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chronologie 1945 |
Numéro 1 |
Octobre
1945
|
Au
moment du cinquantenaire de la C.G.T., quelle est la situation de la
classe
ouvrière ?
Le prolétariat subit dans les usines, les mines, les fabriques et les chantiers une exploitation forcenée, sa condition est ramenée à des dizaines d'années en arrière. L'arbitraire du patronat est aussi complet qu'au temps où des organisations syndicales n'existaient pas. La semaine de travail est allongée sans compensation de salaire. Les pires formes d'exploitation capitalistes sont renforcées : le travail de nuit, le travail à la chaîne et au boni . Les conditions minimum d'hygiène et de sécurité sont ignorées, la garde-chiourme se trouve en permanence sur le dos des ouvriers. On nous signale des ouvriers surmenés s'effondrant sur leur machine et un accroissement excessif des accidents du travail. Une pareille situation n'est possible que parce que la résistance ouvrière contre l'exploitation patronale est sabotée par les dirigeants actuels des Syndicats ouvriers. Sous le couvert de la formule "produire", ils ont repris leur politique d'union sacrée de 1939-40, quand ils se faisaient les auxiliaires de la répression anti-ouvrière. Les staliniens se sont joints à cette politique. Ce qui fait qu'aujourd'hui, ils agissent comme une garde-chiourme auxiliaire et encore pire que la garde-chiourme patronale. Les dirigeants syndicaux déshonorent le Syndicat et le détournent de son but qui est avant tout de défendre les conditions de travail et de salaire de la classe ouvrière face au patronat. Cependant notre défense contre le patronat exige l'existence d'un Syndicat ouvrier. Le problème c'est donc de remplacer les dirigeants syndicaux qui trahissent notre cause, d'éduquer de nouveaux cadres conscients des tâches prolétariennes.
L'opposition syndicale Lutte de Classes se donne pour but
d'éduquer
de nouveaux cadres et de permettre la coordination de leur travail.
"L'avantage
des dirigeants actuels de la C.G.T.", nous disait un travailleur,
"c'est
de pouvoir combattre des éléments isolés". Nous
devons
leur enlever cet avantage.
Son journal, La Voix des Travailleurs se propose d'être le
porte-parole
des ouvriers. Il le sera dans la mesure où ceux-ci seront
décidés
à l'utiliser comme une tribune pour leurs revendications et pour
leurs luttes. Les partisans de "l'autonomie" syndicale trouvent enfin l'occasion de démontrer combien la politique est nuisible à la C.G.T. "Car", prétendent-ils, "il y a désormais conflit entre les syndiqués appartenant à différents partis si leur position n'est pas celle de la direction stalinienne de la C.G.T.. Donc, pas de politique, que De Gaulle se "débrouille" avec les partis, la C.G.T. doit rester neutre, sans quoi au lieu de l'unité de tous pour la défense des salaires et des droits élémentaires, elle se divisera en autant de fractions qu'il y a de partis. Ceci, la direction de la C.G.T. l'admet par ailleurs elle-même, puisqu'elle n'ose pas donner l'ordre aux syndiqués de voter "Oui-Non", mais se contente de le recommander en général au public". Nos "autonomistes" triomphent à tort ! Ils trompent eux-mêmes sciemment les ouvriers. Si la décision de la direction stalinienne de la C.G.T. donne prise aux manoeuvres de la bourgeoisie, ce n'est pas parce qu'elle fait de la politique. Le 12 février 1934 , devant l'attaque politique des bandes fascistes, la C.G.T. avait décidé de riposter ensemble avec le P.C. et le P.S. par une grève générale et par une manifestation de masse. Cette politique juste renforça la classe ouvrière et mena tout droit aux conquêtes de juin 36. La bourgeoisie voudrait bien que la C.G.T., sous prétexte d'intérêts corporatifs, déserte la lutte contre ses entreprises d'anéantissement des libertés et du niveau de vie des travailleurs. C'est seulement parce que la politique des dirigeants de la C.G.T. est mauvaise et bureaucratique qu'elle nuit à la défense des travailleurs. La loi électorale de De Gaulle lésait-elle directement, matériellement, chaque travailleur ? Oui ! Parce que dans son système électoral, 2 voix ne valent qu'une voix non-ouvrière. Quelle devait donc être l'attitude de la C.G.T. ? Exiger qu'une voix ouvrière vaille au moins une voix non-ou-vrière, c'est-à-dire la re-présentation proportionnelle