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biographie tiré du "Cahier Léon Trotsky"
n°
49 janvier 1993
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BARTA
Né à Buhusi en Roumanie dans une famille de petits
commerçants juifs, David Korner [19 octobre 1914-6 septembre
1976], le futur Barta (Albert
ou A. Mathieu), suit le parcours de ceux des intellectuels de cette
génération
qui, à peine sortis de l'adolescence, se consacrent à la
lutte
révolutionnaire.
"Création du Traité de Versailles", dominée par le
capital français, la Roumanie semi-féodale,
semi-coloniale de l'entre deux guerres vivait
la répression policière, l'antisémitisme, la
misère
et l'analphabétisme, la chasse aux communistes. Le "cordon
sanitaire"
l'isolait à l'est de l'URSS, mais les idées d'Octobre
exerçaient
une forte attraction sur l'élite intellectuelle et sur une petite
minorité
du prolétariat" .
En
1931-1932, vers la fin de ses études secondaires, le jeune David
Korner commence à militer avec le Parti communiste roumain,
à Bucarest.
Même s'il
ne vit en Roumanie que jusqu'en 1936 -Barta a alors 22 ans-, ses
origines et les conditions dans lesquelles il a commencé
à militer ont
eu, de son propre aveu, une influence sur sa formation et sur ses
conceptions ultérieures : "Je suis le produit de deux pays. J'ai
eu cet avantage énorme d'être né dans un pays
où des révolutionnaires peuvent exister
psychologiquement. Une société qui était
précapitaliste à l'époque. Il y avait des rapports
humains
qui seuls peuvent donner à quelqu'un la détermination,
une
haine
véritable des possédants"
En outre,
l'intransigeante
fidélité à l'internationalisme qui marque son
action
s'enracine peut-être dans le souvenir des ravages que le racisme,
le
nationalisme et les micro-nationalismes occasionnaient dans son pays
natal.
Enfin, le
fait
d'être "le produit de deux pays", la Roumanie et la France -dont
l'un
vassalisait l'autre- a peut-être contribué à lui
rendre
plus naturelle la perception de la dimension internationale des
événements.
Barta
fait son
premier séjour à Paris en novembre 1933, sous le
prétexte de s'inscrire à l'université et c'est
là, selon toute vraisemblance, qu'il devient trotskyste.
Pendant
trois
ans, de novembre 1933 à octobre 1936, date de son
établissement définitif en France, son temps et son
activité se partagent entre Bucarest et Paris. On ne
connaît guère de son activité roumaine que ce qu'il
en dit dans un rapport intitulé "Comment s'est
formé le groupe
B.L.
de Roumanie" publié à Paris dans le Bulletin
intérieur
de la Ligue des Communistes Internationalistes de novembre 1935 et
dans
deux lettres qu'il adresse à Trotsky en 1936.
"Les
conditions dans lesquelles doit militer notre groupe sont très
dures : aux persécutions
policières il faut ajouter celles des sociaux-démocrates
et des stalinistes"
écrit-il en 1935. Il précise à l'adresse de
Trotsky en janvier 1936 :
"Si du point de vue conspiratif nous avons une éducation
parfaite, (vous l'avez vu d'après nos publications), au point de
vue politique, nous avons besoin de votre aide soutenue. Sans elle,
notre chemin sera extrêmement
difficile, nous sommes tous des
jeunes"
Elargissement de l'audience du groupe, recrutement et éducation
de militants, traduction
et diffusion de brochures paraissent avoir été
l'essentiel
de l'activité des B.L. roumains. On ne peut cependant pas ne pas
être
frappé au travers de ce que mentionne Barta, à la fois de
son
attention à l'éducation politique et de son souci des
"liaisons
avec des couches ouvrières"
Affirmées à l'aube de son action politique, ces
préoccupations imprègnent toute sa vie politique.
A Paris,
Barta
mène l'existence des militants révolutionnaires. Il
participe
aux journées de février 1934, vit la montée
ouvrière
qui les suit. Ces événements le marquent
profondément
ainsi qu'il l'écrit en 1976 (parlant de lui à la
troisième
personne, en réponse à une question qui appelait cette
forme).
Si Barta "s'est formé quant aux méthodes
d'organisation,
en Roumanie dans la clandestinité (1932-33), politiquement il a
eu
la plus grande école possible pendant une longue
période
avant la guerre : la lutte des travailleurs en France, anti-fasciste
donc
politique d'abord, en 1934 et 35, économique ensuite,
de
1935 à 1939 (naturellement ces deux aspects s'entremêlent
!).
Il a participé directement à la lutte
anti-fasciste
non seulement au quartier Latin, mais aussi dans les meetings des
quartiers
populaires (13°, 14° et 15° arrondissements) où il
lui
est même arrivé de prendre la parole à
côté
de militants communistes et socialistes sans parler de sa participation
aux
immenses manifestations de masses
!" .
En mai
1936,
Barta est en Roumanie. Les nouvelles l'y atteignent. D'abord celles de
la
grève générale de juin 1936 en France. Puis,
surtout,
l'écho de la riposte révolutionnaire de la classe
ouvrière
espagnole à la tentative de coup d'Etat de Franco en juillet
1936.
"On sentait l'air vibrer jusqu'à Bucarest" dit Louise. La
décision
de rejoindre la révolution espagnole est prise.
Au nombre
des
trotskystes sur le départ figure Louise, 16 ans. Née en
1920,
fille d'un militant socialiste juif autrichien, elle a suivi le
même
parcours que Barta. Proche du PC roumain, elle rompt en août
1936,
révoltée par les premiers procès de Moscou.
Présentée
à un militant trotskyste par une camarade de classe, elle
décide
aussitôt de les accompagner en Espagne. Sous le nom
d'Irène,
elle sera de toute l'aventure de l'Union communiste. "Sans elle notre
organisation
n'aurait pas existé" dit
Barta.
Pourtant,
en
octobre 1936, date à laquelle les quatre jeunes trotskystes
roumains (Barta, Louise, Marcoux et sa compagne) arrivent à
Paris, Trotsky fonde
des espoirs sur l'évolution de la situation en France où
le
mouvement trotskyste à une force relative. Les Roumains y
demeurent, militant au POI, la tendance restée fidèle
à Léon Trotsky après la scission provoquée
par Raymond Molinier et
Pierre Frank qui créent le PCI.
Malgré l'envergure de nombre de ses militants (Pierre Naville,
Jean Rous, Marcel Hic, Yvan Craipeau, David Rousset), le POI souffre de
ce que Trotsky appelle le "mal français", son incapacité
à mener une activité organisée et suivie. Barta et
Louise le ressentent.
"Autant
le mouvement ouvrier français, de 1934 à 1938 m'a
impressionné
profondément, j'ai vu ce que ça pouvait être une
révolution,
autant les militants qui se réclamaient du trotskysme m'ont paru
quelque
chose d'absolument bizarre. Cela aboutissait à ceci, que
normalement
une organisation ça veut dire qu'on est dix, et ça donne
cent,
mille. Comme résultat ça multiplie les forces. Mais ici,
c'était
exactement l'inverse" déplore Barta.
Outre
leur participation
aux activités du POI, Barta et Louise passent des heures en
bibliothèque.
"Il y avait aussi la nourriture quotidienne, riche et
irremplaçable,
des écrits du Vieux, l'apprentissage théorique et
politique,
les heures consacrées à l'étude" se souvient-elle.
Malgré les conseils et les exhortations
répétés de Trotsky l'organisation
française ne parvient ni à s'implanter parmi les
travailleurs,
ni à corriger son mode de fonctionnement, ni à surmonter
ses
divisions. Elle demeure marginale alors que la guerre approche.
Une
dernière occasion de gagner de l'influence parait s'offrir avec
la création du PSOP, après que la SFIO, préparant
l'Union sacrée dans ses rangs, ait, en 1938, exclu Marceau
Pivert et ses camarades de la
Gauche révolutionnaire. Trotsky encourage ses partisans en
France à
rejoindre le nouveau parti qui compte plusieurs milliers de membres et
au
sein duquel la tendance de Daniel Guérin défend des
positions
internationalistes. Ils ne le font qu'avec des mois de retard et en
ordre
dispersé.
Barta,
associé
à la direction de la fraction trotskyste du PSOP collabore
à
sa revue La Voie
de
Lénine.
Mais,
sans laisser
le temps à l'activité des militants trotskystes de
produire
ses fruits si tant est que la possibilité en ait existé,
les
événements se précipitent.
Le Pacte
germano-soviétique
est signé le 23 août, la presse communiste interdite le
26.
La Pologne est attaquée le 1er septembre et la guerre
déclarée
le 3 septembre.
Les
diverses tendances trotskystes, sans parler du PSOP, ne
résistent pas au choc
politique et à la répression policière puis
à la mobilisation qui suivent la déclaration de guerre.
Les groupes sont
dispersés. Le 1er septembre 1939, à la suite d'un
incident (dont
Barta lui-même dit qu'il "n'était pas du tout politique" )
lors
d'une réunion de leur Comité central, il coupe les ponts
avec
les Comités pour la IVe internationale (la fraction
internationaliste du PSOP), dont les moeurs illustrent à ses
yeux le manque de sérieux. La dispersion générale
du mouvement trotskyste fait que la question
de recontacter tel ou tel débris de l'organisation ne se pose
même
pas.
Coupés des trotskystes "officiels", Barta et Louise
entreprennent, grâce aux
liens que cette dernière a conservé avec des jeunes JSOP,
la
publication d'un petit journal internationaliste intitulél'Ouvrier,
organe "de lutte contre
le
daladiérisme, la guerre et le rôle des
social-démocrates
dans la destruction des syndicats" selon les termes d'une lettre
de
Barta
à Natalia Sedova en 1947. Trois numéros paraissent
fin
1939 et début 1940. Si la diffusion de cette feuille est faible,
elle
permet à Barta une expression publique de ses conceptions
politiques dont il est intéressant de remarquer la concordance
avec celles de
Trotsky à la même époque (alors que, depuis le
début de la guerre, ses écrits ne sont pas connus en
France).
Cette
publication est interrompue par l'arrestation de Louise sur qui
reposait l'essentiel de
la diffusion du journal. Elle est emprisonnée trois mois
à la
Petite Roquette, en compagnie de Fanny, la future Lucienne de l'Union
communiste.
Toutes deux sont libérées à la veille de la
débâcle.
La
déroute de l'armée française de juin 1940 et
l'exode ayant jeté sur les routes des millions de gens, Barta et
Louise n'ont plus rien à faire dans une ville déserte.
Ils traversent tout le pays, puis, l'armistice
signé, ils remontent en passant par l'Isère où un
cousin
de Barta est médecin. Ils y retrouvent un ancien JC
écoeuré par le nationalisme du PC, Jacques Ramboz, (le
futur responsable légal de toutes les publications de l'UC),
qu'ils avaient connu dans les Auberges de jeunesse avant la guerre.
Tous trois décident de rentrer à Paris où ils sont
de retour en octobre 1940.
