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Prolétaires de tous les pays, unissez-vous
La Lutte de Classes
Organe de l'Union Communiste (IVe Internationale)
 
N°58
  QUATRIEME ANNEE
 14 FEVRIER 1946 
 


CROIZAT le calomniateur
"Si le gouvernement d'unité nationale avait été à majorité socialiste-communiste, il ne fait aucun doute que les légitimes revendications des fonctionnaires et des travailleurs des Services publics auraient reçu rapidement satisfaction", c'est ce qu'écrivait L'Humanité le 6 décembre au moment de la grève des fonctionnaires.

    Après le mouvement gréviste des ouvriers de la Presse , tous les travailleurs savent aujourd'hui à quoi s'en tenir quant à ces promesses.

    Devant l'amenuisement constant de leur pouvoir d'achat, que demandaient les ouvriers grévistes ?
Avant tout : L'ECHELLE MOBILE DES SALAIRES, mesure vitale pour L'ENSEMBLE de la classe ouvrière.

    Comment leur a répondu le ministre du Travail Croizat, mandaté à ce poste par le P.C.F. ? Par la CALOMNIE : selon lui, les ouvriers de la Presse qui, dit-il, n'ont pas fait la grève sous l'occupation, qui ont "collaboré" en la personne de certains dirigeants, font grève aujourd'hui pour mettre en péril la "démocratie", et la presse de la "Résistance" (Croizat pleure ici L'Aube, Le Figaro, L'Epoque, Combat, etc.) !

    Les ouvriers ont cherché à se défendre contre ces infâmes arguments destinés à discréditer leur mouvement mené dans l'intérêt de tous les travailleurs. A Lille, les ouvriers du quotidien du P.C.F. ont refusé d'insérer les calomnies de Croizat et à Paris les ouvriers imprimeurs de L'Humanité les ont censurées.

    D'un ton hautain et dédaigneux, Hervé répond le lendemain : "Nous nous permettons de poser quelques questions : les rotativistes ont-ils sous l'occupation exercé une censure sur la presse nazie ?... Plus près de nous, ont-ils jamais émis la moindre prétention de supprimer les calomnies anti-ouvrières des journaux des trusts ?" Par ces "quelques questions", Hervé cherche à renforcer les calomnies de Croizat, suivant lesquelles les ouvriers de la Presse ne seraient que les complices de la réaction !

    Cependant, dans le cas présent, les ouvriers de la Presse n'ont fait que riposter par le seul moyen en leur pouvoir contre une calomnie précise lancée contre eux par L'Humanité. En ce qui concerne les grèves sous l'occupation, les ouvriers de la Presse répondent qu'ils ont exercé leur métier "tout comme les métallos ont été forcés de fabriquer des tanks et des canons pour les Allemands". Quant à la censure des journaux de droite d'aujourd'hui, nous posons aussi "quelques questions" aux calomniateurs :
Vous êtes au gouvernement depuis des mois ; où en est l'épuration des réactionnaires qui sont maîtres de l'Etat ?

    N'êtes vous pas plutôt vous-mêmes les collaborateurs et les complices de la réaction -du M.R.P.- dans le gouvernement ?

    Vous qui disposez de moyens immenses et prétendez gouverner, vous demandez aux ouvriers pourquoi ils ne censurent pas la presse pourrie (après que Croizat lui-même ait reproché aux ouvriers d'empêcher par la grève sa parution). Nous vous demandons : avez-vous lancé un appel aux ouvriers en ce sens ? Ne prêchez-vous pas, tout au contraire, l'ordre, la soumission à "une seule police" ?

    Vous qui prétendez être des vrais anti-fascistes, de ne pas avoir peur du peuple, lancez donc des appels précis de lutte et d'action aux ouvriers, qui ne demandent qu'à agir contre les capitalistes et la réaction militariste et fasciste, et ils vous suivront.

    Mais ce que vous-mêmes dénoncez de temps en temps pour la forme -la réaction, la presse de droite, etc.- vous avez justement peur que les ouvriers ne s'y attaquent pour de bon. Et c'est justement pour cela, quand les ouvriers, par-dessus votre tête, montrent leur volonté d'agir, que vous vous montrez tels que vous êtes véritablement : des calomniateurs et des briseurs de grève.

    Quand les Croizat et Cie traitaient les trotskystes de "fascistes", les travailleurs étaient bien obligés de les croire, tant que l'expérience n'avait pas démontré que Croizat et Cie étaient des calomniateurs. Aujourd'hui, après l'attitude des prétendus chefs ouvriers vis-à-vis des mouvements de protestation contre la carte de pain et leur attitude vis-à-vis des grévistes de la Presse, l'expérience a démontré qu'ils n'hésitent pas, dans leur seul intérêt, à calomnier TOUS LES OUVRIERS QUI NE MARCHENT PAS AU PAS.

