On
pouvait penser qu'avec la liberté rendue aux
spéculateurs sur l'or et le dollar, le prélèvement
"exceptionnel" sur les
classes moyennes et la hausse des prix industriels "au niveau des prix
agricoles",
M. René Mayer avait achevé son programme d'aide directe
aux
capitalistes.
Il n'en est rien. Alors que de nouvelles
hausses s'annoncent pour les
consommateurs,
le ministre des Finances envisage de nouveaux et substantiels cadeaux
pour
les milliardaires. Le premier, baptisé amnistie fiscale pour
certaines
catégories de personnes soumises à l'impôt de
solidarité
nationale, n'est rien d'autre que pardon et oubli pour les grands
fraudeurs
du fisc. Le deuxième, appelé participation des capitaux
privés
au financement des entreprises nationalisées, permettra aux
requins
de la haute finance de prélever de gros bénéfices,
sans
aucun risque et sans contribuer à la bonne marche des
entreprises. En effet, M. Mayer envisage cette participation sous forme
de bons à court terme portant intérêt progressif et
obligations ; or, si
l'actionnaire, qui achète une part de propriété
d'une
entreprise, participe non seulement aux bénéfices, mais
peut
aussi subir des pertes, le souscripteur de bons ou l'obligataire,
considéré
comme prêteur d'argent, encaisse quand même ses
intérêts,
même en cas de pertes pour l'entreprise. Qu'il pleuve ou qu'il
vente,
un tribut lui est toujours dû !
Evidemment, M. Mayer présente ces
mesures comme une "aide aux
nationalisations".
Il y a trois ans, au temps du gouvernement "d'union nationale", de
Thorez
à Bidault, sous la présidence de De Gaulle, les
"nationalisation"
furent, en effet, la "tarte à la crème" du nouveau
régime
dans le domaine économique. Il n'en fallait pas plus à
L'Humanité
pour essayer de persuader ses lecteurs de la disparition des deux cents
familles.
Mais il n'y avait rien de "progressif"
dans l'étatisation de
certaines
branches d'industries et de certaines banques. Dans tous les vieux pays
capitalistes,
indépendamment de la forme du gouvernement, l'Etat a dû
procéder
à des "nationalisations" de plus en plus larges, pour faire
supporter
aux contribuables la faillite du système capitaliste dans les
principales
branches (mines, chemins de fer, etc.) et assurer ainsi aux
capitalistes
un minimum de bénéfices (en tant que prêteurs
d'argent
surtout).
Mussolini en Italie, Hitler en Allemagne,
Chamberlain, Churchill et
Attlee
en Angleterre, Franco en Espagne, tous ont dû, devant la faillite
du
capitalisme, "nationaliser".
Le 1er décembre 1945, en
dénonçant, dans La Lutte
de
classes, le caractère spoliateur de ces nationalisations, nous
réclamions
:
Il ne
faut accorder aux capitalistes (des secteurs
nationalisés) ni rachat ni indemnité
prélevés sur le travail du peuple
et aggravant sa misère. Il faut abolir le secret commercial,
paravent
des spéculations financières. Il faut procéder
à
la publication des bilans et l'ouverture des livres de compte de la
bourgeoisie.
Il faut que les syndicats ouvriers établissent le plan d'une
production
d'objets de consommation pour les masses, de rééquipement
de
l'agriculture et du bâtiment. Il faut organiser les ouvriers et
les
employés pour le contrôle ouvrier sur la production et la
comptabilité
des industries et des banques. Faute de combattre pour ces mesures, les
"nationalisations"
ne s'avéreront qu'une nouvelle cause d'inflation, de
spoliation
du peuple et d'accroissement de sa misère.
Mais
c'est l'inverse qui se produit aujourd'hui. Pendant trois
ans, les contribuables ont payé des centaines de milliards pour
les entreprises "nationalisées", et les ouvriers ont
travaillé avec des salaires dérisoires ; et, maintenant
que la plupart d'entr'elles sont renflouées, M. Mayer estime que
c'est le moment pour MM. les capitalistes d'être présents
à la curée.
Jusqu'où la patience des travailleurs les laissera-t-elle aller
?