intégrale, puisqu'il est clair que les questions de salaire dépendent aussi des droits politiques élémentaires des ouvriers. Au besoin, il fallait appuyer cette exigence par la grève, seule arme de la C.G.T., par exemple par une journée de grève géné-rale comme le 12 février 1934. Cette attitude, loin de dresser les syndiqués les uns contre les autres, aurait soudé leurs rangs en une seule volonté de combat, puisque sur cette question tous les ouvriers et tous les partis se réclamant du prolétariat sont d'accord. D'autre part, l'opinion publique honnête aurait soutenu un tel combat, car comment admettre cette hypocrisie de De Gaulle d'une "démocratie" dans *LIGNE MANQUANTE* Il ressort donc clairement que l'attitude de la direction actuelle de la C.G.T. n'est pas une riposte à De Gaulle, mais plutôt une manoeuvre pour détourner l'attention du fait qu'elle est incapable de combattre (de même qu'elle a abandonné la lutte économique des ouvriers) pour les libertés élémentaires et démocratiques des travailleurs. C'est pour esquiver la lutte qu'elle a pris une attitude politicienne, car il est bien plus facile de lancer des appels en l'air et controverser dessus entre bureaucrates que de dé-fendre réellement les travailleurs dans la lutte. Si à la tête de la C.G.T. il y avait eu une tendance qui défende réellement chaque par-celle des droits économiques et des libertés des travailleurs, personne n'aurait pu se plaindre de l'immixtion de la politique dans les Syndicats. Tout au contraire, c'est par une politique révolutionnaire que les droits ouvriers les plus élémentaires seraient efficacement défendus.
Augmenter la production par l'emploi d'un matériel nouveau et
perfectionné,
c'est une solution très alléchante pour le patronat mais
le matériel coûte cher et la bourgeoisie ne peut tout de
même
pas abandonner ses bénéfices pour relever
l'économie
du pays que sa rapacité a contribué à
anéantir. Mais où en est la main d'oeuvre ? Déjà avant la guerre, elle était en décroissance. La population active qui était de 21.720.000 personnes en 1921 n'était plus que de 20.261.000 en 1936. Parmi cette population active, la main d'oeuvre productive baissait, tandis que la main d'oeuvre improductive augmentait. En 1921, il y avait 19.970.000 productifs pour 1.750.000 improductifs. En 1936, il avait 18.212.000 productifs pour 2.049.000 improductifs. La guerre a encore diminué le nombre de la main d'oeuvre productive. Au moins 200.000 militaires ont été tué au cours des opérations. Le nombre des civils tués au cours des bombardements est évalué à 90.000, à cela il faut ajouter les hommes et les femmes fusillés ou morts dans les camps et les prisons de France et d'Alle-magne (75.000 fusillés rien que pour Paris). Les privations et les maladies, conséquences de la guerre ont augmenté la mortalité ! C'est certainement de plus d'un million de travailleurs que la guerre a réduit la population active. D'autre part, le nombre des ouvriers étrangers qui était de 1.599.000 en 1931 et tombé à 1.245.000 en 1936, s'est vu réduire de plusieurs centaines de mille, beaucoup ayant quitté la France, rappelés notamment par la mobilisation. La population productive est réduite à peine à 19.000.000, soit 2.000.000 de moins qu'avant la guerre. Mais si la population active a considérablement diminué, le nombre des improductifs a continué à s'accroître. L'armée, les services administratifs (police, ravitaillement, prisonniers et rapatriés, etc.) emploient un nombre considérable de fonctionnaires. En 1936, il y avait 810.000 fonctionnaires ; aujourd'hui, le nombre des fonctionnaires est de 2 millions. Il reste à peine 16.000.000 de travailleurs pour la production, le commerce et les transports contre 18.262.000 en 1936, alors que toute l'économie est à reconstruire. Et c'est sur la main d'oeuvre, élément essentiel de la production, et déjà si terriblement éprouvée, que la bourgeoisie, avec l'appui des organisations dites ouvrières, veut faire retomber tout le poids de la reconstruction. Le patronat, qui a profité de l'absence de mouvement ouvrier pendant la guerre pour diminuer les "temps" et ainsi accélérer la cadence, veut conserver celle-ci. On veut exiger du prolétariat une cadence plus vive, un nombre d'heures de travail plus considérable, alors que la nourriture est nettement insuffisante.