    Les ouvriers comprendront maintenant pourquoi, craignant le contrôle et la critique ouvrière, ces dirigeants pourris, pour couvrir leurs calomnies, n'hésitent pas à utiliser contre les ouvriers révolutionnaires et leur presse des méthodes de gangsters ; pourquoi ils ont incité à Boulogne des ouvriers inconscients à s'attaquer à dix contre UNE camarade vendeuse d'un journal d'opposition syndicale ; pourquoi ils ont excité des ouvriers inconscients du P.C.F. à s'opposer, devant la "Précision Mécanique", par des coups de poing à la distribution d'un tract de notre organisation, où nous dénoncions les manoeuvres réactionnaires de De Gaulle, parti pour essayer de revenir à la tête des cagoulards et des fascistes. VOILA CONTRE QUOI ILS CRIAIENT AU "FASCISME" ! (Ont-ils oublié la fable du berger criant mensongèrement au loup et que personne n'aida quand le loup vint pour de bon ?)

    Cependant, malgré ces infamies des chefs staliniens, les ouvriers ne se trompent pas sur leur véritable ennemi N° 1 : la bourgeoisie et son Etat, les cercles réactionnaires, les bandes mercenaires à la tête desquelles De Gaulle se prépare à revenir. Malgré l'attitude criminelle et les calomnies des traîtres à la classe ouvrière, nous disons aux travailleurs : SOYONS PRETS ET FORGEONS L'UNITE DE COMBAT DE LA CLASSE OUVRIERE ENTIERE CONTRE LA BOURGEOISIE ET LA REACTION ; mais par votre attitude et VOTRE INTERVENTION ENERGIQUE, opposez-vous à ceux qui violent la démocratie ouvrière. NE LAISSEZ PAS LES JAUNES DIVISER LA CLASSE OUVRIERE par la calomnie et les méthodes dignes des fascistes. NETTOYONS D'ABORD NOTRE PROPRE MAISON !
Tout ouvrier honnête comprendra maintenant que notre lutte intransigeante contre le stalinisme, sa politique et ses méthodes, n'est pas une lutte anti-communiste, comme les calomniateurs du P.C.F. veulent le faire croire pour mieux cacher leur propre trahison, mais une lutte POUR LE COMMUNISME !
Car si la classe ouvrière veut être forte contre les capitalistes et allier à sa lutte émancipatrice tous les opprimés, ELLE DOIT SOUMETTRE AU FEU DE LA CRITIQUE ses propres dirigeants qui, consciemment ou non, se font les agents de la bourgeoisie et de son Etat !

LA LUTTE DE CLASSES.

 
 OU VA LA FRANCE ?
QUE SIGNIFIE LE DEPART DE DE GAULLE ?
    De Gaulle a justifié son départ de la manière suivante : "Je ne suis pas un homme de parti et je ne veux pas en devenir un... et si je faisais appel au pays contre les partis dominant la Chambre -confiait-il à divers journaux- je serais accusé de me faire plébisciter dans un but dictatorial"...

    Il y a quelques mois à peine, en vue des élections du 21 octobre, De Gaulle n'avait nullement ces scrupules concernant le plébiscite. Le plébiscite devait au contraire lui assurer une majorité de "oui-oui" qu'il disait "désirer de toute son âme" et qui, en rendant l'Exécutif indépendant du Parlement et en assurant la "stabilité du pouvoir", aurait "sauvé le pays".

    Et c'est malgré les pouvoirs obtenus par le plébiscite et par les votes quasi-unanimes du "Parlement", que De Gaulle s'est montré impuissant à "sauver le pays" et s'est retiré laissant ses successeurs se débattre dans une situation catastrophique.

    La preuve est donc faite que la crise mortelle du capitalisme français ne peut être maîtrisée par "l'unanimité nationale" de tous les Partis autour d'un "arbitre" au-dessus d'eux.

    Appuyé sur l'Etat et soutenu par le P.C.F. et le P.S. qu'effraye l'activité indépendante des masses, De Gaulle espérait paralyser la classe ouvrière et mater "l'anarchie". Dans ce cas, le "oui-oui" devait être la consécration juridique de son pouvoir personnel. Mais "la lutte de classes grandissante a emporté, avec son pouvoir personnel d'arbitre, les chiffons de papier des oui-oui". (Lutte de Classes, n°53)

    On voit ainsi que ceux qui prétendaient se battre pour gagner une majorité de "oui-non", n'auraient fait que fournir, en cas de victoire, un prétexte de plus à la démagogie de De Gaulle qui aurait prétendu que les pouvoirs obtenus n'étaient pas suffisants pour l'accomplissement de sa tâche. On voit aujourd'hui que ceux qui prétendaient lutter contre De Gaulle par le "oui-non" ne faisaient que "brosser l'ombre d'un carrosse avec l'ombre d'une brosse".

    Maintenant qu'il n'est plus au gouvernement, De Gaulle veut utiliser la situation catastrophique, résultat de sa propre politique, dans le but de discréditer le régime des Partis, en faveur d'un "homme à poigne" s'imposant à tous par la force, et par cela même seul capable de restaurer définitivement "l'ordre".

    En réalité, ce "pouvoir fort" ne pourra pas donner plus de pain aux masses ; mais la bourgeoisie en a besoin pour étouffer les protestations que le régime des Partis rivaux n'est pas en mesure d'empêcher.

    C'est pourquoi la formule qu'il ne veut pas devenir un homme des Partis parlementaires, n'est qu'un prétexte que De Gaulle s'est ménagé pour pouvoir se mettre à la tête du parti anti-parlementaire. Déjà autour de lui se rassemblent pétainistes, cagoulards et 6-févriéristes, qui l'appelleront à la suite d'une "journée réussie", comme ils ont essayé de le faire avec Doumergue après le 6 février 1934.