LA VOIX DES TRAVAILLEURS.
La
nouvelle "conférence de paix" entre
Washington et Moscou :
NOUS LES ATTENDONS AUX
ACTES !
La
sensation produite par les nouvelles propositions de
Washington à Moscou pour un "règlement
général de la paix" mesure, mieux que tout,
l'acuité du danger de guerre. Car, en somme, il ne s'agit que
d'un nouvel essai, après tant d'autres. Et personne, d'ailleurs,
n'ose affirmer qu'il y ait, cette fois-ci, davantage de chances de
réussite.
Il suffit de se rappeler le sort qu'ont eu les
précédentes ententes
entre les cliques de Washington et de Moscou, à
Téhéran, à Casablanca, à Yalta, à
Potsdam et à San-Francisco...
En tout cas, la PAIX, pour les masses laborieuses du
monde entier,
c'est
autre chose que le partage, autour du tapis vert, des territoires et
des
peuples, l'oppression militariste et policière par deux ou trois
grandes
puissances, le maintien du fardeau des armements et des troupes
d'occupation,
l'esclavage colonial.
LES PEUPLES VEULENT UNE PAIX DEMOCRATIQUE, CAR,
SEULE, UNE PAIX
DEMOCRATIQUE PEUT ELOIGNER DEFINITIVEMENT LA GUERRE. UNE "PAIX"
IMPERIALISTE NE SERAIT QU'UN REPIT TROMPEUR.
Qu'ils retirent leurs troupes de tous les pays,
quels qu'ils soient !
Qu'ils
répudient toute annexion de territoires ! Qu'ils donnent aux
peuples
le droit de disposer d'eux-mêmes, non seulement en Europe, mais
aussi
en Asie et en Afrique !
Qu'ils libèrent immédiatement les
prisonniers
de guerre ! Qu'ils renoncent aux "réparations", moyen de
spoliation
des travailleurs des pays vaincus ! Qu'ils désarment !
Quand nous verrons supprimer le budget de guerre
français (qui
est
actuellement bien au-delà de 300 milliards), le service
militaire réduit
à six mois, nos soldats revenus d'Indochine, et les usines
tourner
pour des produits utilitaires, nous saurons que nous sommes en paix.
FAUTE DE QUOI, QUELLES QUE SOIENT LES CONFERENCES ET
LES ENTENTES, NOUS
N'EVITERONS
PAS LA GUERRE.
COMME
QUOI, TOUT
EST UNE QUESTION DE POINT DE VUE
Le
gouvernement se flattait de la stabilisation des prix
à
laquelle il avait abouti, stabilisation de misère sans doute,
mais
c'était déjà une belle victoire que
d'arrêter
la hausse !
Cependant, le gouvernement doit veiller sur les
intérêts
de
tous ses citoyens. Aussi, bien que son plus cher désir ne soit
que
la baisse des prix, il a dû constater, et M. Abelin, dans son
dernier
discours, nous l'a expliqué, que les propriétaires
d'immeubles
étaient une catégorie de citoyens manifestement
lésés.
Les loyers qu'on leur paie sont "ridiculement bas". D'abord cela
empêche
la reconstruction. Il faut donc relever les loyers à un
coefficient
convenable (de 2 à 8, par exemple), quitte à accorder
à
certaines catégories de familles nombreuses une
allocation-logement
financée par l'Etat (inflation).
Admirez la logique du gouvernement : les salaires
actuels sont trop bas
pour
permettre de payer des loyers plus élevés.
L'allocation-logement, prévue pour certaines catégories,
ne compensera pas l'augmentation des loyers. Mais la solution est quand
même envisagée de... l'augmentation
des loyers.
Mais avec cela on n'en a pas fini. M. Abelin a
également
dû constater
que le déficit du métro était considérable.
Les
salaires actuels permettent-ils de payer un prix des transports plus
élevé
?
Evidemment non ! On ne peut pas non plus demander au
gouvernement une
"allocation-transport".
Il envisage de relever le tarif des transports quand même, comme
d'ailleurs
celui des P.T.T.