Barta
découvre les positions des trotskystes "officiels"
vis-à-vis de la guerre. Pour
les Comités pour la IVe Internationale, issus du POI,
l'occupation militaire du pays place la France dans une situation
d'oppression nationale comparable à celle des pays coloniaux et
ouvre la possibilité d'alliance entre la classe ouvrière
et les fractions de la bourgeoisie "pensant français". Pour
d'autres, proches de l'ancien PCI moliniériste, Hitler sera
peut-être l'unificateur
de l'Europe. Face à ces positions, qui constituent des
reniements de l'internationalisme et la négation des
perspectives révolutionnaires, Barta entreprend la
rédaction d'une brochure "La Lutte contre la
deuxième
Guerre impérialiste mondiale" , réaffirmant les
positions
trotskystes face à la guerre.
Même si
Barta ne le sait pas encore, ce texte constitue, en même temps
que
le seul manifeste authentiquement internationaliste de l'époque,
le
véritable acte de fondation de sa tendance. Ajoutons, mais ce
n'est
peut-être qu'un sous-produit de sa fidélité aux
analyses
de Trotsky, qu'il y prédit le retournement de Hitler contre
Staline
et la défaite de l'Allemagne.
Le groupe
comprend
alors quatre militants, Barta et Louise ainsi que Jacques Ramboz et
Lucienne,
que Louise a retrouvée au début de l'Occupation.
Début 1941 Jacques Ramboz gagne l'un de ses anciens condisciples
du lycée Michelet, Mathieu Bucholz. Il a 19 ans. La recrue
s'avère de premier ordre. Pamp -son pseudonyme- choisit
rapidement la vie de militant révolutionnaire professionnel et
devient la cheville ouvrière du groupe. Il est le
"contact" du Groupe communiste, comme il s'intitulera en 1942, avec la
"résistance",
contact vital pour des clandestins.
Pendant
toute
la guerre, il pourvoit ses camarades des faux papiers indispensables,
de
cartes d'étudiants pour permettre aux plus jeunes
d'échapper au STO, de cartes d'alimentation, de tickets de
rationnement. Bref, c'est dans une grande mesure à lui que le
groupe doit sa survie physique.
D'autre
part,
Pamp amène quelques renforts. Celui de son frère cadet
Michel,
puis celui de Pierre et de Jean Bois, ses anciens camarades
d'école, ex-Jeunes Communistes.
Décrivant la politique de recrutement du groupe, Jacques Ramboz écrit
:
"L'isolement fait que les premiers contacts établis sont ceux
d'anciens amis ou connaissances de jeunesse qui sont soigneusement
observés, sondés, et ne sont "acceptés" que
lorsque leur sérieux, leur capacité de travail et le
choix qu'ils font de consacrer leur vie à la révolution
semblent assurés. Alors commence pour eux l'étude du
marxisme et des écrits de Trotsky. Cette étude se
mène sous le contrôle du noyau primitif, qui
contrôle également les fréquentations et "contacts"
de
la nouvelle recrue, avec laquelle il définit la stratégie
à
appliquer pour faire pénétrer en milieu communiste le
besoin
de réflexion et y faire assimiler ce qui alors lui paraît
essentiel
: la permanence de la lutte des classes, l'internationalisme et la
nécessité
d'une activité ouvrière autonome".
L'étude a une part prépondérante dans les
activités du Groupe communiste. A la Bibliothèque
nationale, que la sympathie d'employés du bureau des cartes leur
permet de fréquenter, les ouvrages marxistes interdits ailleurs
sont encore consultables. Barta et ses jeunes camarades y sont assidus.
La guerre continue. Début 1941,
l'Allemagne
hitlérienne est au zénith, dominant pratiquement toute
l'Europe.
Pourtant, son incapacité à débarquer en
Grande-Bretagne
et son échec à la briser par les bombardements
aériens
condamnent Hitler à se retourner contre l'URSS, comme l'avait
annoncé
Barta en novembre 1940 :
"Tout revers, ou même le piétinement sur place, menace de
faire
exploser leur machine de guerre : ils [Hitler et Mussolini] sont
contraints
à l'offensive permanente ; ils doivent briser coûte que
coûte
leur encerclement européen. Cette situation stratégique
poussa
autrefois Napoléon à sa campagne de Russie !" .
Le 22
juin 1941,
Hitler attaque son allié de la veille, l'URSS stalinienne. La
guerre
bascule. Le PCF se débarrasse du langage
pseudo-internationaliste qui
avait été le sien depuis le pacte
germano-soviétique et renoue ouvertement avec le chauvinisme.
Misant
tout
à la fois sur les insurrections prolétariennes dans les
pays
impérialistes qui dans l'esprit des révolutionnaires de
l'époque
ne pouvaient manquer de naître du second conflit mondial comme
elles
l'avaient fait du premier (1917 en Russie, 1918 en Allemagne mais aussi
en
Hongrie, en Finlande puis en Italie, en France, etc.) et sur la
reconquête
par la classe ouvrière soviétique du pouvoir
usurpé
par la bureaucratie stalinienne, le Groupe communiste rédige,
édite
et distribue à 2 000 exemplaires un tract intitulé "Vive
l'armée rouge" :
"La résistance de l'Armée rouge doit
permettre
aux forces révolutionnaires du monde entier d'entrer en lutte.
La
stratégie communiste a pour but de coordonner la lutte de l'Armée rouge avec le développement de la lutte de classes
dans
les pays capitalistes" .
Après les catastrophiques reculs des premiers mois,
l'Armée rouge parvient, au prix de pertes énormes,
à contenir l'avance allemande devant
Léningrad et Moscou tandis que l'entrée en guerre des
Etats-Unis
et du Japon porte le conflit au "stade suprême où tous les
peuples
du globe sont devenus les victimes directes du carnage
impérialiste"
.
Dans ce
contexte,
le renforcement du groupe donne à Barta et à ses
camarades
les moyens techniques d'entreprendre la publication de La Lutte de
Classes à partir d'octobre 1942.
Evoquant
cette
période dans une lettre à Natalia Sedova, Barta
écrit
:
"C'est en 1942, après avoir pu éduquer
et
instruire un certain nombre de jeunes camarades venant du PCF ou sans
passé
politique, que nous avons sorti notre journal La Lutte de Classes.
Le choix du titre était déterminé par notre
volonté
d'opposer une propagande révolutionnaire et internationaliste au
courant
d'union nationale et gaulliste justifié par la lutte contre
l'occupant" . "Le but de notre activité pratique était
d'entrer en
contact avec des ouvriers et de donner à des
éléments prolétariens la possibilité de
s'instruire dans l'esprit et
selon les méthodes d'une formation révolutionnaire
professionnelle" . Trente-quatre
numéros de cette feuille ronéotypée paraissent
sous l'Occupation d'octobre 1942 à août 1944.
Là
encore,
le "talent d'organisateur et l'imagination inventive de Pamp"
jouent
un rôle décisif. Il réussit, malgré les
restrictions
et les interdictions, à se procurer du papier, les moyens de
fabriquer
de l'encre et un appareil à polycopier.
Publication d'un internationalisme sans concession, La Lutte de
Classes dénonce les avatars de l'ordre européen
défendus, avec la peau des peuples,
par chacun des camps en présence et met systématiquement
en
avant le thème des Etats-Unis socialistes d'Europe, seul
remède aux continuels déchirements du Vieux continent.
Abordant la question par tous les angles, ceux de la stratégie
des puissances impliquées dans le conflit mais aussi ceux,
(parfois les plus quotidiens), du sort des
opprimés elle s'efforce de renouer le fil de la tradition
internationaliste rompu par la social-démocratie et le
stalinisme.
Refus
d'identifier l'occupation de la France à une oppression
coloniale (l'Occupation n'est, finalement, qu'un sous-produit du
déplacement des fronts dans
le cadre du conflit mondial). Refus d'assimiler le "travailleur-soldat"
allemand
à ses dirigeants (et, en particulier, dénonciation du
terrorisme
aveugle qui aboutit à solidariser les simples soldats avec leurs
officiers
et, par là, renforce Hitler), La Lutte de Classes
s'attache
à découvrir dans chaque situation les ressorts
cachés,
les forces sociales à l'oeuvre et les perspectives du point de
vue
du prolétariat.
Analysant
les
effets du STO, Barta explique :
"Prendre le mouvement ouvrier européen comme
un
tout signifie que ce qui constitue, à un moment donné, un
moins
pour la classe ouvrière d'un pays peut constituer un plus
pour l'ensemble du mouvement. Ainsi, la déportation en Allemagne
a privé la classe ouvrière des pays occupés de ses
éléments les plus jeunes et les plus actifs. En revanche,
8 millions de ces éléments transportés en
Allemagne sous la pression des nécessités militaires ont
créé dans ce pays une situation sans
précédent pour la lutte révolutionnaire. En cas de
conflit ouvert entre la bourgeoisie
et le prolétariat en Allemagne, à la faveur de la crise
militaire
par exemple, les ouvriers déportés se retrouveront tout
naturellement
soudés à la lutte menée par les ouvriers allemands
contre
leur bourgeoisie (...) Ainsi l'union de tous les pays dans une lutte
commune
peut être facilitée par les mesures mêmes qui
doivent
l'"anéantir" .
Parallèlement à ses buts de propagande, La Lutte de
Classes se livre à une activité d'agitation,
dénonce la détérioration du sort de la classe
ouvrière en France, mène campagne contre le STO et la
dictature pétainiste.
Mais,
rappelle Jacques Ramboz, "cette agitation, réduite du fait des
forces du groupe,
contre le STO et la guerre n'est, pendant toute la guerre, qu'un aspect
secondaire
de l'activité du Groupe communiste, activité qui consiste
essentiellement
en l'éducation marxiste des militants et de leurs liaisons, en
la
recherche systématique de contacts en milieu ouvrier, et en
propagande
dans la ligne des écrits de Trotsky, pour la création
d'une
IVe Internationale et la constitution des Etats-unis socialistes d'Europe"
.
Le Rapport sur l'Organisation de juillet 1943
marque une étape dans le développement du Groupe
communiste
qui, jusqu'alors n'existait pas formellement. Il explicite ses
principes
organisationnels. Ils n'ont, à dire vrai, rien d'original par
rapport
à ceux exposés par Lénine dans Que faire ?
Toute
la valeur de cette courte brochure tient dans son rappel de ce qu'est
réellement
le centralisme démocratique léniniste dont beaucoup se
réclament
pour n'en retenir que le centralisme (et encore..).
Justifiant l'existence
autonome de sa tendance par les moeurs petites-bourgeoises et la
politique
ambiguë vis-à-vis du nationalisme des autres groupes
trotskystes,
Barta définit ses objectifs :
"Le bolchévisme implique, avec une
politique
juste, un contact réel et étendu avec la classe
ouvrière,
la participation quotidienne à ses luttes" ,
la
"sélection des éléments révolutionnaires"
en
vue de "déclencher ou précipiter un regroupement sur la
base
communiste de tous les militants vraiment révolutionnaires de la
classe
ouvrière française".