    C'est ce développement inévitable de la situation que nous avons indiqué dès septembre 1944 (Lutte de Classes, n°36) :

    "De Gaulle est en présence de la même tâche que Pétain : instaurer "l'ordre" dans une situation commandée par la guerre et l'épuisement économique, physique et moral de la nation. Ce qui signifie rejeter toutes les difficultés de cette situation sur les masses travailleuses et pauvres...

    Contrairement à Pétain, De Gaulle a incontestablement les masses populaires derrière lui. Mais de quoi est faite cette confiance ? Les petits-bourgeois lui font confiance en tant que représentant de leurs aspirations patriotico-chauvines, capable en même temps de s'opposer aux exigences de la classe ouvrière et de mater le communisme. La classe ouvrière, elle, fait confiance au P.C., au P.S. et à la C.G.T. et compte sur eux pour arracher à De Gaulle des réformes substantielles en faveur de la démocratie et des travailleurs !

    Cette "confiance" générale cache en réalité un conflit inévitable. En l'absence d'une amélioration économique et diplomatique considérable et immédiate -ce qui est chose exclue-, que se passera-t-il ? Les travailleurs patienteront sous la pression des organisations social-patriotes, mais ne pourront pas cesser d'exiger des améliorations constantes, ce qui poussera de plus en plus loin dans la voie de la lutte anti-capitaliste et pour leur propre pouvoir. De leur côté, les petits-bourgeois, que les capitalistes trompent en attribuant leur misère aux revendications ouvrières, s'exaspéreront. Ne sachant plus à quel saint se vouer, ils seront de plus en plus travaillés par les cadres fascistes, constituant non plus comme avant la guerre des groupes isolés, mais dès aujourd'hui, à l'échelle nationale, la base d'un parti fasciste puissant à qui ne manque plus que la sympathie des masses. Ainsi la situation ne peut se développer que vers des solutions extrêmes : ou la dictature du prolétariat et l'expropriation de la bourgeoisie (solution progressive de la crise) -ou l'écrasement du prolétariat par le fascisme, rejet de toute la société vers la barbarie pour le maintien du capitalisme.

    De Gaulle ne représente qu'un régime de transition de plus ou moins longue durée, un essai de dictature bonapartiste voulant maintenir l'équilibre entre les classes. Mais de même qu'en Allemagne, en Espagne, etc., seul le heurt décisif entre le prolétariat et les organisations fascistes et bureaucratico-militaires de la bourgeoisie décidera de l'issue de la situation."

    Voilà pourquoi De Gaulle quitte aujourd'hui son rôle de Hindenburg  français : POUR ESSAYER DE JOUER CELUI DE FRANCO , EN TANT QUE PORTE-DRAPEAU D'UN COUP DE FORCE MILITAIRE-FASCISTE ANTI-OUVRIER.


LE GOUVERNEMENT GOUIN  ET LE FASCISME
    Le départ de De Gaulle et la fin de "l'unanimité nationale" ont mis à l'ordre du jour le heurt inévitable entre les organisations de la réaction et la classe ouvrière organisée. Après avoir présenté ce départ comme une victoire, la presse "communiste" et "socialiste" parle à présent de danger fasciste, de 6 février, et même de plans précis et de délais fixés par la réaction.

    Le gouvernement d'unanimité nationale représentait un effort en vue d'ajourner la crise. ("C'est pour retarder à tout prix le conflit entre les deux camps que les bureaucrates ouvriers se réfugient derrière l'arbitrage de De Gaulle", écrivait La Lutte de Classes le 14 novembre). Faisant place à un gouvernement de coalition à caractère "parlementaire", le départ de De Gaulle et sa proclamation contre les Partis, apportent au camp réactionnaire-fasciste l'appui direct et ouvert des cercles militaires et de la haute bourgeoisie.

    Cette situation nouvelle met au premier plan de la politique révolutionnaire la divulgation de ce regroupement qui situe le PRINCIPAL DANGER anti-ouvrier HORS DU GOUVERNEMENT.

    "Nous avons effectué le retour au parlementarisme et à la "démocratie", se sont écriés, "soulagés", les chefs faillis des Partis ouvriers au gouvernement. Cependant, malgré leurs proclamations du premier jour contre les pouvoirs spéciaux, ils y ont eu recours pour les mesures financières. En même temps, chacun des trois partis coalisés explique que les mesures indispensables ne sont pas prises, parce que les deux autres le paralysent.

    Mais cette situation des partis au gouvernement frappe à mort l'idée même des partis et du parlement. Au milieu de la crise mortelle où se débat l'économie française, elle inculque aux masses l'idée que rien ne sera fait tant qu'il n'y aura pas une force unique pour mener une politique cohérente. Le spectacle d'impuissance et de demi-mesures (exemple des crédits militaires) crée la situation la plus favorable pour un coup d'Etat militariste, en l'absence d'une politique révolutionnaire au sein du prolétariat, capable de le soulever.

    Le départ de De Gaulle rejette toute la responsabilité du développement de la situation sur le gouvernement, couvert par les noms du P.C.F. et du P.S., et soutenu par la C.G.T. Or, un pouvoir bourgeois, répressif contre les masses, camouflé en "démocratie ouvrière", fournit au fascisme la source principale d'agitation.