Et ce n'est pas tout : il s'aperçoit qu'il
n'a pas
été procédé en temps voulu au "rajustement
des prix des produits importés actuellement vendus à leur
ancien cours", ni aux "prix
des produits coloniaux maintenus à leur niveau d'avant la
dévaluation".
Il faudra, évidemment, réparer cette injustice.
Le gouvernement a l'oeil a tout. Chaque fois que
dans un secteur
quelconque les prix sont relevés, on s'aperçoit que, dans
un autre, forcément,
les prix ne sont pas au bon niveau et qu'il faut les rajuster. Ad
infinitum...
Il y a quelques mois, c'était les prix des produits industriels
qui
étaient trop bas par rapport aux prix agricoles. Le gouvernement
y
a mis bon ordre. De l'indice officiel 6, les prix industriels ont
été
relevés à l'indice 14 et commencent même à
dépasser
l'indice des prix agricoles. C'est bien pour cela qu'on parle d'un
relèvement,
lors de la prochaine récolte, des prix agricoles taxés
(lait, blé, sucre).
Il n'y a qu'un secteur pour lequel le gouvernement
est frappé de
cécité.
Il n'y a que les salaires qu'il ne trouve jamais
disproportionnés
par rapport au reste. Il n'y a que les revenus des travailleurs qui ne
lui
paraissent pas "ridiculement bas".
C'est que le gouvernement n'a qu'un oeil, mais c'est
le bon : il ne
voit
que l'intérêt des capitalistes. Que les ouvriers s'avisent
de
demander que le prix de leur force de travail, ridiculement bas, soit
rajusté
au niveau des autres prix (dont il est de plus de moitié plus
bas)
et le gouvernement, de son oeil déformant, y verra la
catastrophe
et la fin du monde.
Mais à ce jeu-là, tant va la cruche
à l'eau
qu'elle se
casse.
LE
MARTYRE GREC SERA-T-IL CELUI DE LA
FRANCE ?
Le
dernier acte de barbarie du gouvernement grec :
l'exécution, en représailles du meurtre du ministre de la
Justice Ladas, de 264 prisonniers politiques détenus depuis
1944, a soulevé, pour la première fois, l'indignation de
la presse dite "démocratique".
La Grèce souffre depuis des années un
effroyable martyre.
Cette
réprobation à retardement des représentants des
"démocraties
occidentales" n'est due qu'à leur inquiétude de voir le
P.C.F.
apparaître comme le seul parti exprimant l'indignation que
pareils
actes ne manquent de susciter chez tous les gens doués de coeur
et
de raison. "Nous réprouvons les "excès" de M.
Tsaldaris..."
rétorquent-ils à L'Humanité, qui proteste à
longueur
de colonnes contre la répression sanglante et le martyre des
travailleurs
grecs.
Mais il est plus facile de protester que d'avouer
aux ouvriers ce qui a
mené
à cette situation.
Il aura fallu trois ans aux travailleurs de France pour que, devant la
perspective
d'une nouvelle guerre, entre les alliés d'hier, ils
découvrent
la duperie qu'a été la "guerre démocratique contre
le
fascisme".
La Grèce n'a même pas connu ce
délai. C'est
dès 1944, les troupes allemandes ayant à peine
quitté le territoire, que l'état-major anglais
recommençait la guerre contre le peuple
grec et que M. Churchill prenait la place de Hitler.
Le "gouvernement de libération",
arrivé à
Athènes en droite ligne de Londres, avait exigé en
premier lieu le désarmement de la "résistance". C'est ce
qui fut à l'origine du soulèvement de 1944. A la
même époque, le désarmement de la résistance
en Belgique provoquait là-bas aussi des batailles sanglantes
entre la police et les ouvriers armés.
Pour les alliés, la guerre contre Hitler
n'était que la
lutte
pour remplacer la domination de ce dernier par leur propre domination.
Il
ne pouvait s'agir de laisser des armes entre les mains de travailleurs
pour
qui la lutte contre Hitler avait signifié la lutte pour le pain,
la
paix et la liberté, mais qui devaient bientôt s'apercevoir
que
la démocratie et la libération des impérialistes
alliés
n'avaient été que tromperie.