Il
présente une sorte de condensé de sa morale militante :
"Ce qui caractérise le militant, c'est qu'il n'attend de son
activité qu'une seule récompense, c'est la reconnaissance
tôt ou tard que celle-ci a été conforme aux
intérêts véritables de l'humanité. C'est
pourquoi il peut résister à toutes les épreuves :
s'il est relativement facile de donner sa vie d'un seul
coup, il faut aussi savoir la donner peu à peu dans la lutte
opiniâtre
que nécessite le renversement de la bourgeoisie. Ce type
d'individu
n'est pas rare. Le parti dégage ce sentiment de sacrifice total,
de
dignité et, si l'on veut, de félicité" .
Début 1943, le cours de la guerre s'inverse. Les Alliés
ont débarqué en Afrique du Nord en novembre 1942 et
l'armée de Von Paulus capitule à Stalingrad (31 janvier
1943).
La
situation en Italie où, à la suite du débarquement
allié en Sicile de juillet 1943, grèves et émeutes
ouvrières ont chassé Mussolini et ouvert les prisons,
fait dire à Barta, dans un rapport du début août
1943
:
"Les événements qui ont lieu en
Italie
ne sont pas la révolution prolétarienne, mais c'est le
début
de la révolution".
Mais, les
Alliés
réussissent à juguler la montée ouvrière.
Les
Anglo-américains chargent Staline de désorienter le
mouvement ouvrier italien en pleine renaissance en reconnaissant le
premier le gouvernement de Badoglio, (fidèle de Mussolini
fraîchement reconverti à l'anti-fascisme). Ils utilisent
d'autre part leur maîtrise des opérations militaires pour
briser la population et se livrent à des bombardements
terroristes systématiques des villes italiennes,
(préfiguration de ceux qui frapperont massivement l'Allemagne
avec les mêmes objectifs).
Pourtant,
rien
n'est assuré :
"L'Europe est un immense dépôt de poudre où il
suffit d'une étincelle révolutionnaire sur n'importe quel
point du
continent pour que la révolution prolétarienne
s'étende aux endroits les plus favorables à cette
lutte"écrit
Barta.
Face aux
échéances
ouvertes par l'ouverture annoncée d'un second front à
l'ouest,
le CCI et le POI, les deux principales organisations trotskystes
françaises
entament les pourparlers qui aboutissent en février 1944
à
leur unification au sein du PCI.
La
proposition qu'ils adressent, en décembre 1943, au groupe Lutte
de Classes de
les rejoindre donne lieu à un échange de correspondance
et
à la rédaction par Barta d'un deuxième Cahiers
du
Militant.
Le
premier de
ces Cahiers, rédigé en décembre 1942, avait
déjà été consacré à l'analyse
de la politique du POI
et à la confusion entretenue par sa formule des "Comités
de
vigilance nationale" avec des bourgeois "pensant français". "Le
bourgeois
ne pense ni "français", ni "allemand", ni "anglais", etc. ; le
bourgeois
pense marché"
réplique-t-il en montrant que, loin d'être
"transformée en semi-colonie", la France demeure une puissance
impérialiste "qui n'a pas cessé un seul instant
d'exploiter non seulement la France, mais encore les quatre coins du monde" .
L'échange de correspondance avec le Comité d'unification
POI-CCI, fin 1943-début 1944, conduit Barta à
préciser ses critiques. Il tire le bilan
de son expérience du POI (1933-1939) :
"Les milieux de recrutement, les méthodes organisationnelles,
politiques et d'éducation ne pouvaient et n'ont pu faire sortir
les "B.L." de France de l'état de groupes politiques
d'essence
petite-bourgeoise et de ce fait, malgré toute une série
d'événements exceptionnellement favorables (...) dans les
années qui ont précédé la guerre, celle-ci
a provoqué l'effondrement des organisations de
la IVe, et après quatre ans de guerre, rien ne laisse voir
effectivement qu'un changement véritable se soit produit".
S'il reconnait, dans le second Cahiers du
Militant
(15 février 1944) que "formellement, l'attitude du POI" a
changé,
il dénonce le tour de passe-passe des participants à la
réunification s'absolvant mutuellement de leurs errements du
début de la guerre :
"Un parti qui se réclame de
l'internationalisme
n'est garanti contre les errements social-patriotiques que s'il
découvre,
par une critique inexorable, les sources mêmes de ses erreurs
passées" .
Il est
hors
de question dans ces conditions que le groupe Lutte de Classes rejoigne
le nouveau PCI.
Les ponts
ne
sont pourtant pas rompus et, tout au long de son existence, l'Union
Communiste
s'adressera aux militants trotskystes dans l'espoir de favoriser le
regroupement
des révolutionnaires sur les bases politiques et
organisationnelles
qu'elle estime saines.
Le
début de l'année 1944 est dominé par la
perspective du débarquement.
"On attend plus que le signale pour que les
prolétaraires d'Europe, d'Amérique et les soldats
amenés des quatres coins du globe s'empoignent dans une
dernière étreinte mortelle. La
raison humaine vacille quand elle tâche de saisir
l'immensité du crime, l'horreur des convulsions qui se préparent!"
La Lutte de Classes
qui
écrit cela le 31 décembre 1943 rappelle
"La tâche historique du prolétariat
d'Europe
est de bâtir les Etats-Unis socialistes d'Europe et non de tracer
avec
leur sang des frontières pour les capitalistes. 1944 doit sonner
le
glas du capitalisme en Europe et dans le monde".
Le 6 juin
1944,
devant le nouvelle tournure prise par la guerre, dans une circulaire
destinée
aux militants, Barta écrit :
"Avec l'invasion des forces impérialistes
anglo-américaines à l'Ouest, nous entrons dans une
période au cours de laquelle la bourgeoisie tentera par tous les
moyens, bombardements, paniques, chômage, famine, de disperser
à nouveau la classe ouvrière et de la démoraliser
complètement afin de pouvoir liquider la guerre sans danger révolutionnaire"
Si, du
fait
de leur importance numérique et de leurs traditions, les classes
ouvrières
des trois principaux pays d'Europe continentale subissant le conflit
(Italie,
Allemagne et France) représentent le danger principal aux yeux
de
l'impérialisme, les Alliés manifestent la plus grande
vigilance
sur tous les fronts. Ils savent que, même allumé dans une
région
périphérique, (Balkans, Pays-Bas, Belgique, etc...),
l'incendie
révolutionnaire pourrait s'étendre à tout le
continent
dans le contexte de misère généralisée et
le
brassage général des populations.
En
Italie, la
conjugaison des bombardements alliés et de la répression
fasciste
ainsi que la politique des partis social-démocrate et stalinien
ont,
pour l'heure, contenu l'offensive ouvrière.
En
Allemagne, le 20 juillet 1944, des officiers tentent d'assassiner
Hitler. Barta ne s'y
trompe pas :
"Les généraux de la Wehrmacht ont voulu
se
débarrasser de Hitler, de même qu'en Italie le roi et
Badoglio
s'étaient débarrassé de Mussolini pour se sauver
eux-mêmes
et sauver le régime capitaliste de la vague populaire qui montait".
Le coup
d'Etat
ayant échoué, les officiers sont exécutés
par
centaines.
"La révolte des généraux contre Hitler, c'est le
coup de tonnerre qui avertit le peuple allemand et les soldats qui se
battent sur
tous les fronts, qu'il n'y a plus aucun espoir, ni chez Hitler, ni chez
les
généraux, que ce soit pour la guerre ou pour la paix ;
C'EST
LE SIGNAL POUR LES MASSES DE SE SAUVER ELLES-MEMES"
analyse-t-il.
Mais,
écrasée sous les tapis de bombes, la population allemande
est menacée de toute
part des pires "punitions". C'est l'acculer à la guerre et la
condamner
à "se défendre et nous suivre jusqu'au bout" comme l'y
invite
Goebbels. "Quand le peuple allemand n'entend nulle part une voix
anti-impérialiste"
s'indigne La Lutte de Classes, "quand, au contraire de prétendus
communistes
ont pris comme devise suprême "Mort aux Boches", cela ne fait-il
pas
le jeu de Goebbels ?".
De fait,
la
classe ouvrière allemande courbe l'échine, subit jusqu'au
bout
le joug hitlérien et se prépare à ployer sous
celui
des vainqueurs.
En
France, le
risque de l'effondrement de l'Etat est réel. Après cinq
années
de guerre, quatre années d'occupation et de pétainisme,
l'armée
est très amoindrie et divisée, la police unanimement
haïe,
la justice méprisée. Le problème est si
réel
que les Etats-Unis ont prévu l'administration militaire directe
du
pays.
Grâce au Parti communiste, De Gaulle réussit pourtant
à restituer à l'Etat les apparences de la
légitimité. Barta en tire
la leçon le 2 septembre 1944 :
"Ainsi l'effort des ouvriers pour s'arracher au bâillon de l'Etat
bourgeois
n'a abouti une fois de plus qu'à tirer les marrons du feu pour
leur
ennemi, la bourgeoisie. La police qui, pendant cinq ans avait
martyrisé
la classe ouvrière redore son blason à l'avant-garde de
"l'insurrection
nationale". L'armée permanente impérialiste de la
bourgeoisie
française qui s'était brisée dans les
événements
se reconstitue par un nouvel afflux de chair à canon : les
travailleurs
dupés. Les "compétences", c'est-à-dire la haute
bureaucratie
qui a organisé savamment la famine pour les masses et le
marché
noir pour la bourgeoisie, reste en place sous prétexte
d'organiser
le ravitaillement.
Comment
cela
fut possible ? Cette tromperie nouvelle fut possible parce qu'à
la
rescousse de la bourgeoisie volèrent les social-patriotes,
notamment les "communistes".
Mis au
service
de la bourgeoisie par son maître Staline, le PCF lui apporte son
savoir-faire
: le dévoiement de l'énergie de la classe
ouvrière,
la prostitution des idéaux communistes et l'assassinat de
militants
révolutionnaires.
Pendant
l'occupation
un certain nombre de militants communistes se sont trouvés
livrés
à eux-même. Le petit groupe trotskyste, qui avait
noué
des contacts avec certains d'entre eux, publie plusieurs tracts
s'adressant
à la conscience révolutionnaire de ces ouvriers et
signés
"Un groupe de communistes"
. Ces contacts avec des militants communistes se multiplient.
En
septembre la direction du Parti communiste reprend le contrôle de
ses troupes et, sentant le danger, traque plus que jamais les
trotskystes. Chacun de leur
côté, Pierre et Jean Bois sont "arrêtés" par
des
FTP. La chance aidant, ils s'échappent.
Mathieu
Bucholz
est, lui-aussi, "arrêté" au cours d'une réunion
avec
des jeunes communistes. Torturé, il est ensuite assassiné
comme
l'avaient été, avant lui, d'autres militants
internationalistes dont le dirigeant trotskyste italien Pietro Tresso
(Blasco) disparu dans un
maquis stalinien en 1944. Le corps de Mathieu Bucholz est
retrouvé dans la Seine. La police refuse de mener une
enquête.