    "Si lors de ce conflit (de classe), auquel la bourgeoisie se prépare, les Partis qui se réclament de la classe ouvrière se trouvent dans le gouvernement bourgeois, affameur et répressif, ils ne feraient que faciliter la montée du fascisme et la catastrophe pour la classe ouvrière". (Lutte de Classes, n°54).

    Cet avertissement d'hier dévoile LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE AUJOURD'HUI.


LA GREVE GENERALE ET LE FASCISME

    La politique des social-patriotes consiste à vouloir démontrer à la bourgeoisie leur capacité de gouverner, de maintenir "l'ordre", de "stabiliser" la situation. C'est en raison de cette politique que les social-patriotes au gouvernement se montrent impuissants vis-à-vis de la bourgeoisie et se retournent avec toute leur vigueur contre la classe ouvrière, en accusant les mouvements revendicatifs et grévistes de "faire le jeu de la réaction".

    Mais en quoi les grèves peuvent-elles faire le jeu de la réaction ?
Ce sont les social-patriotes qui, en s'efforçant d'endiguer les grèves qui surgissent inévitablement de la situation économique, les condamnent à la dispersion et à l'isolement et les font ainsi apparaître comme des mouvements particuliers à telle ou telle catégorie professionnelle, comme jetant le trouble dans la vie économique en n'apportant aucune issue, comme fauteurs d'"anarchie".

    Les social-patriotes apportent ainsi eux-mêmes de l'eau au moulin du fascisme en présentant les mouvements ouvriers contre l'anarchie capitaliste, comme la cause de cette anarchie capitaliste.

    Dans ces conditions, il ne suffit pas d'alerter les travailleurs contre la réaction et un nouveau 6 février, il faut avant tout trouver le moyen d'empêcher les social-patriotes d'étrangler le mouvement ouvrier, seule véritable force contre le fascisme.

    Si les social-patriotes font le jeu de la réaction et du fascisme par leurs tentatives impuissantes d'endiguer les grèves, la grève générale serait au contraire, en même temps qu'un coup mortel porté au fascisme, le moyen de briser leur politique de collaboration de classe. Elle les obligerait, tout au moins temporairement, à se mettre du côté de la classe ouvrière. Certes ils ne le feraient que pour ne pas se couper des masses et pour endiguer leur mouvement, comme en 1936 (Thorez : "Il faut savoir finir une grève"). Mais dans ce nouveau combat la classe ouvrière entrera avec une autre expérience que celle de 1936 et le renforcement des tendances révolutionnaires empêchera les dirigeants traîtres d'arriver à leur fin.

    La grève générale seule peut exprimer les objectifs communs à toute la population et montrer ainsi une issue à la situation. En tant que champion des revendications essentielles communes à toute la population laborieuse, la classe ouvrière rassemblerait autour d'elle toutes les couches non-prolétariennes et couperait ainsi l'herbe sous le pied du fascisme.

    Ce n'est donc pas en faisant défiler les ouvriers, un dimanche, de la Nation à la République, sous le mot d'ordre produire;, que les chefs social-patriotes feront reculer la réaction et le fascisme.

    La tâche principale de l'avant-garde révolutionnaire dans chaque mouvement gréviste de quelque importance (comme dans le cas des fonctionnaires, des imprimeurs, etc.) est avant tout de s'efforcer d'élargir le mouvement pour lui donner l'appui de toute la classe ouvrière, de le transformer en grève générale.

    Dans leur propagande et leur agitation, les révolutionnaires doivent faire comprendre aux ouvriers qu'il n'y a aucune autre issue que de se préparer à livrer le combat décisif.

 