Comme en France, les dirigeants staliniens avaient
embrigadé
là-bas
les ouvriers dans la résistance derrière les
représentants
de l'impérialisme, allié momentané de l'U.R.S.S.
Ils
ont trompé les ouvriers sur les mobiles de cet
impérialisme
et sur l'enjeu de la lutte qui se menait ("démocratie contre
fascisme").
Aussi, quand les événements de Grèce
éclatèrent
en 1944, L'Humanité affectait-elle l'étonnement : "C'est
là
une chose vraiment incroyable !" (28-11-44). Mais si elle jouait
l'étonnement,
c'était seulement pour faire oublier que c'étaient les
dirigeants
staliniens qui avaient prêché aux peuples la cause
alliée
et celle des gouvernements "démocratiques"
réfugiés
à Londres (les De Gaulle et les Tsaldaris).
Pourquoi les anciens combattants contre le fascisme
devaient-ils se
battre
à nouveau ? "L'action de l'E.L.A.S. et de l'E.A.M. n'a pas
d'autre
but que de former un gouvernement démocratique",
répondait L'Humanité.
Les dirigeants staliniens étaient prêts, pour leur part,
à
accepter le désarmement des milices en échange d'une
collaboration
gouvernementale. En France, Thorez n'avait-il pas approuvé le
désarmement
des milices, en échange de la vice-présidence ?
Cependant, ils ne réussirent pas en
Grèce, car le
gouvernement du "socialiste" Papaandréou d'abord, celui du
métropolite Damaskinos
ensuite, etc., avec l'appui militaire total de l'impérialisme
anglo-saxon,
engagea une lutte sans compromis pour mettre à genou le peuple
grec,
dont les traditions ouvrières ne sont pas des moindres. Ce n'est
qu'en
matant toute opposition politique dans le pays que le capitalisme
anglo-américain
pouvait s'assurer en Grèce d'une position stratégique
contre
l'U.R.S.S.
La "démocratie alliée" a
apporté d'emblée
au
peuple grec un gouvernement fasciste et la guerre civile. En France et
en
Italie, on a eu l'impression que la collaboration "pacifique"
--donnant, donnant--
des partis staliniens avec les partis bourgeois se perpétuerait
grâce
à l'étouffement de la lutte de classe. Mais les
événements
nous prouvent que la France et l'Italie sont aussi sur le chemin
de
la Grèce.
Il faut protester hautement et condamner les
abominables crimes des
impérialistes
alliés et du gouvernement fasciste en Grèce. Il faut
alerter
les peuples du monde entier pour faire cesser le martyre du peuple
grec.
Mais, avant tout, il s'agit de ne plus suivre ceux
qui, par leur
politique des "blocs" et de collaboration avec la bourgeoisie nous
mènent en
droite ligne au "martyre grec" !
Irène DECLAIR.
CE
QUE
REVENDIQUENT
LES OUVRIERS
"Les
travailleurs luttent pour l'aboutissement de leurs
revendications", tel est le leitmotiv qui revient chaque jour dans la
presse cégétiste et stalinienne.
Est-ce exact ?
Quand ils en ont assez de subir le joug patronal,
les ouvriers
arrêtent les machines. Alors, des bureaux des organisations
syndicales, arrivent des
revendications toutes faites rédigées dans un style que
très
peu d'ouvriers comprennent. S'agit-il bien des revendications des
ouvriers
?
Augmentation des salaires de 20%, demande
aujourd'hui la C.G.T. Mais
combien
cela fait-il, 20% ? On sait que lors de la dernière augmentation
de
décembre, les salaires ont été majorés, en
principe,
de 30%. Or, chez Renault, cela s'est traduit par une augmentation du
taux
de base de 40 fr.30 à 43 fr.90 pour un O.S.2
(c'est-à-dire à
peine 10%). La direction est arrivée à ce résultat
en
incorporant dans ses calculs les primes au salaire.