La
collaboration du PCF et la participation des ministres communistes au
renforcement de l'Etat
et de l'ordre bourgeois présentent l'incomparable avantage pour
la
bourgeoisie de museler à peu près pacifiquement la classe
ouvrière
en une circonstance où le recours à la manière
forte
ne lui laisserait peut-être pas le dernier mot.
Le désarmement des
Milices patriotiques est, à ses yeux, une urgence. Elles sont,
en
effet, explique La Lutte de
Classes,
"composées en majorité d'ouvriers, d'exploités qui
bien
que prisonniers de la politique d'union sacrée des
social-patriotes,
aspirent quand même à l'abolition de l'injustice et de
l'inégalité".
Or, l'Etat bourgeois "ne peut tolérer aucune force armée
qui
soit indépendante de lui, sauf les groupements directement aux
ordres
de la bourgeoisie (fascistes, briseurs de grèves, gardes du corps, etc,)". La
décision
de De Gaulle d'incorporer les Milices patriotiques aux forces
régulières
provoque un réel mécontentement mais, cautionnée
par
Thorez à son retour de Moscou ("un seul Etat, une seule
armée,
une seule police"), elle est appliquée.
En
Belgique, où la bourgeoisie rencontre des difficultés
analogues, les Alliés
recourent aux fusillades en novembre 1944 pour obtenir le
désarmement
des milices.
La
Grèce, bien que pratiquement libérée de
l'occupation allemande par la guérilla animée par les
staliniens, a été placée
dans l'orbite britannique. Face aux manifestations populaires,
"n'hésitez
pas à agir comme si vous vous trouviez dans une ville conquise
où
se développe une rébellion"
câble Churchill au général Scobie. La guerre civile
durera
jusqu'en 1949 mais le partage du monde entre Grands sera
respecté.
Se
fondant sur
les maigres informations qui filtrent, La Lutte de Classes
analyse la situation dans les régions placées sous
l'autorité soviétique :
"Comme c'était à prévoir, l'apparition de
l'Armée rouge sur les frontières des Etats que le
traité de Versailles avait créés pour former un
rempart de sécurité contre la révolution
prolétarienne, a exaspéré la tension et les luttes
entre exploiteurs et exploités dans l'Est de l'Europe et les
Balkans. (...) Devant l'assurance nouvelle des exploités, la
bourgeoisie des Balkans et de l'Est tremble pour sa domination.
Mais
elle trouve des alliés non seulement du côté de
l'impérialisme
anglo-américain, mais aussi du côté des dirigeants
soviétiques,
CE QUI EST BEAUCOUP PLUS GRAVE"
Dans un
Rapport
d'organisation Barta est plus explicite
encore
:
"Croire d'une façon puérile que l'Armée rouge
n'acceptera pas n'importe quelle tâche de la part de la
bureaucratie, c'est se faire
des idées fausses. (...) La propagande internationaliste pour
désagréger
l'Armée rouge est plus facile que vis-à-vis de
l'armée
impérialiste, mais la révolution prolétarienne ne
pourra
pas se dispenser de conquérir l'Armée rouge" .
L'Union
communiste
tire la conséquence de l'attitude de Staline en février
1945
en réclamant son retrait de Pologne :
"La IVe Internationale soutient le droit du peuple polonais à
disposer de lui-même non seulement contre les
impérialistes de Berlin et de Londres, mais aussi
vis-à-vis de la bureaucratie soviétique".
En mars
1949,
Barta en tirera les conclusions
:
"Nous avons abandonné (la position traditionnelle de
défense de l'URSS) au moment où en avançant hors
du territoire de l'URSS,
la bureaucratie a inauguré une politique de pillage dans les
pays
occupés ; c'est en 1944, en exigeant le retrait de toutes les
troupes
d'occupation que nous avons marqué la rupture avec la
défense
de l'URSS" .
L'Allemagne vaincue, les hostilités continuent en Asie.
Même si son sort est scellé, le Japon poursuit la guerre
faute de pouvoir faire la paix
sans mettre en mouvement des forces sociales explosives.
"Après avoir engagé le peuple dans une aventure où
il
eut à supporter toutes les conséquences des
appétits de conquêtes des capitalistes, les dirigeants
japonais devaient trouver une raison "imprévisible" à
leur défaite, pour sauver leur domination de classe. Ce souci
(...) était partagé dans une égale mesure par les
capitalistes alliés. (...) Ce fut la
bombe atomique, "intervention divine", qui servit d'excuse aux
dirigeants japonais vis-à-vis de leur peuple".
Planche
de
salut de la bourgeoisie japonaise, la bombe atomique constitue en
même temps une démonstration de puissance face à
l'URSS et, sur un
autre plan, face aux opprimés du monde entier.
Ainsi,
les
impérialismes des deux camps, la bureaucratie soviétique
et
les partis sociaux-démocrates et staliniens sont parvenus
à conjurer la montée révolutionnaire
redoutée.
"Le prolétariat d'Europe, malgré
ses
années de luttes et d'expériences, a été
devancé
par la bourgeoisie dans ce combat. La catastrophe du continent a
été
consommée. Une des forces essentielles de la lutte socialiste en
Europe,
le prolétariat allemand, a été enseveli sous les
ruines
causées par la bourgeoisie".
Pourtant,
poursuit
Barta au lendemain de la reddition allemande,
"Malgré les terribles ravages et le recul de la civilisation, il
reste
au prolétariat assez de forces vives capables de prendre le dessus" .
L'illusion d'un
retour rapide à la normale est vite dissipée. En effet,
partout
en Europe la classe ouvrière, endurcie par les épreuves,
est
misérable, souffrant du rationnement alimentaire, travaillant
des
semaines de soixante heures, manquant de vêtements, de chauffage,
de
logements.
Barta a
plusieurs
fois rappelé les analyses de la situation nationale et
internationale
sur lesquelles l'UC se fondait alors.
"Nous pensions" écrit-il
en 1972, "que le principal danger
était l'instauration
d'un pouvoir fort gaulliste, (...) nous espérions que la lutte
anticolonialiste
jouerait un rôle décisif dans la chute du capitalisme
mondial,
(...) nous étions convaincus que, sans révolution
socialiste,
une troisième guerre mondiale était inévitable
à
plus ou moins bref délai".
Il
insiste en
1976,
"La révolution avant la fin de la deuxième guerre
mondiale et
encore jusqu'à la fin de la guerre de Corée (parce que
jusqu'à
la fin de la guerre de Corée nous ne savions pas si nous allions
déboucher
sur une troisième guerre mondiale ou pas), la révolution
était
une question de vie ou de mort, immédiatement. Et il y avait, ou
progression
révolutionnaire, ou recul vers le fascisme jusqu'à la
guerre"
.
L'action
de
l'UC de 1944 à 1950 s'inscrit dans cette perspective.
Début 1945, l'autorité de l'Etat rétablie avec la
caution du Parti communiste, le débat sur les futures
institutions de la IVe République s'ouvre. Au-delà des
péripéties politiciennes qui l'émaillent,
c'est en réalité la nature même du régime
qui
est en question. De Gaulle, le chef du gouvernement provisoire,
prétend
au "pouvoir fort". Les partis de gauche, prisonniers volontaires du
mythe
de "sauveur" qu'ils lui ont forgé ne s'émeuvent que
dès
lors que De Gaulle souhaite réduire les prérogatives du
Parlement
en recourant aux "referendum-pétainistes". "Sous le
prétexte
d'une "constitution", De Gaulle s'exerce au coup d'Etat" prévient La
Lutte
de Classes.
A
l'extérieur, la bourgeoisie rencontre des difficultés
à reprendre en main ses colonies.
En
dévoilant la faiblesse des vieilles puissances coloniales, la
guerre a donné un coup de fouet aux aspirations nationales. La
Lutte de Classes se
fait l'écho de la situation dans les colonies, aussi largement
que
les informations le permettent. Ainsi le numéro du 18 janvier
1945
consacre-t-il un long article au sort des peuples d'Afrique du Nord , et celui du 8
mai
un autre à la situation de ceux d'Indochine.
L'organe
de
l'UC affirme sa solidarité aux dizaines de milliers de victimes
de
la répression coloniale du 8 mai 1945 à Sétif et
à
Guelma . En Afrique du Nord,
comme
en 1947 à Madagascar les officiers français manifestent
une
ardeur qu'on ne leur connaissait pas en juin 1940.
"Avec une
férocité
toute capitaliste, la répression s'est abattue sur les masses
nord-africaines
et a transformé le pays en un vaste Oradour-sur-Glane" écrit
Barta qui fustige la complicité du PCF : l'Humanité
"demande au gouvernement de "punir comme ils le
méritent les chefs pseudo-nationalistes".
La
dénonciation des exactions colonialistes et le soutien aux
peuples opprimés ne sont
pas seulement un élémentaire devoir de solidarité.
Pour
Barta et ses camarades, la révolte des colonisés
appartient au processus même de l'affranchissement de
l'humanité :
"Dans le réveil des peuples coloniaux, nous saluons l'aube de la
révolution
prolétarienne mondiale triomphante".
La Lutte de Classes
fait
paraître de nombreux articles consacrés à la
situation dans les colonies ou reproduit les textes de militants
anti-colonialistes tel celui signé "Les Tirailleurs Indochinois en France" s'élevant
contre
la "répression coloniale".
Les
tensions entre impérialismes rivaux resurgissent (conflit
franco-britannique en Syrie par exemple), les fissures entre les
grandes puissances, alliés de la veille, se font jour.
Dès février
1945, au lendemain de Yalta où les trois "Grands" (Etats-Unis,
URSS,
Grande-Bretagne) entérinent leur partage du monde et s'efforcent
de
préserver les apparences de l'unité, La Lutte de
Classes
avertit :
"Cette union est tellement chancelante, que chacun
des
trois tient en réserve un système d'alliances avec des
moyennes
et des petites puissances, système qui, en cas de conflit entre
les
trois, divisera automatiquement le monde en blocs antagonistes"
.
En effet,
si
les impérialismes anglais et américain ont bien atteint
leurs
buts de guerre en brisant l'Allemagne et le Japon, la question
soviétique reste pendante. Les projets caressés par
Churchill de poursuite de
la guerre contre l'URSS ont dû être abandonnés :
leur
réalisation aurait conduit tout droit à l'explosion
révolutionnaire
que les Alliés n'ont évitée qu'avec l'appui de
Staline.
Mais dans les mois qui suivent les alliances se lézardent et le
spectre
d'une troisième guerre mondiale se précise.
La
reconstruction exige de remettre la classe ouvrière au travail.
Pour la bourgeoisie, la reconquête de ses marchés, de son
influence future, de ses
possessions coloniales, en dépend. Il faut mobiliser et
produire, vite
et beaucoup. C'est-à-dire, pressurer la classe ouvrière.