NOUVEAU LANGAGE ANCIEN REGIME

    De Gaulle et ses "techniciens" partis, le nouveau gouvernement, quoique formé par les trois principaux partis qui avaient soutenu De Gaulle dans tous ses actes, s'est mis à tenir un langage tout à fait nouveau et à remettre en question, tout au moins en paroles, sa politique de la veille.
    Pourquoi ce soudain revirement ? A peine deux mois auparavant, les ministres M.R.P., "socialistes" et "communistes", avaient unanimement voté le budget De Gaulle-Pleven et les crédits militaires ; il y a à peine deux mois Tillon déclarait qu'il "défendait le budget parce que le général De Gaulle  lui en avait donné la mission et qu'il n'était pas le ministre du désarmement" ; aujourd'hui l'on déclare que la France n'est pas en mesure d'entretenir une armée et de s'épuiser dans une production d'armements, et qu'il faut "porter la hache" dans les dépenses de l'Etat. Hier De Gaulle "jouait gagnant" et ses collègues au gouvernement, loin de le démentir, proclamaient leur "confiance" (Duclos, le 2-1) et invitaient les ouvriers à "produire". Aujourd'hui l'on dévoile que la situation est catastrophique et l'on prétend "dire la vérité" (ce qui est avouer que l'on mentait la veille). La situation les oblige à reconnaître aujourd'hui des vérités que nous, trotskystes, n'avons cessé d'énoncer depuis un an, à savoir : la politique bourgeoise aventuriste et dirigée contre les masses ("la misère derrière un plastron impérialiste" L. de Cl. du 20-3-45), la nécessité pour la France appauvrie par six années de guerre de renverser la vapeur, sous peine de catastrophe. Pourquoi ce soudain revirement, demandons-nous ?
    Parce que De Gaulle, porte-parole des 200 familles, représentant des cercles militaristes et réactionnaires, protégeant et grâciant les fascistes et les pétainistes, n'a pas voulu se contenter, dans sa politique d'écrasement du peuple, de l'appui que lui ont accordé les Partis parlementaires. Après avoir jeté le discrédit sur ces Partis et les avoir embourbés dans une politique de catastrophe, il veut en finir une fois pour toutes avec le régime des Syndicats, des Partis, des manifestations populaires, il veut un "pouvoir fort", un régime pétainiste déclaré. Déjà les 6-févriéristes s'agglutinent autour de lui, et malgré un langage qui veut être rassurant, L'Humanité écrit (le 21-1) au sujet du départ de De Gaulle : "ce qui nous inquiète... c'est une obscurité persistante, en laquelle nous devinons des luttes de clans, des intrigues, les volontés des hommes des trusts de saper nos institutions démocratiques..." Le Monde, journal des 200 familles, "garde l'espoir que le général De Gaulle n'estimera pas sa tâche terminée".
    C'est cette menace fasciste qui oblige ces messieurs du P.C.F. et du P.S., après avoir endossé la responsabilité de la politique archi-réactionnaire de De Gaulle pendant un an et demi, à changer de langage ; il a fallu qu'un danger menace leurs propres positions pour qu'ils se mettent à reconnaître des vérités que depuis un an et demi il était facile de voir, et que nous n'avons cessé de défendre devant les travailleurs.
    Mais leur nouveau langage correspond-il réellement à une nouvelle orientation pratique ?
    Le gouvernement a envisagé la suppression de la politique néfaste de subventions aux capitalistes ; mais quelle pression obligera ceux-ci à ne pas provoquer en contre-partie une nouvelle montée des prix ? Serait-ce les agents de l'Etat pour lesquels l'expérience a déjà suffisamment montré non seulement leur impuissance, mais leur complicité ? "La réduction des subventions va, de toutes façons, accroître le coût de la production et, par là-même, le niveau des prix", écrit déjà Le Monde.
    Le gouvernement a proclamé la nécessité de réduire massivement les dépenses militaires : immédiatement les "milieux militaires" se sont dressés sur leurs jambes et ont fait valoir que "90 milliards sont nécessaires rien qu'aux dépenses du personnel civil des armées et de l'armement, de la gendarmerie, des effectifs des colonies et d'Extrême-Orient. Sans compter donc les dépenses pour l'armée continentale (France, Allemagne, Autriche), la marine, l'aviation, les armements". Or, le gouvernement ne conteste la nécessité d'aucune de ces dépenses, ni de la poursuite de l'aventure en Indochine. La pression des cliques militaires est forte au point que, malgré le langage nouveau que tient le P.C.F., Tillon, voulant ménager la chèvre et le chou tout en reconnaissant la nécessité de fabriquer "aussi" des casseroles ou des tracteurs, déclare son impossibilité de renoncer ou de réduire la fabrication des canons.
