des ouvriers, ou même des chaînes entières, marchent à une cadence très vive - puisque le plafond est supprimé ; les ateliers qui précèdent dans la production ne marchent pas forcément à la même cadence ; ce qui fait que les ouvriers qui ont livré à un taux très élevé se trouvent brusquement arrêtés par manque de pièces, et à leur tour, ils en font attendre d'autres). Qu'on régularise la production en rétablissant le plafond et en maintenant le salaire, puisque selon leur propre aveu, celui-ci n'a pas été augmenté en même temps que la production !
    Mais comment M. Lefaucheux se priverait-il, quels que soient par ailleurs les inconvénients pour la production, de faire réaliser à la plupart des ouvriers treize heures de travail en neuf heures et demie de présence ?
    Nous savons bien que chez Citroën, par exemple, M. Boulanger préfère les bas salaires et les pièces loupées, plutôt que d'organiser la production en payant aux ouvriers un salaire décent.
    Comment pourrait-il admettre l'unification des salaires, qui permettrait aux ouvriers de voir clair dans leurs fiches de paye et de mieux se défendre contre les "petits vols" qui rapportent à la direction des millions ?
    C'est dans son propre intérêt que la direction avait donné satisfaction à la "revendication" cégétiste de la suppression du plafond. C'est à dessein qu'elle entretient l'anarchie dans les chronométrages.
    Tout en s'accusant réciproquement, la direction et la section syndicale C.G.T., "pour battre la concurrence américaine", en arrivent aux mêmes conclusions : travailler au maximum.
    Cependant pour le travailleur, le salaire au rendement, ce sont les longues journées de labeur, la cadence abrutissante qui ruine sa santé physique et encore plus sa santé morale, c'est le retour à l'alcoolisme dégradant dans lequel l'ouvrier essaie d'oublier sa misère, c'est la surexploitation qui fait d'un homme un robot.
    A bas le salaire au rendement et, comme premier pas dans cette voie, retour au plafond à 116%.
P. BOIS.



LIBRAIRIE
Marx et Engels- Le Manifeste communiste (préfacé par L. Trotsky). 20.
- Critique des programmes de Gotha et d'Erfurt 60.
Rosa Luxembourg-Réforme ou Révolution  60.
-Grève générale, parti et syndicats.. 60.
Léon Trotsky- Le Marxisme et notre époque  30.



A la R.N.U.R.
DANS L'ILE

    En ce moment, dans toute l'usine, la direction mène l'offensive pour diminuer les temps et forcer au maximum la cadence, spéculant sur la misère des ouvriers.
    Dans l'île, en particulier, sur la chaîne de carrosserie des 4 CV, grâce à une augmentation quotidienne de la vitesse de la chaîne, le même nombre d'ouvriers (35) est arrivé, en une semaine, à faire passer sa production de quarante à soixante véhicules ! La même opération effectuée par l'ouvrier, il y a quinze jours, en quinze minutes, l'est maintenant en dix.
    La semaine dernière, les ouvriers de cette même chaîne, malgré la cadence infernale, ont encore réussi à rattraper, en une journée, un retard de travail d'une heure, dû à une panne d'électricité survenue la veille ! Le soir, ils étaient tous, sans exception, secoués de tremblements de la tête aux pieds. De tels faits ne sont malheureusement pas rares.
    Tel un capitaine de galère, la direction enchaîne les ouvriers à la peine, réalisant une véritable course contre la montre pour savoir en quel temps record elle tirera tant de 4 CV de tant de paires de bras.
    Pour quelques francs de plus par heure, les ouvriers se laisseront-ils diviser et imposer une cadence qui viendra rapidement à bout de leurs forces, mais permet à la direction, de multiplier non moins rapidement ses bénéfices ?

RENDEZ-VOUS
Mercredi et vendredi de 18 h. à 20 h. : Café-tabac "Le Terminus", angle rue Collas et avenue Vaillant-Couturier.  Métro : Pont-de-Sèvres.


NOTICE HISTORIQUE SUR LE 1er MAI
    Le Congrès socialiste international de Paris (1889), réuni à l'occasion de l'Exposition universelle, vota un projet établi par Lavigne, Guesde et Lafargue (Français) d'une part, Liebknecht et Bebel (Allemands), d'autre part. Ce projet réclamait l'organisation d'une "grande manifestation à date fixe de manière que, dans tous les pays et dans toutes les villes à la fois, le même jour convenu, les travailleurs mettent les pouvoirs publics en demeure de réduire légalement la journée de travail".