Le Parti
communiste
y prête la main, avec ardeur. Avec l'aval de Staline, il met son
influence
sur la CGT et à travers elle sur la classe ouvrière, au
service
de la bourgeoisie. Quelques "Grands chefs" communistes deviennent
ministres.
Dans les usines, les délégués et les petits
bureaucrates
se font petits chefs, nouvelle maîtrise qui dépasse
l'ancienne
par son arrogance et son zèle productif. "Produire d'abord,
revendiquer
ensuite" devient son maître mot.
Pour la
première
fois d'une façon aussi cynique le PCF se range ouvertement au
côté
de la bourgeoisie contre la classe ouvrière. Pour la
première
fois chaque ouvrier peut en faire l'expérience, quotidiennement,
des
mois durant. Situation difficile pour les travailleurs. Mais aussi,
situation
riche de possibilités.
"Ce qui fait notre force," affirme
Barta en juillet 1945, dans une Lettre
ouverte aux militants
et sympathisants du PCI, "c'est notre politique énergique de
défense
des intérêts des masses, poursuivie sans hésitation
et
sans équivoque".
Au-delà de son but immédiat (défendre la politique
de l'UC devant les
membres du PCI), cette Lettre ouverte présente le
programme d'action de l'UC. "Là se résument tous les
problèmes de notre travail. Comment faire bien comprendre la
situation à une centaine d'ouvriers, les gagner corps et
âme à la politique révolutionnaire,
en faire des cadres de la classe ouvrière et du trotskysme ;
c'est
par eux que nous pourrons apparaître aux masses comme leurs seuls
défenseurs,
dans ce monde où elles n'ont que des
ennemis"
.
Sur cette
base,
l'UC développe son activité de propagande, d'agitation et
d'implantation
dans la classe ouvrière. Depuis la "Libération", un
certain
nombre de jeunes sont venus renforcer le groupe, qui doit, à ce
moment-là,
compter une vingtaine de membres, et, surtout "les liaisons
ouvrières
s'étaient accrues"
.
L'UC
réédite des brochures comme celle d'André Marty "On
croit se battre pour la patrie... on meurt pour les industriels et les
banquiers" qui dénonçait, en 1926, la guerre
coloniale du Rif ou "La catastrophe imminente et les
moyens de la conjurer" de Lénine (en octobre 1945),
proposition d'un plan ouvrier de reconstruction.
Pour
n'avoir pas à arguer des faits de "résistance"
(exigés pour obtenir
l'autorisation de parution et du papier), comme Barta reproche au PCI
d'accepter
de le faire, La Lutte de Classes continue de paraître
illégalement.
Une modeste imprimerie clandestine a été installée
en
banlieue, les caractères sont fournis par un ouvrier de
l'Imprimerie
nationale.
Mais, en
décembre
1945, le développement de l'activité militante permet la
publication
d'une adresse, impasse du Rouet, dans le XIVe. Ce local devient une
permanence
pour les cercles d'éducation et les réunions de travail.
L'UC
publie des tracts signés "Un groupe d'ouvriers" dans les
entreprises où elle a des militants ou des contacts, à la
Thomson, au LMT, chez Citroën,
à Levallois, à Clichy et à Grenelle, chez Gnome et
Rhône,
adressés aux travailleurs de la radio, à ceux des
ascenseurs,
etc. Les conditions de travail, les salaires, l'attitude de la
maîtrise,
le gouvernement et le patronat y sont dénoncés mais aussi
les
staliniens qui poussent à la production.
L'accueil
favorable
réservé à ces feuilles montre que l'opposition
sans
concession au gouvernement et au PC correspond à une
volonté des ouvriers.
Au cours
de
l'année 1945, apparait sur les tracts la signature "Opposition
syndicale
Lutte de classes" et, en octobre 1945 sort "La Voix des Travailleurs,
Bulletin inter-usines de l'Opposition syndicale Lutte de
Classes-CGT". L'éditorial définit ses buts :
"éduquer de nouveaux cadres
et [...] permettre la coordination de leur travail". Elle "se propose
d'être
le porte-parole des ouvriers". "Il
faut
briser la barrière de silence qui entoure actuellement les
abominables
conditions de travail de la classe ouvrière. Nous demandons aux
ouvriers
de nous signaler de partout ces conditions. La Voix des Travailleurs
les exposera et mènera campagne contre les abus capitalistes" . Douze
numéros paraissent, d'octobre 1945 à avril 1946.
Ce
journal trouve
une incontestable sympathie parmi les ouvriers. A côté des
articles
affirmant la solidarité internationale des travailleurs et
rendant
compte des luttes ouvrières à l'étranger et de
ceux
défendant les revendications (augmentation des salaires,
échelle
mobile, diminution de la durée du travail, le contrôle
ouvrier
sur la production et le ravitaillement, etc), la multiplicité
des
échos d'entreprises, dénonçant les faits, petits
et
grands de l'exploitation et la morgue des bureaucrates, témoigne
de
la sympathie des travailleurs.
Dressé depuis des années à la chasse aux
trotskystes, et décidé plus que jamais à
empêcher la constitution d'une opposition sur
sa gauche au moment où il assume directement la
responsabilité d'une politique anti-ouvrière, le PCF
réagit violemment. A
partir de l'automne 1945, les bagarres sont fréquentes aux
portes des
entreprises où l'Union communiste veut imposer la liberté
d'expression.
La
disproportion des forces est en apparence écrasante. Mais les
chiffres ne disent pas tout, comme l'explique
Barta,
à propos d'une vente devant Gnome et Rhône, boulevard
Kellerman,
à Paris (devenue par la suite la SNECMA) :
"Des camarades ont fait la remarque que le rapport des forces
était en notre défaveur, étant donné que la
cellule stalinienne Gnome et Rhône a six cents membres. Une telle
façon de poser la question n'est pas juste. 1°) Les
camarades connaissent le mode de
recrutement de ce parti parlementaire. 2°) Tous les ouvriers
adhérents au PCF s'ils ont des sentiments communistes sont loin
d'être tous staliniens.
(...) Si on pouvait dénombrer les staliniens de G.R., on en
trouverait
une trentaine" .
De fait,
"A la vente, la bagarre éclate, mais les ouvriers prennent notre
défense".
Même si
l'indignation des travailleurs ne va pas jusqu'à intervenir
physiquement, leur désapprobation freine les staliniens. Le PCI,
par contre, loin de marquer la moindre solidarité, condamne
catégoriquement l'attitude
de l'UC où il ne voit que provocation.
Mais la
sympathie
recueillie par La Voix des Travailleurs ne débouche que
peu
sur un soutien actif. Dans sa manière directe, sans
mépris mais
sans concession, Barta l'exprime le 30 avril 1946 :
"L'effort matériel des ouvriers qui approuvent La Voix des
Travailleurs est de beaucoup en retard sur la sympathie qu'ils lui
manifestent. (...) [Ils]
n'ont pas eu suffisamment conscience des difficultés qu'un tel
journal
avait à vaincre. Devant en assumer nous-mêmes toutes les
charges,
il s'est créé un déséquilibre dangereux au
détriment
de notre organe politique" .
Assurer
l'édition
de deux journaux est au-dessus des seules forces de l'UC. Or, et c'est
indispensable
aux yeux de Barta, La Lutte de Classes, l'organe politique du
groupe,
doit continuer sa parution. La Voix des Travailleurs
disparaît
comme organe autonome et son contenu parait au verso de La Lutte de
Classes.
Le
"déséquilibre" souligné par Barta entre
l'écho favorable recueilli auprès des ouvriers et leur
soutien concret a d'autres conséquences que ces
difficultés matérielles qui conduisent à la
suppression de la La Voix des Travailleurs, il entraîne
une scission en 1946.
Quelques militants et sympathisants, menés par Goupi, un
militant de
chez Renault, s'élèvent "contre cette priorité
accordée
à un travail qu'ils estiment sans but clair et dont les
résultats
tangibles tardent à apparaître"
. Ils voulaient, écrit Barta "revenir en arrière,
à
l'époque où notre principale activité était
des
réunions de groupes étudiant la Révolution".
Tandis que sur
la
scène internationale les antagonismes entre les deux blocs en
voie
de constitution s'aiguisent, l'année 1946 est marquée par
l'échec
des tentatives de conciliation de Ho-Chi-Minh qui multiplie les
concessions
à l'impérialisme français sans parvenir à
le
satisfaire jamais. Au bout du compte, les armes parlent. Le 23 novembre
1946,
l'Amiral d'Argenlieu fait bombarder Haïphong à l'artillerie
de
marine, tuant plusieurs milliers de civils et donnant le coup d'envoi
de
la guerre d'Indochine.
Le
soutien de
l'UC à la lutte des peuples coloniaux trouve à s'exprimer
d'une
façon plus concrète. Une trentaine de milliers de
Vietnamiens ont été déportés en France en
1939 pour remplacer des ouvriers mobilisés. A la fin de la
guerre, ils ont été parqués dans des camps, avec
les rescapés des Tirailleurs Indochinois.
Leur refus de s'enrôler dans le corps expéditionnaire
français
en Indochine et de travailler à la production d'armement suscite
de
fréquents et violents incidents. Ils ont élu des
délégués
parmi lesquels des trotskystes proches du groupe révolutionnaire
vietnamien
La Lutte. Entrée en contact avec eux par l'intermédiaire
d'un
déserteur de ces camps travaillant chez Citroën, l'Union
communiste
apporte son aide aux Indochinois, participant à des
réunions,
tirant des tracts ou diffusant leurs communiqués. Les listes de
souscription
publient à plusieurs reprises les sommes versées par des
Indochinois à La Lutte de Classes.
En France
la
rupture entre De Gaulle et ceux qu'il nomme avec mépris "les
partis"
est consommée. Il démissionne le 20 janvier 1946.
"La preuve est donc faite que la crise mortelle du capitalisme
français ne peut être maîtrisée par
"l'unanimité nationale"de
tous les Partis autour d'un "arbitre" au-dessus d'eux écrit La Lutte de Classes qui prédit :
"Maintenant
qu'il n'est plus au gouvernement, De Gaulle veut utiliser la situation
catastrophique,
résultat de sa propre politique dans le but de
discréditer
le régime des Partis, en faveur d'un s'imposant à
tous
par la force".
Rapprochant le discours de De Gaulle appelant à "un Etat fort"
à Bayeux le 16 juin 1946 du sac du siège du PCF par des
gaullistes deux jours plus tard, Barta montre la
nécessité d'une riposte.
"Cette riposte, ce n'est pas la grève
d'une
heure et une manifestation symbolique" auxquelles le PC a
appelé,
"c'est la GREVE GENERALE ayant pour objectifs : 1) Le salaire minimum
vital,
l'échelle mobile et le contrôle ouvrier. 2) Le
désarmement
des bandes fascistes par les piquets de grève et l'armement des
travailleurs.