Il faut que les ouvriers exigent de leurs dirigeants syndicaux qu'ils
prennent
leurs responsabilités pour l'élaboration d'un plan de
production
et de ravitaillement qui puisse permettre à la classe
ouvrière
de recouvrer ses forces. Il leur faut exiger que ceux-ci les
soutiennent
effectivement lorsqu'ils entrent en lutte pour la défense de
leurs
revendications. A qui ces figurants jouent-ils la comédie ? A l'ensemble des syndiqués qu'on amuse pour canaliser leur mécontentement. Tout change, soi-disant. Mais pour que tout reste pareil. La F.S.I. de Jouhaux, Schevenels , Citrine , etc... fait place à la F.S.M. de Citrine, Schevenels, Jouhaux, etc... Mais Schevenels justement rappelle que "la faillite des organisations internationales n'est après tout que la somme des faillites nationales". Ce n'est pas en passant l'éponge et en recommençant la même politique avec les mêmes hommes qu'on arrivera à des résultats différents. On nous présente les politesses des autorités comme un fait nouveau, la reconnaissance officielle de l'importance et du rôle du syndicalisme. Mais Belin et Cie jouissaient aussi de toutes les faveurs des autorités. Si la bourgeoisie se montre si "aimable", c'est qu'elle y trouve son compte. Elle s'essaye ainsi à domestiquer le mouvement ouvrier, à le lier à sa politique parce que l'action ouvrière consciente et organisée, donc indépendante de toute influence bourgeoise, est la plus dangereuse pour les classes dominantes. Pour que les Syndicats remplissent leur rôle d'organisateurs de la lutte ouvrière et de défenseurs de nos conditions de vie, ils doivent être ouverts à tous les travailleurs, quel que soit leur pays. Qu'est-ce que c'est que cette Fédération "Mondiale" qui n'accepte que les ouvriers des pays vainqueurs, comme si toutes les classes ouvrières n'étaient pas d'abord, et au même titre les vaincues de la guerre ? La F.S.M. prouve ainsi qu'elle n'est destinée qu'à mener la politique bourgeoise à la manière ouvrière, et c'est pour cela qu'il n'y a en elle aucune unité de vue, dès qu'on quitte les lieux communs. C'est pour cela que, comme la presse bourgeoise elle-même Combat le signale, les oppositions s'y retrouvent entre grandes et petites puissances, et entre grandes puissances. Bien sûr : du moment qu'on se place au point de vue de nos exploiteurs nationaux, pas moyen de s'entendre avec l'exploité d'en face. Et c'est comme ça que le "camarade" Sir Citrine ferme la bouche au délégué des Syndicats de l'Inde réclamant l'appui de la F.S.M. pour l'affranchissement de son pays ! Préoccupés de prouver leur "bonne foi" aux gouvernements, les représentants de la F.S.M. reprennent à leur compte toute la politique dont nous éprouvons chaque jour, dans notre chair, les conséquences. Ils se réclament de la Charte des Nations Unies (sic), de la Conférence de Potsdam, etc..., mais reconnaissent que jusqu'ici "seul l'appel au travail a retenti partout". Alors, qu'attend-on pour organiser une action ouvrière générale ? En tant que classe opprimée, les travailleurs ne peuvent prendre la responsabilité d'aucune action diplomatique bourgeoise, d'aucune "conférence de Potsdam" ou d'ailleurs, accomplie en dehors de leur contrôle précisément par les fondés de pouvoir (généraux et politiciens) du grand capital. Les décisions des Jouhaux-Frachon etc... ne nous engagent pas plus, car nous n'y avons pas pris part, et elles ne sont que le reflet, dans une mince couche de bureaucrates ouvriers, des décisions prises par les différents gouvernements capitalistes. "Les faits sont têtus", dit le proverbe. La lutte de classes, reniée officiellement dans les pays impérialistes, revient au premier plan à l'occasion de la lutte pour l'indépendance des peuples coloniaux, malgré le triage sur le volet des délégués. La réalisation d'une véritable centrale syndicale mondiale sera une victoire considérable pour les ouvriers. Mais on ne la construira pas dans les discussions diplomatiques où les méfiances et les rivalités se cachent sous les embrassades. Elle sera le fruit de la lutte généralisée que, dans chaque pays, les travailleurs mèneront contre leurs maîtres. Un peu partout, les ouvriers entrent en lutte et la bureaucratie syndicale ne les y aide guère. Ces premiers combats, et la lutte des exploités coloniaux, voilà les prémices de l'unité syndicale mondiale.
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