    On retint la date du 1er mai 1890 parce qu'une manifestation semblable (ayant aussi pour but la journée de huit heures) avait déjà été fixée à cette date par les syndicats américains.
    Mais les syndicats américains non plus n'avaient pas choisi ce 1er mai 1890 par hasard.
    En octobre 1884, puis en décembre 1885, la centrale syndicale d'alors (The Federated Trades) décida que "tout atelier, toute usine qui n'aurait pas obtenu de bon gré la journée de huit heures devait se mettre en grève pour l'obtenir de force le 1er mai 1886".
    Au jour dit de grandes grèves éclatèrent un peu partout dans le pays. A Chicago, les troubles furent sanglants. La police tira sur les grévistes. Par représailles, une bombe fut lancée le lendemain sur le service d'ordre. De nombreux militants anarchistes furent arrêtés. Quatre furent condamnés à mort et exécutés.
    Au cours des années 1888 et 1889, l'A.F.L. (qui succéda aux Federated Trades) décida qu'un second assaut aurait lieu le 1er mai 1890, quatrième anniversaire de Chicago.
En fait, on renonça au mouvement d'ensemble. Seuls les charpentiers et les menuisiers des Etats du Sud furent lancés dans la bataille. Ce fut un succès. Sur près de 1.200 grèves, 1.000 réussirent et un grand nombre de syndicats obtinrent même gain de cause sans grève.
            1er mai 1890 (le premier en France)
    Depuis plusieurs semaines, on ne parle que du 1er mai dans les journaux. La bourgeoisie n'est plus tranquille.
    Paris est mis en état de siège. Le Temps (organe des 200 familles) "rassure" les braves gens amis de l'ordre : "La troupe gardera le fusil Lebel. Les hommes auront deux paquets de cartouches libres. On pense que cette provision sera suffisante..."
    La journée se déroula dans le calme. Douze délégués des syndicats portèrent une "mise en demeure" aux pouvoirs publics. La pétition réclamait notamment la journée de huit heures, la limitation du travail des femmes et des enfants et la suppression du travail de nuit.
    La moralité, ce fut Le Temps du 3 mai qui la tira : "Ce qui est grave, c'est le fait de s'être entendu par-dessus les frontières, d'avoir adopté un texte de réclamations commun, un mode de procéder commun, d'avoir mis en mouvement un si grand nombre de personnes appartenant aux nationalités et aux professions les plus diverses."
    Résultats obtenus peu après : suppression du livret. Application de la loi (de 1848) limitant à 12 heures la  journée de travail.
    Le succès avait été tel, aussi bien en France que dans les autres pays, que l'on décida (Congrès de Lille, octobre 1890 pour le P.O.F., et de Calais, octobre 1890, pour la F.N. des syndicats) de recommencer.
    Ce fut le Congrès socialiste international de Bruxelles qui, le 22 août 1891, conféra au 1er mai son caractère de manifestation annuelle. Déjà les partis socialistes de nombreux pays l'avaient précédé dans cette voie ; dans l'ordre : les partis scandinave, espagnol, français, allemand, autrichien, italien, anglais, portugais et suisse.


IL Y A UN AN (*) GREVE GENERALE CHEZ RENAULT
    Le Comité de grève, élu le 23 avril 1947 par l'assemblée générale des ouvriers des départements 6 et 18, se mit aussitôt à la besogne. Il lui fallait prendre toutes les dispositions nécessaires au déclenchement de la grève, ainsi que fixer la date au moment le plus favorable pour les ouvriers. Le jour choisi fut le vendredi 25 avril, aussitôt après la paye. Ce matin-là, à 6 h.30, le comité donna l'ordre de grève, impatiemment attendu par tous les ouvriers. Aussitôt les piquets de grève, prévus à l'avance, entrèrent en action et les deux départements furent occupés.
    Le mouvement était donc parti. Mais le plus difficile restait à faire. Personne n'avait la naïveté de croire qu'une augmentation de 10 francs sur le salaire de base et le paiement des heures de grève pouvaient être obtenus par douze cents grévistes ! Pour renverser la vapeur, pour mettre un frein à la rapacité capitaliste, il fallait, comme en juin 1936, une action gréviste de la majorité de la classe ouvrière.