Ces temps derniers, ont eu lieu des
débrayages. Au bout de
quelques jours, les ouvriers reprenaient le travail. D'après la
C.G.T., ils avaient remporté une "victoire". C'est-à-dire
les 20% ? Non ! Mais la C.G.T. avait revendiqué la
révision des temps. La
paye arrive et les ouvriers s'aperçoivent, comme aux presses,
qu'ils
touchent 2 francs de plus par heure !
L'année dernière, les travailleurs de chez Renault sont
entrés
en lutte pour une augmentation de 10 francs sur le taux de base. La
C.G.T.
a réussi à manoeuvrer pour la transformer en une
revendication
de 10 francs de "prime à la production". Puis elle a fait
reprendre
le travail avec 3 francs au lieu de 10.
"Mais si nous n'avons pas obtenu entièrement
(sic) satisfaction
sur
les 10 francs, ont dit les cégétistes, du moins
avons-nous obtenu
la révision des chronométrages et la garantie d'un boni
à
120%." Hélas ! le gouvernement a défini les augmentations
du
mois de décembre sur une base de rendement à 140% !..
A la vérité, il y a loin des
revendications
cégétistes aux revendications ouvrières.
Les ouvriers revendiquent une augmentation
clairement chiffrée
de
leur salaire (10 francs sur le taux de base, par exemple) et non pas
des
pourcentages avec majoration de ceci, retenue de cela, primes et autres
tromperies.
Ils ne veulent pas d'un salaire basé sur deux cents heures de
travail
par mois, avec le calcul compliqué des majorations d'heures
supplémentaires,
sans impôts, jusqu'à quarante-cinq heures, impôt
au-dessus
de quarante-cinq heures, etc.
Ils veulent gagner leur vie en faisant leurs quarante-cinq heures par
semaine,
puisque la belle conquête des quarante heures a disparu des
moeurs.
Ils ne veulent pas non plus d'un salaire basé
sur une production
à
140%, compte tenu d'une prime de vie chère qui s'ajoute à
une
prime de production.
Ils veulent gagner leur vie en travaillant
normalement et, comme
premier pas
vers la suppression du travail aux pièces qui rend l'ouvrier
esclave
de sa machine, ils revendiquent le retour au plafond à 16%,
supprimé
par Croizat.
P. BOIS.
ENCORE
UNE FOIS A PROPOS DU "J'AI CHOISI LA LIBERTE"
Les
journaux du 8 mai ont annoncé que cinquante-quatre
officiers et soldats polonais, cantonnés à Lille, avaient
commencé le 5 mai une grève de la faim qu'ils entendaient
poursuivre jusqu'au 11 mai, date à laquelle ils devaient
être obligatoirement démobilisés,
sans subsistance, sans ressources, sans toit...
Il s'agit de militaires faits prisonniers par les
Allemands en 1939 et
1940
et incorporés dans l'armée britannique aussitôt
après
leur libération. Malgré leurs capacités
professionnelles,
ils n'ont pas réussi à s'intégrer dans
l'économie
française. Parmi eux, pourtant, on compte un
général
de division, des ingénieurs, des architectes et des ouvriers
spécialisés.
Ils n'ont pourtant trouvé place ni dans l'industrie, ni dans le
commerce.
Le cas de ces cinquante-quatre Polonais prouve,
encore une fois, qu'il
n'est
pas réservé à tout le monde de pouvoir, comme M.
Kravchenko,
choisir la liberté... Sinon celle de mourir de faim !
Par des
débrayages, suivis en partie seulement par les
ouvriers, la C.G.T. a protesté contre la mise à pied des
délégués qui avaient organisé des
réunions sur le lieu du travail ;
mise à pied qui constitue une atteinte au droit syndical.
Le branle-bas de combat était donné
par la C.G.T. moins
pour
défendre le droit syndical que ses propres positions. Car en
quoi,
il y a un an, était-il moins une atteinte au droit syndical, le
fait
d'interdire de parler pendant le travail, de diffuser un tract ou des
journaux
dans l'usine, ou le fait que les responsables du S.D.R. soient mis
à
pied ? Mais, il y a un an, la C.G.T. était complice de ces
brimades
contre les ouvriers. N'était-ce pas elle qui appelait Daniel
Mayer
et la direction de la R.N.U.R. à "prendre leur
responsabilité" contre les "250 énervés" du
secteur Collas ?