    Toutes les proclamations verbales sont réduites à néant, dès que, dans ses négociations, le gouvernement est mis en présence des sphères dirigeantes de la haute bourgeoisie (dans l'économie, l'armée ou l'administration).
    Tout le programme REEL du gouvernement n'est-il pas dans ce contraste entre sa faiblesse vis-à-vis des capitalistes, des cercles bureaucratiques et réactionnaires de l'Etat d'un côté, et sa "fermeté" dans le cas de la grève des rotativistes qui luttaient pour l'échelle mobile des salaires (que le nouveau gouvernement, comme l'ancien, maintient bloqués à leur niveau de misère) ? Malgré l'arbitrage de Saillant lui-même (que les calomniateurs n'oseront pourtant pas accuser d'"agent de la réaction" comme ils l'ont fait pour les grévistes), le gouvernement proclame avec une extrême fermeté et dureté qu'il refuse toute concession (sans rapport avec le taux même des salaires).
    La situation catastrophique réclame un gouvernement ferme, fort ? Oui !
    De Gaulle veut un pouvoir fort au service de la bourgeoisie, pour rejeter tout le fardeau de la crise sur le dos du prolétariat en empêchant ses moindres revendications et protestations.
    La classe ouvrière, elle, doit construire un pouvoir fort contre la minorité exploiteuse, pour mettre fin à la crise.
Il faut un gouvernement fort pour faire enfin payer les riches, pour confisquer les CENTAINES DE MILLIARDS de bénéfices et superbénéfices de guerre réalisés depuis 1938, de profits et surprofits des trafiquants et spéculateurs ; pour éliminer les parasites et les "intermédiaires", pour procéder à l'organisation rationnelle de l'économie par l'expropriation SIMULTANEE et SANS INDEMNITE de toutes les grosses banques et industries-clé avec le concours et sous le contrôle des ouvriers et employés. Il faut un gouvernement fort pour mettre à la raison les généraux et les cagoulards, les 6-févriéristes (regroupés dans le "Parti Républicain de la liberté") et toute la racaille réactionnaire, rétrograde et anti-ouvrière.
    Le 12 février 1934, les Partis ouvriers et la C.G.T. ont lancé l'appel de lutte contre le fascisme dans le front unique de la classe ouvrière ; mais c'est seulement parce que, par leur attitude et leur activité spontanée d'en bas, les travailleurs les avaient déjà obligés à le faire. Se rappelant cet exemple, les travailleurs se doivent, encore une fois, de prendre l'initiative. La pratique montre que les Partis, se réclamant de la classe ouvrière, collaborant aujourd'hui au gouvernement bourgeois, ne peuvent se décider d'eux-mêmes à faire appel à l'énergie des travailleurs. Dans les paroles, ils essayent d'"effrayer" la bourgeoisie et donnent prétexte à ses agissements ; dans les actes, ils sévissent contre les travailleurs, faisant ainsi le lit du fascisme. Pour faire appel à l'action ouvrière, ils n'attendront pas moins que le moment de danger mortel où la réaction, prenant l'initiative, frappera d'abord.
    Il faut donc, DES MAINTENANT, obliger les Partis ouvriers à s'appuyer directement sur l'activité de la classe ouvrière organisée, à rompre avec les Partis de la bourgeoisie et à entamer la lutte pour un gouvernement démocratique fort contre les capitalistes et la réaction.
    Un gouvernement fort s'appuyant sur les milices ouvrières, armées d'usine et de quartier, pour être capable de battre les fascistes et les cliques paramilitaires : car l'appareil étatique actuel, sa police, sa justice, est lui-même complice de la réaction et du fascisme.
    Un gouvernement fort, capable d'endiguer la débâcle économique et d'assurer le relèvement à travers le contrôle exercé par les Comités ouvriers d'entreprise.
      Un Etat bon marché, parce qu'appuyé sur le peuple et non pas sur la police et les cagoulards contre le peuple.
    Un pouvoir appuyé sur l'activité et le contrôle direct des millions de travailleurs organisés dans leurs Partis, leurs Syndicats, leurs Associations, leurs Comités, serait le seul pouvoir à la fois centralisé et pleinement démocratique.
    Travailleurs, forcez les Partis parlant en votre nom à rompre avec la bourgeoisie et à ouvrir une véritable lutte pour ce pouvoir, pour la constitution d'un gouvernement appuyé sur les organisations et les milices ouvrières.     MOBILISEZ-VOUS POUR LA CONSTITUTION DU GOUVERNEMENT OUVRIER ET PAYSAN !