3) La rupture de la collaboration des partis se réclamant de la
classe
ouvrière avec les partis bourgeois, et la formation d'un pouvoir
à
la fois fort et démocratique, parce qu'appuyé sur
l'activité et le contrôle direct des millions de
travailleurs organisés dans leurs partis, leurs syndicats, le
gouvernement ouvrier
et paysan" .
Fin 1945
éclatent
les premières grandes grèves de l'après-guerre qui
témoignent
de la montée de la combativité ouvrière. En
janvier
1946 la grève des rotativistes traités de
"privilégiés" par le PCF a un fort retentissement.
D'autres mouvements suivent, en particulier, en juillet la grève
des PTT. "Le résultat que les postiers ont
obtenu, ils pouvaient l'avoir sans grève" dit Frachon le
dirigeant de la fraction stalinienne de la CGT.
"La grève n'est pas une arme dont on use à tort et
à travers" poursuit-il, "Il est des gens qui sont pris d'une
subite et violente passion de retour d'âge pour la grève
(...) Nous demandons à
nos militants de faire échec à toutes les tentatives des
excitateurs
pour qui les revendications ne sont qu'un prétexte" .
Comme il
le
rappelera dans la Mise au point de 1972, Barta, analyse la
situation en terme de crise :
"L'histoire à cette
époque-là
faisait de la révolution une question de vie ou de mort non
seulement
pour l'Asie, l'Afrique et l'Amérique latine, mais aussi pour
toute
l'Europe y compris occidentale, où la situation de
l'écrasante
majorité des travailleurs était misérable et sans
espoir"
.
Au moyen
de
ses tracts comme au travers de La Lutte de Classes et de ses
militants
dans les entreprises, l'Union communiste explique inlassablement aux
ouvriers
la nécessité de la grève générale
pour
défendre "leur droit à la vie".
La
recherche de l'efficacité dans l'action conduit l'organisation
à opérer un regroupement de militants chez Renault.
"La grève fut préparée de longs mois à
l'avance, par le travail d'un petit nombre de militants ouvriers
groupés autour du journal La Lutte de Classes" dira Barta un an après le conflit des usines
Renault.
Au
début 1947, le mécontentement ouvrier cherche à
s'exprimer. Chez Renault,
des débrayages se produisent : dans l'Ile Seguin, à
l'Entretien,
au Modelage-Fonderie, à l'Artillerie, ainsi qu'à la
Trempe
et dans le secteur Collas où travaille Pierre Bois. Depuis
février
paraît La Voix des Travailleurs de chez Renault.
Une
petite équipe s'est constituée qui organise des
réunions
qui rassemblent bientôt quelques dizaines de travailleurs et de
militants
et fait circuler des pétitions contre la mauvaise
répartition
des primes au rendement. Même s'ils n'osent pas le dire à
haute
voix, le contenu de cette agitation, comme antérieurement celui
des
tracts signés "Un groupe d'ouvriers", correspond à ce que
souhaitent
les travailleurs. "Quand les camarades de l'UC ont pu se montrer au
grand
jour, un ouvrier de la fonderie, ancien communiste, a raconté
que
ne sachant à qui s'adresser, il avait recopié
lui-même
à la main, en sept exemplaires, un de ces tracts
signés
qu'il approuvait entièrement" .
En mars
dans
le secteur Collas,
un premier débrayage a lieu. Près de la moitié des
1200
travailleurs débrayent mais "les délégués,
qui
étaient en réunion et qui ont appris la chose, reviennent
en
hâte, remettent les moteurs en route et engagent leur campagne de
dénigrement,
de démoralisation et de calomnies" . Cet échec ne
décourage
pas les ouvriers. Des pétitions réclamant 10 francs
d'augmentation
sur le taux de base (et non sous forme de prime) recueillent de
nombreuses
signatures. Le 17 avril, au cours d'une assemblée, la
revendication
des 10 francs d'augmentation sur le taux de base est adoptée et
un
Comité de grève élu. Il est chargé de
déposer
cette revendication auprès de la direction qui ne répond
pas.
Un nouveau meeting se tient le mercredi 23. Pierre Bois prévient
les
quelques 700 travailleurs présents :
"Il ne sera plus question de jouer de
l'accordéon
ou de rester les bras croisés à attendre que ça
tombe,
mais il faudra s'organiser pour faire connaître le mouvement dans
toutes
les usines, faire des piquets de grève et défendre les
issues
de l'usine au besoin. (...) Quant aux "lacrymogènes" de la
police,
pendant plus de six ans nous avons reçu des bombes sur la gueule
et
on n'a rien dit. (...) Et aujourd'hui, nous n'aurions pas la force et
le
courage d'en faire au moins une infime partie pour nous ? Appuyant ces
paroles de cris bruyants, les ouvriers marquaient leur approbation" .
Malgré l'opposition des responsables syndicaux, la grève
"dans les délais les plus courts" est massivement votée
et la confiance au Comité de grève renouvelée.
Après s'être renseigné sur l'état des stocks
de pièces (le secteur Collas produit, entre autres, les pignons)
les onze membres du
Comité décident la grève pour le vendredi 25
avril, lendemain
de la paye et aussi des élections à la
Sécurité Sociale qu'ils ne veulent pas être
accusés d'entraver.
Le
vendredi 25 au matin, un piquet secrètement constitué la
veille, distribue l'"ordre de grève", signé de chacun des
membres du Comité et rappelant les revendications, 10 francs
d'augmentation et le paiement des
heures de grève. L'électricité est coupée,
les
transformateurs gardés.
"Le
mouvement était donc parti. Mais le
plus difficile restait
à faire. Personne n'avait la naïveté de croire
qu'une
augmentation de 10 francs sur le salaire de base et le paiement des
heures
de grève pouvaient être obtenus par douze cents
grévistes
! (...) Pour renverser la vapeur, pour mettre un frein à la
rapacité
capitaliste, il fallait, comme en juin 1936, une action gréviste
de
la majorité de la classe ouvrière" .
Dès le
démarrage de la grève, ceux de Collas se répandent
dans
l'usine pour tenter de rallier les autres secteurs. "Les moteurs
s'arrêtent ; les délégués syndicaux les
remettent en route"
. Plaisance, secrétaire de la CGT, accuse
:
"Ce matin, une bande d'anarcho-hitléro-trotskystes a voulu faire
sauter
l'usine" . Il prétendra par la suite que "faire sauter l'usine"
signifiait
dans son esprit la mettre en grève... Le vendredi soir, la
grève
est installée à Collas mais elle ne s'est pratiquement
pas
étendue.
Un
tract des ouvriers du secteur Collas appelle
à un meeting
de toute l'usine le lundi 28 avril. Les staliniens y ont amené
trois
voitures sono. Pas de chance, les Jeunesses socialistes (en voie de
rupture
avec la SFIO) en prêtent une, plus puissante, aux
grévistes.
Le soir, malgré les incidents provoqués par les
staliniens,
10 000 ouvriers (sur 30 000) sont en grève et 12 000 le
lendemain
matin. Pour tenter de récupérer le mouvement la CGT
appelle
à une heure de grève (sur ses revendications) le 29 avril
de
11 à 12 heures. L'usine débraye massivement mais,
à
midi, le travail ne reprend pas. La grève est
générale
à Billancourt. Le Comité de grève Collas est
submergé.
Un Comité Central de Grève de 105 membres est
constitué
mais, dit Barta en 1948, "les ouvriers qui viennent représentent
leur
propre bonne volonté mais n'ont pas d'appui sérieux parmi
leurs
camarades d'atelier" .
Les
commandos cégétistes multiplient les incidents et, le 30
avril au soir, en prévision du défilé du 1er mai
où le PC redoute
l'intervention de grévistes, se présentent à
plusieurs
centaines, barres de fer à la main, pour évacuer Collas.
La
détermination des grévistes ("caisses de boulons, de
pignons,
air comprimé pour pulvériser de l'acide"
) les calme.
Le
lendemain, 1er mai, un tract (tiré gratuitement à 100 000
exemplaires par
les ouvriers de l'imprimerie Réaumur) signé
"Comité de
grève général des Usines Renault" est
distribué dans le cortège cégétiste.
"La revendication que nous formulons est une revendication
générale qui intéresse tous les ouvriers.
Camarades, nous faisons appel à vous parce que vous êtes
dans la même situation que nous et que
personne ne peut se résigner à la situation actuelle. Par
conséquent,
puisque la lutte est inévitable et nécessaire, il faut
que
nous nous mettions tous ensemble en mouvement, car seule l'union de
tous
les travailleurs assurera la victoire pour tous. (...) Notre usine a
commencé
le mouvement. Nous appelons tous nos camarades de la
métallurgie,
tous les ouvriers de la région parisienne, à se joindre
à
nous. (...) VIVENT LES 10 FRANCS ! VIVE LE MINIMUM VITAL GARANTI PAR L'ECHELLE
MOBILE !" .
Comme
l'écrit Barta plus tard :
"Nous l'avons [la grève Renault],
considérée
comme le début d'une grève générale.
Aussitôt la grève étendue à toute l'usine
(le 29 avril), j'ai rédigé (le 30 avril) un tract, au nom
du Comité de grève,
appelant les travailleurs de toute la métallurgie à
suivre
l'exemple de Renault. Et dans cette perspective, j'y posais une
revendication
nouvelle : l'échelle mobile des salaires, bête noire,
à
l'époque de la CGT et du gouvernement. Car, pour nous, tout
élargissement
de la grève devait se traduire par un approfondissement des revendications" . "Inversement, quand au bout de deux semaines, la
grève
Renault s'est trouvée réduite aux départements 6
et
18, j'ai limité son objectif au paiement des heures de
grève"
précise-t-il dans une note.
Pourtant,
si
la grève de chez Renault est regardée avec espoir par la
classe
ouvrière du pays, elle ne s'étend pas. La faiblesse du
mouvement,
analyse Barta,
"c'est le manque d'une organisation
véritablement
ouvrière. De ce fait les ouvriers sont sans défense
devant
l'action répressive de l'appareil bureaucratique
cégétiste,
aussi bien dans la majeure partie des usines Renault que dans les
autres
usines. Le Comité de grève voit ainsi diminuer
considérablement
ses chances de déclencher un mouvement général
comme
en juin 1936" .
Ayant
circonscrit le mouvement, les dirigeants CGT entreprennent de le
réduire chez Renault
même. Ils organisent, dès le 2 mai, un vote sur la reprise
avec
3 francs de prime... que la direction n'a pas encore
cédés. Proposition repoussée par 11 354 voix
contre 8 015.
Jusqu'à ce vote, le PCF a pu espérer parvenir à
étouffer la grève
Renault comme il l'avait fait de celles des rotativistes et des
postiers.
Le vote du 2 mai le détrompe. Les ouvriers ne se
résignent plus.
La CGT et le PC risquent d'être débordés.
Or,
l'évolution de la situation internationale, l'exacerbation des
tensions, de plus en plus
ouvertes, entre les blocs occidental et soviétique où
chacun
resserre les rangs, condamne, à terme, le parti stalinien
à
quitter le gouvernement. Il choisit de ne pas sacrifier son audience
ouvrière
au piège que lui tend le chef du gouvernement, le socialiste
Ramadier.