De la même manière, en 1948, la presse
de la C.G.T. et du
P.C.F.,
Marty en tête, découvrent que la Régie Renault est
un
bagne et que les nationalisations ne sont qu'un capitalisme d'Etat ;
alors
que jusqu'en 1947 les ouvriers devaient produire pour défendre
ces
mêmes "nationalisations".
Si la Régie est un bagne et si Lefaucheux
peut se permettre ces
atteintes
au droit syndical, c'est bien les cégétistes qui en sont
responsables,
eux qui ont toujours eu en vue leur propre situation et non pas celle
des
ouvriers.
Au mois de mai 1947, ils ont refusé de suivre
les ouvriers et
ont
saboté leurs mouvements. Mais au mois de novembre ils ont
demandé aux ouvriers de les suivre dans une grève
antidémocratique vouée
à l'échec. Les bureaucrates entendent que les ouvriers
les
suivent toujours, mais ils ne veulent en aucun cas suivre les ouvriers.
Aussi
les voit-on lancer des appels et des mots d'ordre sans s'occuper s'ils
correspondent
à la situation des ouvriers. Mais il faudrait que ces derniers
les
approuvent par la seule vertu qu'ils émanent du cerveau des
bureaucrates
!
Mais, contrairement à l'opinion de ces guides
éclairés, qui est aussi celle des bourgeois, les ouvriers
savent juger par eux-mêmes des choses et des gens. Aussi,
récompensent-ils les cégétistes selon leurs
oeuvres. Et ils le feraient encore bien mieux si les bureaucrates ne
réussissaient encore partiellement à faire pression sur
eux
par le chantage : "si vous ne marchez pas avec nous, c'est le patron
qui
en profitera !"
Mais c'est précisément de la trahison
de ces gens et de
la
division qu'ils ont semée au sein de la classe ouvrière
que
le patron a profité. Et ce n'est qu'en s'organisant en dehors de
leur
emprise que les ouvriers parviendront à se défendre
efficacement
contre les attaques patronales sous toutes leurs formes.
P.F.
Après avoir fait savoir aux ouvriers qu'ils devraient
marcher droit, sinon ils trouveraient à qui parler, M.
Lefaucheux se radoucit et fait appel au bon sens ouvrier : "Ne faites
pas de grève, nous (c'est-à-dire
lui) sommes en bonne voie de redressement et si tout va bien, la
direction
pourra distribuer une partie des bénéfices à la
fin
de l'exercice 1948".
Si on ne fait pas de grève, si les prix
n'augmentent pas, si la
concurrence
n'est pas trop difficile, si nous avons des matières
premières,
la direction, très généreuse, pourra, après
avoir
rattrapé le déficit de 1947, donner une participation aux
bénéfices
aux ouvriers à la fin de l'exercice 1948, c'est-à-dire
pratiquement
vers le mois de juin ou juillet de 1949.
Comment pourrions-nous apporter du crédit
à des promesses
soumises
à tant de conditions et prévues pour les calendes
grecques.
D'autant plus que les ouvriers n'ont aucun contrôle sur la
comptabilité
de la Régie, qui pourra toujours trouver un prétexte pour
justifier
qu'il n'y a pas de bénéfices.
Non, monsieur Lefaucheux, les ouvriers ne croient
pas au père
Noël,
ce ne sont pas des promesses qu'il leur faut.
12
MAI 1947 : LE SECTEUR COLLAS PROLONGE LA GREVE
GENERALE CHEZ RENAULT (*)
Le lundi
12 mai, les ouvriers des départements 6 et 18
montrèrent qu'ils n'avaient pas dit leur dernier mot. A une
très forte majorité, ils décident, même
seuls, de continuer la lutte.
Bien entendu, il ne peut plus être question
d'obtenir "les 10
francs"
; mais ils réclament le paiement des heures de grève,
leur
deuxième revendication, que la C.G.T. avait complètement
passé
sous silence. "Sans paiement des heures de grève, explique le
tract
du comité de grève, le 13 mai, le droit légalement
reconnu
à la grève ne sera que le droit de se laisser mourir de
faim".