    Dans cette voie, un grand obstacle se dressait devant le comité de grève. La majorité des travailleurs (comme l'ont prouvé ensuite la grève générale des cheminots, la grève générale de chez Citroën, de Sochaux, du métro, et enfin les grèves de novembre-décembre) était, en effet, tout à fait disposée à recourir à l'action gréviste généralisée : mais l'appareil cégétiste, Frachon et Jouhaux en tête, allait sûrement s'opposer avec acharnement à un mouvement qui, surgi en dehors de leur contrôle, dérangeait leurs combinaisons avec le gouvernement capitaliste. Or, si chez Renault, à Collas et partiellement dans d'autres départements, le 88 par exemple, l'influence des bureaucrates avait été mise en échec par le travail de la fraction "lutte de classes", partout ailleurs il n'en était pas de même. C'est la lutte qui devait donc découvrir jusqu'à quel point les travailleurs seraient capables de s'émanciper des bureaucrates par leurs propres forces.
    Le comité de grève, composé par les onze ouvriers suivants : Bois, Schwartzman, Faynsilberg, Quatrain, Delanoy, Lopez, Alvarez, Mertin, Lévêque, Vayer et Gadion, décida par conséquent d'entraîner d'abord dans la grève tous les ouvriers de chez Renault. Par un tract, il appela les ouvriers à un meeting général pour le lundi 28 avril.
Tenu place Nationale, ce meeting fut un succès complet pour le comité de grève. Une voiture-micro, amenée par les Jeunesses socialistes (qui devaient peu après rompre avec le parti de Blum), permit à ses dirigeants d'exposer les motifs et les buts de la grève aux ouvriers massés sur la place. Des représentants de certaines organisations syndicales, C.N.T., "Front Ouvrier", C.F.T.C., prirent aussi la parole pour exprimer la sympathie de leurs organisations pour la grève.
    Les dirigeants cégétistes n'osèrent même pas se montrer. Ils avaient convoqué "leur" meeting dans la soirée et, après avoir parlé sous les huées d'une grande partie de l'assistance, se défilèrent quand les dirigeants du comité de grève demandèrent la parole.
    Mais il ne suffisait pas de discours pour que le mouvement s'étendit effectivement dans tous les départements. Les discours peuvent tout au plus donner à la masse une conscience plus claire des buts qu'elle veut atteindre. Ce sont les ouvriers de chez Collas qui, après le meeting, réussirent à élargir le mouvement ; ils allèrent directement dans les ateliers et les firent débrayer. Et, au soir, dix à douze mille ouvriers avaient arrêté le travail.
    Dès lors, la généralisation de la grève n'était plus qu'une question d'heures. C'est pourquoi les dirigeants cégétistes tentèrent une dernière "manoeuvre", avant de recourir à "d'autres moyens". Le mardi 29 avril, ils appellent les ouvriers de chez Renault à se mettre en grève... POUR UNE HEURE, pour appuyer leurs "revendications" auprès de la direction. Ils espéraient qu'après une telle "action", les ouvriers reprendraient sagement le joug de la direction syndicale.
    Les 30.000 ouvriers et employés de l'usine suivirent l'appel de la C.G.T., mais refusèrent de reprendre le travail ensuite. Si la grève était nécessaire, si la C.G.T. elle-même y avait été contrainte, c'est le comité de grève qui avait raison : non pas une pitrerie symbolique, mais grève jusqu'à complète satisfaction.
    Devant ce résultat tout à fait inattendu par eux, les dirigeants cégétistes décidèrent de recourir à "d'autres moyens".     Deux jours plus tard, Thorez devait parader à l'occasion du 1er mai et une grève d'une telle envergure déclenchée contre sa volonté, mettait en danger non seulement son prestige, mais aussi sa place au gouvernement.
    Le mercredi 30 avril, ils firent irruption dans l'usine et les troupes de choc staliniennes eurent vite fait de chasser les faibles piquets de grève que certains ouvriers avaient constitués dans les départements. Mais ils n'osèrent pas s'attaquer à Collas, car il y avait là 1.200 ouvriers décidés, enthousiastes, qui se savaient bien dirigés et étaient par conséquent prêts à se défendre contre toute attaque. Dans l'après-midi, à un meeting dans l'île, Hénaff exhorte ainsi ses gardes du corps contre les ouvriers qui veulent prendre la parole : "MAIS TIREZ DONC !"