Lorsque ce dernier réclame le 4 mai à l'Assemblée
un
vote de confiance sur sa politique de blocage -théorique- des
prix
et -bien réel- des salaires, les députés et les
ministres
communistes la lui refusent. Ils sont mis à la porte. "Un petit
ouvrier
de 25 ans a forcé Auriol à démissioner
Maurice
Thorez" clame, à la une, France-Dimanche.
Chez
Renault, la grève continue. Le 9 mai, la direction est
autorisée par le gouvernement à donner satisfaction
à la CGT en accordant 3 francs de prime. Le syndicat s'empresse
de crier victoire et de faire voter
les travailleurs.
"Nous avons commis -j'ai commis - la lourde faute d'accepter, après deux
semaines
de grève, un second vote demandé par la CGT alors qu'une
semaine
auparavant les ouvriers avaient voté à une très
forte
majorité la poursuite du mouvement jusqu'à satisfaction
de
leur principale revendication" dit, a posteriori, Barta.
Cette
fois le
PCF a gain de cause, la majorité de l'usine se prononce pour la
reprise.
Mais sa "victoire" n'est que partielle : le secteur Collas, lui, ne
reprend
pas. "Partout où il y a une direction (secteur Collas,
département
88), une forte majorité se prononce pour la continuation de la grève"
jusqu'au paiement des heures de grève.
Après presque une nouvelle semaine de grève, le 15 mai au
soir, la direction et le ministère capitulent. Ils tentent
certes de sauver la face. Ils
ne concèdent que 1 600 francs pour la reprise et une avance de
900
francs (qui ne sera jamais réclamée aux travailleurs).
Mais
personne ne s'y trompe, cela revient au paiement des heures de
grève.
"C'est bien grâce à vous, les gars des pignons, si on les
a
eu, les 1 600 et les 900
balles" dit un ouvrier. Collas reprend
le travail, la tête
haute.
Dans le
secteur
Collas, le problème de l'organisation des ouvriers qui,
après
trois semaines de calomnies et d'affrontements, ne veulent plus
entendre
parler du Parti communiste et de la CGT stalinienne se pose
immédiatement.
Une nouvelle Commission Exécutive de la section CGT est
élue.
Les bureaucrates refusent de la reconnaître. Placée devant
l'alternative,
s'incliner et démoraliser les travailleurs ou persister à
les
organiser, cette C.E. provisoire se transforme en Comité
d'action
puis en syndicat, le SDR
(Syndicat démocratique Renault) que rejoignent plusieurs
centaines d'ouvriers d'autres secteurs.
Il ne
s'agit pas de créer une nouvelle tendance syndicale comme
l'avaient fait des
anarchistes en mai 1946 avec la CNT .
"Le problème que nous posons n'est pas de faire un nouveau
syndicat opposé à la CGT. Ce que nous voulons, c'est
RECONSTRUIRE LE
SYNDICAT A LA BASE"
écrit Barta sous la
signature
de Pierre Bois, en juin 1947 dans La Voix des Travailleurs de chez
Renault,
sous le titre "Comment s'organiser". "Il fallait fournir à
l'avant-garde
ouvrière surgie par et avec la grève, un point d'appui
organisationnel
pour poursuivre la lutte contre le stalinisme et le
réformisme"
rappelle
Barta en 1952.
Les
événements ne laissent pas de répit. A peine
créé, le SDR doit affronter
les élections de délégués. Malgré
l'influence
que la grève vient de lui donner, CGT et direction lui
interdisent
de présenter des candidats au nom de la loi Croizat qui, alors,
n'autorise
pour les deux premiers tours de scrutin que les candidatures
présentées
sur des listes sans possibilité de ratures ni de surcharge par
les
syndicats "patriotiques" (CGT, CFTC et CGC à l'époque).
Un
amendement ultérieur à cette loi la limitera au premier
tour.
Le SDR appelle à l'abstention dans l'espoir que le quorum
n'étant
pas atteint, il pourra être présent au troisième.
6 696 travailleurs
boycottent les
élections, la CGT n'obtient que 12 683 suffrages mais elle rafle
tous
les sièges.
Les deux
dizaines
de militants de l'UC se trouvent devant des responsabilités et
des
tâches démesurées.
Sans doute, la grève
des
usines Renault n'a pas atteint ses objectifs. Sans la grève
générale,
contenue par le Parti communiste, la revendication des 10 francs s'est
avérée
inaccessible.
Mais les
3
francs obtenus ne l'auraient pas été sans lutte et la
quasi-totalité des heures de grève de la majorité
des ouvriers ont été payées (même si ceux de
Collas, partis avant et rentrés plus tard, perdent quelques
jours de salaire). Mais, surtout, -et c'est le
plus important politiquement- cette grève prouve avec
éclat que la classe ouvrière a conservé ses
capacités de combat.
Elle a,
de
plus, imposé la liberté d'expression face au
totalitarisme des
dirigeants de la CGT.
Du point
de
vue de l'Union communiste, la grève est un succès. Elle
est
la preuve, par les faits, de la possibilité de militer dans la
classe
ouvrière et d'y gagner de l'influence sur la base d'une
politique
révolutionnaire. Enfin, précise Barta, "si la
grève a
été dirigée par l'organisation politiquement,
c'est à
Pierre Bois que reviennent toutes les initiatives pratiques dans
l'usine
où il fallait, la grève déclenchée, se
comporter
comme un capitaine sur un bateau à voiles dans une tempête" .
Mais ce
succès
est écrasant pour l'UC. Dès la grève, elle a
sacrifié
la parution de La Lutte de Classes à celle de La
Voix des
Travailleurs de chez Renault. Toute l'énergie de
l'organisation
se concentre sur Renault et l'UC finit par se fondre dans le SDR qui
absorbe
toutes ses forces.
Sur le
plan
politique, le tournant de l'année 1947 s'accuse. Aux yeux de
Barta,
le trait dominant de la période est
l'inévitabilité d'un
troisième conflit mondial.
La
rupture entre
Alliés est consommée. Etats-Unis et Union
soviétique assurent leur emprise sur leur camp tandis que le ton
monte. "La deuxième guerre mondiale n'est pas terminée
depuis deux ans que l'on considère partout la troisième
comme proche et inévitable"
écrit La Voix des Travailleurs en octobre 1947. "Nous
voyons les Etats-Unis imposer leur volonté en échange de
leur aide économique partout où ils ne l'imposent pas
encore par la force"
poursuit-elle, ajoutant à propos de l'URSS : "Il ne s'agit pas,
du côté de Moscou, d'une lutte contre la guerre, mais
d'une politique de guerre, tout
comme celle de Washington
".
En 1948,
la
tension entre blocs croit encore : coup de Prague" et "suicide" de
Masaryk en février, adoption du plan Marshall en mars,
début du blocus de Berlin et rupture Tito-Staline en juin,
exacerbation de la crise de Berlin
à l'automne.
Les
articles de La Voix des Travailleurs contre la guerre se
multiplient jusqu'à constituer une rubrique
régulière. Confirmant sa rupture avec
la défense de l'URSS, l'UC renvoie pratiquement dos à dos
les
fauteurs de guerre. "Les travailleurs ne veulent pas être les
victimes
d'un bloc contre l'autre" écrit La
Voix
des Travailleurs en 1947. Elle précise, à la veille de la
crise
de Berlin, "les travailleurs du monde entier ne seront des jouets sans
défense
soumis aux intérêts et aux caprices des militaristes de
Washington
et de Moscou que s'ils le veulent".
"Peut-on s'attendre à ce que la
révolution
puisse prévenir la guerre ?" s'interroge Barta dans un rapport
d'organisation
du 1er octobre 1948. "Depuis 1945, les soulèvements des peuples
coloniaux
ne font que se renforcer et peuvent même embraser l'Asie et
l'Afrique
entière. D'autre part, la classe ouvrière d'Italie, de
France,
d'Angleterre, de Belgique et partiellement d'Allemagne, continue
à
se manifester. Mais le mouvement ouvrier et colonial, sans parti
révolutionnaire, en proie au parti stalinien, à la
social-démocratie ou au nationalisme,
est tout-à-fait incapable de se dresser d'une façon
efficace
contre la guerre. Cependant [du fait de] leur existence, (...) on peut
affirmer
avec certitude que le nouveau conflit s'accompagnera dès le
début
de vastes guerres civiles et soulèvements des peuples qui
offriront
des possibilités immenses au travail révolutionnaire" ).
En
Indochine la reconquête coloniale a commencé.
Toujours
en
liaison avec les Indochinois internés en France, l'UC continue
de
leur apporter son soutien. Parallèlement à
l'intensification des combats en Indochine, "les provocations se
multiplient et la tension monte
dans les camps. Dans ces conditions l'UC propose de faire
déserter un certain nombre de délégués,
pour préserver les meilleurs cadres ; ceux-ci refusent d'abord")
. Quand ils s'y résignent enfin, il est trop tard. A la suite
d'une nouvelle provocation, une révolte éclate en juillet
1948 au
camp de Mazargue. La police ouvre le feu, tuant cinq
délégués. 300 "meneurs" (s'ajoutant aux centaines
qui ont été arrêtés au cours des mois
précédents) sont transférés dans des bagnes
indochinois où, dénonce La Voix des Travailleurs,
ils ont 90% de probabilité de mourir. Le mouvement des
Indochinois en France est décapité. Il l'avait
été dès août 1945, en Indochine même
par l'assassinat du dirigeant du
groupe La Lutte, Tha-Thu-Tau. Les nationalistes-staliniens ont le champ
libre
pour cantonner la révolte du peuple indochinois aux objectifs
nationaux.
Les
tensions de la scène internationale se répercutent sur la
situation intérieure.
Après avoir encore combattu la grève des cheminots et
celle
de Peugeot de l'été 1947, le Parti communiste fait
volte-face
et prend la tête du mécontentement ouvrier. La
grève
générale que l'UC avait tenté de déclencher
à
partir de Renault, le PCF la dévoie en une série de
manifestations
violentes et de grèves dures, dans les transports parisiens,
à
EDF, chez Citroën, dans les mines en 1948, insuffisantes pour
faire
triompher les revendications ouvrières mais attestant sa
puissance
aux yeux de la bourgeoisie.
Face
à ces difficultés, la bourgeoisie est plus que jamais
tentée par
un pouvoir fort. De mai 1947 au début des années 50, le
centre
de gravité des gouverne-ments se déplace vers la droite
tandis
que leurs mesures, réarmement accéléré,
intensification
de la guerre d'Indochine et, sur le plan intérieur, blocage des
salaires,
restriction des droits ouvriers, répression de plus en plus
brutale
contre les ouvriers font écrire à Barta "comme en 1939
celle
de Daladier, cette politique mène à la " gaullisation de
la
France" avec
ou sans De Gaulle") .