En présence d'une volonté de lutte
aussi ferme, M.
Lefaucheux se décide à recevoir les dirigeants du
comité de grève et de faire appel à leur
"civisme". (Plus tard, il niera le fait, car
il avait pris la précaution de les faire accompagner par les
délégués
cégétistes encore en fonction, bien qu'ils ne
représentent
plus personne). Il n'avait jusqu'alors essayé que des contacts
"clandestins",
dans le but de les corrompre.
L'entrevue reste infructueuse et finit sur ce court
dialogue :
M. LEFAUCHEUX. - Ce
serait "couler" la Régie que de payer les
heures
de grève !
P. BOIS. - Vous
préférez "couler" les ouvriers qui
n'arrivent pas à se nourrir ! Vous avez cependant pu payer les
30 p.cent d'augmentation au trust de la sidérurgie ?
M. LEFAUCHEUX. - C'était
une hausse autorisée par le
gouvernement.
Ils ont présenté la note, il fallait bien payer !
P. BOIS. -
Maintenant, ce sont les ouvriers qui présentent la
note
et il faudra également payer ! Vous trouverez bien
l'autorisation du
gouvernement !
Effectivement, il ne restait rien d'autre à
faire à M.
Lefaucheux
que "d'obtenir" le consentement de M. le ministre du Travail, le
"socialiste"
Daniel Mayer. Celui-ci, qui pendant la grève
générale avait refusé de reconnaître le
comité de grève, expression de la volonté de la
majorité des ouvriers de l'usine, se lamente maintenant
publiquement sur l'"inconséquence" démocratique que
commet le comité de grève en continuant la lutte
après le vote du 9 mai ! Il avait compté sur la section
cégétiste pour étouffer complètement le
mouvement, mais les dirigeants cégétistes, impuissants,
font eux-mêmes appel au gouvernement et sa police contre les "250
(sic !) énervés" du secteur Collas
!
Car la majorité des ouvriers de chez Renault
n'avait voté
qu'à
contre-coeur la reprise du travail. Ils se rendent compte que cette
décision,
due à la trahison des dirigeants cégétistes et du
P.C.F.
réduit à néant leur lutte de deux semaines et ils
sont
indécis. Partout, dans tous les départements, dans tous
les
ateliers, tantôt une minorité, tantôt une
majorité,
continue à ne pas travailler. D'autant plus que la continuation
de
la grève au secteur Collas paralyse, par manque de
pièces,
le travail de toute l'usine. Et, n'étant pas en grève
officiellement,
ces travailleurs ne perdront pas leur salaire. Toute leur sympathie va
donc
au secteur Collas, dont la réussite serait une victoire pour
tous.
Le jeudi 15, au soir, MM. Mayer et Lefaucheux
capitulent devant les
"énervés".
Tous les travailleurs de la Régie recevront 1.600 francs
"d'indemnité
de reprise du travail". Mais personne n'est dupe de la formule de M. le
ministre.
Bien que la somme ne représente que le paiement d'une semaine de
grève,
l'essentiel est acquis : la reconnaissance officielle que le paiement
des
heures de grève est un droit pour les ouvriers. Et toutes les
grèves
ultérieures surgies de la base poseront invariablement cette
revendication.
Le Monde (16 mai), organe officieux des 200 familles, reconnaît
la
défaite de la direction et de la C.G.T. "Les accords intervenus
(mettant
fin à la grève) se payent de concessions assez lourdes".
Sur cette base, le vendredi 16 mai, après
trois semaines de
grève
jour pour jour, les travailleurs du secteur Collas décident
à
leur tour de reprendre le travail.
Ainsi prend fin la grève des 30.000 ouvriers
des usines Renault.
Mais,
tel Samson ébranlant les colonnes du temple, elle avait
déjà complètement bouleversé la situation
politique et sociale de
la France (**).
A. MATHIEU.
(*) Lire le début de
cet article dans les numéros 43, 44 et 45.
(**) Dans le prochain numéro, nous essayerons de tirer les
conclusions générales du mouvement gréviste de
l'année 1947.
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