    D'autre part, vis-à-vis de l'extérieur, pour cacher le véritable rôle qu'elle joue, la C.G.T. adopte officiellement la grève et ses revendications. Pour mieux les enterrer, comme on le verra par la suite. Mais "par d'autres moyens", c'est-à-dire par la violence, les staliniens enregistrent leur premier succès. En installant aux portes des départements leurs hommes de main baptisés "piquets de grève", ils isolent la masse des ouvriers de chez Renault du comité de grève. Dans ces conditions, l'essai d'élargir le comité de grève par des représentants d'autres départements ne donne aucun résultat positif, car les ouvriers qui en viennent représentent leur propre bonne volonté, mais n'ont pas d'appui sérieux parmi leurs camarades d'atelier.
    Le même sort attendait les ouvriers de Collas, qui essayèrent de débaucher les ouvriers de chez Citroën, et les militants ouvriers (Jeunesses socialistes, parti communiste internationaliste, etc.), qui s'employèrent à diffuser, dans le cortège du 1er mai le tract du comité de grève adressé à toute la métallurgie. A noter que ce tract fut imprimé à 100.000 exemplaires gratuitement par les typographes de la rue Réaumur (S.N.E.P.). Des secours en argent commençaient par ailleurs à arriver au département 6. Quelques grèves, comme celle des camions Bernard, éclataient ça et là. Mais les grandes "boîtes", sous la pression stalinienne et malgré une grande effervescence, ne bougèrent pas.
    Cependant, le lendemain, vendredi 2 mai, chez Renault, les ouvriers tiennent bon. En dépit des pressions et de la manoeuvre cégétiste consistant à "reprendre" les revendications du comité de grève. Les bonzes syndicaux voulaient faire reprendre le travail avec 3 francs de "prime au rendement" et promettaient d'obtenir les 10 francs, toujours sur la base d'un rendement accru, par des négociations ultérieures avec M. Lefaucheux. Par 11.354 voix contre 8.015 et 1.009 annulées, les travailleurs de la régie refusèrent de capituler.
    Ainsi se termine la première semaine de grève, qui révèle pleinement la force et la faiblesse du mouvement. Sa force, c'est la volonté de tous les ouvriers de reprendre leurs traditions de lutte, d'en finir avec la collaboration de classe. Sa faiblesse, c'est le manque d'une organisation véritablement ouvrière. De ce fait, les ouvriers sont sans défense devant l'action répressive de l'appareil bureaucratique cégétiste, aussi bien dans la majeure partie des usines Renault que dans les autres usines. Tandis que le comité de grève voit ainsi diminuer considérablement ses chances de déclencher un mouvement général comme en juin 1936, les dirigeants cégétistes peuvent maintenant, après avoir circonscrit la grève à l'intérieur de Renault, tenter d'y mettre fin par un nouveau vote. Ils y réussiront une semaine après, le 9 mai. L'histoire de cette deuxième semaine de grève fera l'objet du prochain article.
    Fait digne de remarque, la grande presse capitaliste qui, avant la généralisation du mouvement, avait accordé ses "faveurs" au comité de grève, se ravise aussitôt. Ces messieurs avaient essayé de jouer au plus fin, escomptant que d'un côté ils allaient discréditer la C.G.T., dont la collaboration était payée par des postes ministériels à Thorez et Cie, et que de l'autre côté le comité de grève serait impuissant à mener une véritable lutte. Mais le comité de grève avait porté un coup décisif à la politique de soumission des ouvriers au patronat. Son mouvement allait avoir les répercussions les plus profondes sur toute la vie politique, économique et sociale de la France. Ces messieurs les journalistes capitalistes se hâtèrent donc de suivre le conseil que Duclos leur avait donné à la Chambre : "il fallait jeter des pelletées de sable sur l'incendie au lieu de l'attiser !" Et, à partir du moment où la grève devient générale chez Renault, C.G.T., gouvernement et capitalistes marchent, par une savante division du travail, la main dans la main contre les ouvriers.
A. MATHIEU.
(*) Lire le début de cet article dans le numéro 43.