Prenant
la
tête des grèves, au besoin les suscitant sans même
leur
avis, la CGT et le PC cessent d'être, aux yeux des travailleurs,
les
agents directs de la bourgeoisie dans leurs rangs. Chez Renault,
certains de ses militants qui avaient rejoint le SDR après la
grève réintègrent
la CGT. Pour ceux de l'UC, la situation devient infiniment plus
complexe.
"Avant 1947, notre situation était simple" explique Barta, "il
fallait se dévouer, pouvoir résister, mais c'était
facile de
fixer l'objectif parce que à ce moment là les ouvriers
avaient
contre eux toutes les organisations, tout ce qui était officiel.
Mais
depuis la grève de mai, la situation est beaucoup plus
compliquée ; il faut savoir garder l'initiative")
.
Dans
l'usine, le SDR propose aux autres syndicats d'agir en commun, sur la
base des revendications et des souhaits réels des travailleurs.
Mais traduire cette politique de Front unique dans la
réalité quotidienne de l'usine, l'adapter à la
multiplicité des situations, requiert toutes les forces de
l'organisation et de sa direction.
Même privés
du statut de délégué, les militants du SDR
interviennent
sur tous les sujets qui préoccupent les ouvriers : salaires,
rapports
avec la maîtrise, sécurité, ravitaillement, cantine.
Ils
poursuivent, d'autre part, une lutte, politique et juridique, pour
obtenir la représentativité de leur syndicat et le droit
de présenter des candidats aux élections
professionnelles. En janvier 1948 des élections partielles sont
organisées
dans le secteur Collas, à la suite de la démission de
délégués
CGT passés à Force Ouvrière. Le SDR appelle
à
l'abstention et, au second tour au département 6, obtient
exactement
le même nombre de voix que le candidat CGT qui est
proclamé
élu au bénéfice de l'âge.
Ce
résultat "inattendu" -et inférieur à celui
espéré- commente Barta, est le produit "d'une maladie qui
n'a pas fini de causer le plus grand
mal à la classe ouvrière : le scepticisme")
qui fait dire aux travailleurs des discussions entre organisations,
"qu'ils se débrouillent entre eux".
Malgré ces conditions difficiles, le SDR parvient à
exercer une influence durable. "Pendant trois ans le SDR a
été le facteur décisif dans l'usine" . L'audience
dont il bénéficie n'est "pas un reste d'influence de
1947,
mais le fruit d'un travail acharné et d'une tactique nouvelle
élaborée
de 1947 à 1949")
.
En effet, "L'influence née de la grève [disparaît]
pratiquement
par le tournant stalinien d'octobre-novembre
1947" constate Barta qui, pour décrire l'histoire du
SDR, récuse "l'image d'une
flambée"
).
L'année 1949 voit le SDR remporter deux succès
importants. Suite à un
arrêt de la Cour de cassation, il obtient sa
représentativité en mai 1949 et le droit de
présenter des candidats aux élections de
délégués. En juin, il recueille 1283 voix (contre
17 368 à la CGT) et a sept élus. Les ouvriers, analyse le
Conseil
syndical en reconnaissant qu'il en espérait davantage, "sentent
que
cela va mal et aussi la nécessité d'une opposition au
gouvernement,
ils ont voté pour la CGT qui fait opposition sur le papier.
(...)
Ils ont voté à gauche sans engager leur responsabilité")
. Mais l'influence réelle du SDR reste bien supérieure
à ces résultats électoraux.
Confirmation en est donné à l'automne 1949 où,
cette fois, le SDR obtient sa reconnaissance politique officielle des
staliniens. A l'occasion d'une grève dans le secteur de la 4 CV,
la CGT est, en effet, contrainte d'accepter officiellement la
présence du SDR dans le cartel constitué par les
organisations syndicales. "Nous avons imposé aux staliniens une
unité d'action sans précédent : un meeting commun
où chaque organisation a exprimé librement, à la
même tribune, son point de vue sur la grève en cours. Ceci
le 24 novembre 1949, en
plein stalinisme !"
.
"Nous avons imposé la liberté d'expression face au
totalitarisme des dirigeants de la CGT" .
Pourtant,
au
moment où le SDR connait ces succès, son existence
même est menacée. En réalité, l'Union
communiste se trouve aux prises à des difficultés qui la
broient. Réorganisations, discussions, résolutions se
succèdent mais rien n'y fait, le
malaise persiste et s'exacerbe. Depuis des mois, sur des questions de
tactique
syndicale, sur les méthodes de l'organisation ou encore sur
l'abondance
du matériel à diffuser quelques militants, dont Pierre
Bois,
s'opposent à Barta.
Les
militants de chez Renault ont, par la force des choses, la tentation
d'interpréter la situation à partir de l'usine, là
où Barta impose une vue à l'échelle nationale et
internationale. La question est d'autant plus sensible que
"l'organisation se confond avec une fraction d'usine")
.
L'organisation tente de trouver des solutions :
"Il faut reprendre le système de sorties périodiques des
camarades
de l'usine afin qu'ils puissent reprendre leur esprit et voir la
situation
en général" décide-t-elle en août
1948. Mais huit mois plus tard, en avril
1949, l'UC en est toujours
au même point : il faut "trouver des éléments qui
puissent
se consacrer à l'activité révolutionnaire d'une
façon
permanente et efficace. En même temps nous devons faire ce
travail
sans mettre en danger le syndicat et les possibilités de notre
activité
chez Renault. (...) Il faudra qu'on arrive à sortir quelques
camarades
de l'usine, progressivement, en vérifiant l'expérience pas à
pas".
Dans les
faits,
les circonstances interdisent le remède. Impossible au moment
où
le SDR est enfin reconnu de faire sortir quiconque de l'usine. Les
différends
s'accusent, les rapports se tendent. Deux fractions se constituent en
septembre
1949. La scission intervient fin novembre 1949.
Malgré la scission, dans un premier temps, les deux fractions
collaborent au sein du SDR. Mais, rapidement le conflit s'envenime et
devient public entre "la
majorité des délégués SDR" (quatre sur sept
sont
restés avec Barta) et le représentant officiel du
syndicat,
Pierre Bois. Aux élections de juin 1950 le SDR ne recueille plus
que
500 voix. Il disparaît dans les années qui suivent.
Quels que
soient
les griefs personnels -et comme dans toute scission ils ne manquent
pas-,
aux yeux de Barta, la disparition de l'UC a des causes autrement
profondes
que l'attitude de tel ou tel. Elle tient avant tout à
l'isolement
de l'UC qui la condamne à choisir entre deux morts. "La sortie
des
militants [de l'usine] était en fait un renoncement"
. Y demeurer conduisait à l'impasse.
En effet,
le
regroupement des "éléments authentiquement
révolutionnaires" ne s'est produit ni à l'occasion de la
grève de 1947, ni après.
Les tendances d'extrême-gauche campent sur leurs positions, en
particulier
le PCI. Chez Renault ses militants ont participé au mouvement en
1947
mais, par crainte de s'opposer radicalement au PC, leur organisation se
refuse
à voir en quoi il est le produit d'une politique consciente.
"Si nous n'avons pas rallié l'opposition aux staliniens, ce
n'est pas
que nous étions incapables" commente Barta en 1952, "mais parce
que
celle-ci n'existait pas dans les actes" .
Mais,
plus fondamentalement,
explique-t-il, l'isolement dans lequel est restée l'UC
malgré
sa politique juste est l'illustration de l'impossibilité pour la
classe
ouvrière française de l'époque de secréter
une
avant-garde. Un point de vue qu'il résume d'une façon
lapidaire
en 1972 :
"Nos forces, de la grève à la
disparition
de l'organisation, ne se sont ni augmentées ni
renouvelées
: l'arbre prolétarien rejetait en fin de compte la greffe révolutionnaire" .
La
formule lui
a été reprochée, parfois avec vulgarité.
Elle
est pourtant l'exact prolongement de ce qu'il affirme tout au long de
sa
vie militante.
"Tout ce qu'on peut reprocher à la situation
objective"
écrit-il par exemple, le 22 août 1948, "c'est qu'en fait
nous
n'avons pas trouvé une aile révolutionnaire des ouvriers
et
une jeunesse révolutionnaire capable de rallier les méthodes révolutionnaires".
Devant la
baisse
du nombre de journaux vendus, le tarissement des soutiens financiers,
la
diminution de la participation aux réunions, il constate, en
avril
1949, "malgré l'accueil favorable que notre propagande
rencontrait nous n'avons pas trouvé au sein de la classe
ouvrière même des éléments avancés
capables de lutter".
Un propos
qu'il
illustre en 1952 en rappelant :
"Il fallait la présence hebdomadaire de la
totalité
des membres de l'UC aux réunions SDR pour résoudre non
seulement
les tâches politiques et tactiques, mais également les
tâches organisationnelles de liaison avec l'usine, etc..." tandis que "l'usine ne nous fournit [pas de]
cadres
syndicaux, à peine quelques cotisants talonnés par nos militants"
Au bout
du
compte, dit-il,
"Le manque de sève (...) provoqua la scission et la fin, quels
qu'en soient les responsables. Car si d'en bas et latéralement
l'organisation avait reçu des forces nouvelles, de toutes
façons des militants défaillants, quel qu'ait
été leur travail, auraient été
remplacés, comme ce fut le cas avec la scission début
1946
qui n'empêcha nullement l'organisation d'accomplir sa mission" .
Barta et
les
quelques militants demeurés à ses côtés
publient
neuf numéros de La Lutte de Classes de janvier à
mars
1950 et, chez Renault, quelques numéros de La Voix des
Travailleurs en 1950 et 1951.
Par la
suite
Barta fait plusieurs tentatives pour reprendre une activité. Il
lance
en particulier un "appel à tous les anciens militants" de
l'UC
en décembre 1950, les invitant à "trouver une base de
collaboration,
même en dehors de liens organisationnels" face aux
échéances
ouvertes par la guerre de Corée.
Les
contacts épisodiques pris avec les anciens militants n'ont pas
permis de concrétiser
ce souhait. En 1956, quelques anciens militants de l'UC créent
le
groupe Voix Ouvrière, devenu Lutte Ouvrière en
1968. Mais si Lutte Ouvrière se réclame de la tradition
de
l'UC, Barta, entre autres dans sa Mise au point d'août
1972,
déclarait ne pas s'y reconnaître.
Les
textes de
Barta demeurent. Quelques uns ont été
réédités, depuis quelques années sous son
nom.
Mais la
majorité
d'entre eux restent inconnus. Les faire paraître n'est pas,
à
nos yeux, seulement oeuvre d'historien. C'est aussi, compte-tenu de
leur
intérêt, y compris pour la période présente,
contribuer
à sa compréhension. "J'espère que cette
brève
analyse incitera à réfléchir ceux pour qui agir
c'est
comprendre", écrivait Barta dans sa Mise au Point. A
sa
modeste échelle, ce site n'a pas d'autre ambition.
MOYON .RICHARD.