LA REVOLUTION RUSSE NOTRE GUIDE
par J.-P. CANNON
      Ci-dessous texte de l'allocution prononcée par James P. Cannon, Secrétaire national du Socialist Workers Party, à l'occasion du 28° anniversaire de la Révolution bolchevique russe, devant 300 ouvriers au meeting de la section de New-York du S.W.P., tenu à l'hôtel Diplomat, le dimanche 4 novembre 1945.
     La transformation du Socialisme de conception utopique en doctrine scientifique fut accomplie par la publication du Manifeste Communiste en 1848 ﷓﷓il y a 97 ans. La transformation du Socialisme de science en action fut accomplie 69 ans plus tard par la Révolution bolchevique russe du 7 novembre 1917.
     Envers la fusion de ces deux grands événements historiques : l'établissement des principes du Socialisme scientifique et leur vérification dans l'action en 1917, l'union de la théorie et de la pratique, notre position est aujourd'hui la même que dans le passé, et, une fois encore, nous nous réunissons pour célébrer l'anniversaire de la grande Révolution.
     Le Socialisme ne peut pas être instauré dans un seul pays. Son instauration exige une action et une coopération internationales. Une révolution ouvrière débutant sur le terrain national, ne peut être achevée sans être étendue aux autres pays. La révolution russe fut le commencement de la révolution internationale. C'est seulement en la considérant sous cet angle, qu'on peut la juger correctement. Chaque année, depuis 28 ans, nous avons eu à répondre à des gens impatients et désillusionnés qui demandaient davantage de la Révolution russe qu'elle ne pouvait donner, et lui retiraient leur approbation, qui annonçaient prématurément la fin et la mort de la révolution, qui voulaient clore cette histoire et s'en débarrasser comme on se débarrasse d'une dette criarde. Mais les bolcheviks russes ne nous promirent pas de tenir mille ans. Ils dirent seulement : "Nous commencerons la révolution internationale en Russie, mais vous, les travailleurs d'Europe et d'Amérique, devrez la finir."
     La révolution russe ne fut nationale que dans la forme, dans son essence, elle fut le commencement d'une action internationale. A son sujet, c'est avant tout ce que nous devons comprendre.
Les chefs de la Grande Révolution russe furent internationalistes jusqu'au bout, incapables de penser en termes nationaux étroits. La théorie directrice de la révolution russe ne vient pas de Russie mais d'un juif allemand, Karl Marx, qui, exilé, vécut en Angleterre. La victoire de la révolution fut rendue possible par les contradictions internationales du capitalisme pendant la première guerre mondiale. Elle survécut pendant la période d'après-guerre grâce à la solidarité et au soutien internationaux des travailleurs des pays capitalistes, surtout ceux d'Europe. Les travailleurs d'Europe ne furent pas assez forts pour faire leur propre révolution dans les années d'après-guerre, mais ils furent assez forts pour empêcher une intervention militaire de leurs propres gouvernements, sur une grande échelle, contre la Russie.   
    Lénine et Trotsky lièrent directement le destin de leur révolution à la révolution en Allemagne. Ils dirent : "Nous vivrons dans une forteresse assiégée jusqu'à ce que la révolution européenne vienne à notre aide." Aucun des chefs de la révolution russe ne crut qu'elle pourrait durer très longtemps si elle demeurait seule et isolée dans un monde capitaliste.
     La force de la révolution
     Mais les bolcheviks russes construisirent mieux qu'ils ne le pensaient. La révolution s'avéra plus forte qu'eux-mêmes, ou n'importe qui d'autre, rêvaient qu'elle put être. La révolution russe n'a pas pu aller jusqu'au bout à l'intérieur des frontières nationales d'un seul pays, mais en dépit de cela, en dépit du retard prolongé de la révolution européenne, vers laquelle ils avaient regardé avec tant d'espoir, la révolution en Russie ne mourut pas. Elle survécut et enfonça de profondes racines dans le sol. Les bases de la propriété instaurées par la révolution ﷓﷓la nationalisation de l'industrie et l'économie planifiée﷓﷓ s'avérèrent beaucoup plus fortes que toutes les prévisions, même les plus optimistes.
     Mais la révolution isolée, encerclée par un monde capitaliste hostile, ne put échapper aux ravages d'une terrible réaction qui s'établit sur le sol russe. Cette réaction conduisit à l'abandon de la perspective internationale et à une dégénérescence nationaliste sur toute la ligne. Le régime de la démocratie ouvrière, basé sur les Soviets, fut remplacé par une brutale tyrannie totalitaire. La révolution fut décapitée et une génération entière de bolcheviks fut massacrée. Le pouvoir politique des travailleurs fut renversé, mais les conquêtes économiques de la révolution déployèrent une grande vitalité. Grâce à cela, la révolution survécut à vingt années de dégénérescence bureaucratique et de trahison, et révéla une puissance énorme sur le champ de bataille dans la guerre contre l'Allemagne nazie, ainsi que Trotsky l'avait prédit.
     Seul Trotsky analysa et expliqua ce phénomène, jusqu'alors inconnu et imprévu, unique dans l'histoire, d'un Etat ouvrier isolé eu au milieu d'un encerclement capitaliste, mutilé et trahi par une bureaucratie usurpatrice, mais survivant néanmoins, bien que sous une forme horriblement dégénérée.
     Trotsky ﷓﷓et nous avec lui﷓﷓ eut beaucoup plus confiance que les autres dans les forces de réserve que le système soviétique d'économie déploierait dans la guerre. Nous le sous-estimâmes pourtant beaucoup. Nous sous-estimâmes même les ressources formidables de forces qui résidaient dans l'oeuvre de base de la révolution des ouvriers de 1917 quand ils balayèrent la propriété privée capitaliste et réorganisèrent la production sur une base nationalisée et planifiée. L'effrayante dégénérescence bureaucratique se poursuivit à une allure accélérée pendant la guerre. Jusqu'où elle est allée et jusqu'où elle ira encore, avant que l'essor ne recommence, nous ne le savons pas. Mais nous sommes fermement convaincus que le destin de la révolution de 1917 n'est pas encore décidé. Il sera décidé dans la phase nouvelle de la guerre qu'ils appellent "la paix".
     Une leçon de l'histoire
     Les révolutions sociales dans l'histoire, qui représentèrent les plus grands, les plus gigantesques efforts et dépenses d'énergie créatrice des masses, concentrée sur un seul point, ont toujours été suivies d'une période de réaction. Nous avons vu cela pendant les vingt et quelques dernières années en Union Soviétique. Mais les réactions contre les grandes révolutions de base n'ont jamais balayé leurs effets de manière à en revenir au point de départ. Considérant ce fait historique fondamental, il faut être très prudent et très circonspect avant d'effacer n'importe quelle partie de l'oeuvre de la révolution russe, avant qu'il soit temps de le faire.
     La grande révolution française, révolution qui détruisit la féodalité et posa les bases d'une expansion et d'un développement formidables des forces productrices de l'humanité sur une base capitaliste, cette grande révolution eut son Thermidor : la dictature napoléonienne ; elle vit même la restauration de la dynastie des Bourbons. Mais la réaction ne fut jamais assez forte pour restaurer le système féodal de propriété qui avait été balayé par la révolution.
     La Guerre Civile américaine ﷓﷓véritable révolution﷓﷓ fut suivie d'une réaction qui restitua le pouvoir politique aux propriétaires d'esclaves du Sud, mais ne put pas revenir assez en arrière pour rétablir la propriété privée sur les esclaves.
Les changements révolutionnaires des formes de propriété, qui permirent à l'humanité d'augmenter sa puissance de production, ont été les bases fondamentales du progrès humain. Ils ont été l'oeuvre des grandes révolutions. L'abolition de la propriété privée capitaliste des moyens de production, et la nationalisation de l'industrie, l'économie planifiée rendues possibles par cette abolition de la propriété privée, voilà la grande conquête de la révolution russe qui n'a pas encore été renversée. C'est ce que nous voyons encore en Russie. C'est ce que nous voyons à travers toutes les trahisons monstrueuses de la bureaucratie stalinienne. Et c'est ce que nous défendons. Non le stalinisme, non la bureaucratie traître et corrosive, mais les conquêtes économiques de la Grande Révolution qui subsistent encore. C'est ce que nous défendons contre les impérialistes et aussi contre la bureaucratie stalinienne.
     Le marxisme affirme que le système capitaliste de production est délabré et condamné. Le marxisme affirme que la révolution prolétarienne doit balayer et balaiera l'ordre capitaliste et réorganisera l'économie mondiale sur une base socialiste. C'est ce que Marx et Engels proclamèrent dans le Manifeste Communiste de 1848. Mais ni Marx, ni Engels, ni les disciples qui leur  succédèrent ne promirent jamais une voie libre et facile vers le socialisme, sans défaites, sans revers, et même sans catastrophes le long du chemin.
     Nous n'avons eu que défaites, revers et catastrophes pendant 22 ans. Notre mouvement a dû faire son chemin face à des défaites constantes depuis 1923, depuis la défaite de la révolution allemande. C'est pourquoi notre mouvement reste relativement petit en nombre et isolé. Mais l'important n'est pas que le mouvement marxiste, face aux défaites et aux catastrophes, ait été petit et isolé. L'important est que malgré tout nous ayons fait notre chemin et que nous combattions encore. Nous, Marxistes-Trotskystes, nous pouvons encore combattre et nous combattons encore, non parce que nous chérissons des illusions ; non parce que nous voulons nous tromper nous et les autres ; mais parce que nous voyons toute la réalité dans le monde et pas seulement une partie de la réalité. Nous reconnaissons les défaites mais nous ne reconnaissons pas la défaite totale de l'humanité. La guerre fut une terrible défaite pour le genre humain. Le fascisme fut une terrible défaite. La dégénérescence de l'Union soviétique sous les staliniens est une défaite. Que la première phase de la guerre n'ait pas provoqué de révolutions victorieuses en Europe, c'est en un sens une défaite. Ce sont des faits, des faits grands et importants, et nous les reconnaissons. Et nous voyons aussi ce côté du tableau. Nous voyons que le capitalisme, parvenu à cette période de décomposition et de mortelle agonie, est entièrement et complètement incapable d'organiser l'économie mondiale pour fournir, non l'abondance, mais même la subsistance à la masse du peuple.
     Nous voyons non seulement les faiblesses du côté des travailleurs, mais nous voyons aussi la débilité maladive de l'ordre capitaliste mondial. Nous ne fermons pas les yeux sur les défaites. Mais dans chaque cas le Trotskisme cherche à établir de façon précise, dans toute situation, ce qui a été perdu, ce qui a été sauvé. Le Trotskisme examine chaque défaite ou revers, et la situation nouvelle ainsi créée, afin de découvrir un point avantageux pour un nouveau développement de la lutte. Et seul le Trotskisme procède de cette façon. C'est pourquoi le Trotskisme est aujourd'hui le seul courant politique révolutionnaire dans le monde entier.
     Survivant aux défaites
     Il fallait victoire sur victoire au fascisme pour survivre. La grande force militaire tant vantée de Mussolini et d'Hitler ne pouvait pas tenir après quelques défaites militaires. La social-démocratie et le stalinisme sont tous les deux des courants capitulards qui ne survivent qu'à cause des défaites de la classe ouvrière. Ils ont renoncé à la confiance dans le prolétariat et se sont changés en valets de la classe ennemie. Mais les Trotskystes, les Marxistes modernes, ont vécu jusqu'à maintenant plus de 20 ans de défaites continuelles et ont continué à combattre. C'est la plus sure indication que le Trotskisme est la doctrine qui fleurira et se propagera lors des prochaines victoires ouvrières et qui leur prépare la voie.
Le Parti qui fit la révolution russe ne commença pas par la victoire. Les bolcheviks commencèrent en effet par la défaite de la révolution de 1905 et persévérèrent à travers les longues années de la réaction tsariste de 1906 à 1917. Ce fut précisément pendant cette période, quand tout le peuple découragé, quand tous les désillusionnés se mirent à l'abri, quand ils abandonnèrent tous la lutte, y renoncèrent comme étant sans espoir ﷓﷓ce fut précisément pendant cette période que le bolchevisme montra sa mesure. Dans les profondeurs d'une réaction et d'une défaite très sombres, les bolcheviks forgèrent le parti qui était destiné à diriger la révolution victorieuse en 1917.
     L'accusation a été portée contre nous ﷓﷓et non pour la première fois﷓﷓ que notre théorie est une religion avec laquelle nous nous consolons, que notre analyse de l'Union soviétique, de ce qui a été perdu, de ce qui a été sauvé et de ce qui vaut encore d'être défendu, est une religion. Ceux qui portèrent cette accusation dans le passé ﷓﷓et il y en a eu beaucoup﷓﷓ presque toujours finirent par placer leur propre foi dans l'impérialisme "démocratique". Nous n'avons en aucun cas, rien à faire avec cette sorte de religion.

Suite et fin au prochain numéro.