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chronologie 1946 |
N°76 Hebdomadaire (B.I.) |
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23 Novembre
1946
Le N°: 3 francs |
Tous les partis de droite, du Rassemblement des Gauches et du M.R.P. à l'Union Gaulliste, ont obtenu la majorité au nom de l'anticommunisme et dans le but d'éliminer du gouvernement le P.C.F. Mais au lieu de former un "GOUVERNEMENT DE SALUT PUBLIC", ils avouent maintenant que leur propre salut dépend d'une collaboration avec le P.C.F. "LA COLLABORATION DES COMMUNISTES SERAIT LA GARANTIE DU TRAVAIL DE LA CLASSE OUVRIERE QUI A DEJA DONNE DE SI MAGNIFIQUES EXEMPLES DE CIVISME", écrit La Dépêche de Paris (16-11) résumant leurs pensées communes. Pour donner le change, ils s'opposent "farouchement" à un Thorez président du Conseil. Mais tout change si ce même Thorez porte seulement le titre de vice-président. Ils sont prêts alors à être entièrement solidaires de lui dans les Conseils ministériels. Pour sa part, M. Thorez (inutile de parler de Léon Blum), n'est pas moins "politicien conséquent" que ses compères de droite. Avant les élections, il se rajeunissait de dix ans et proclamait "A gauche, rassemblement !" : un nouveau Front Populaire contre la démagogie anti-communiste de la droite. Comme l'a démontré l'expérience de 1936, un tel gouvernement "antifasciste", d'union avec des Daladier démocrates, serait impuissant à liquider le Vichysme, à arrêter la montée de la réaction qui trouve sa source dans la puissance économique des 200 familles, défendues par tous les Daladier démocrates. Cependant un tel gouvernement avait trouvé son origine dans la lutte des travailleurs contre les capitalistes (Juin 36) et excluait du gouvernement les réactionnaires avérés. M. Thorez avoue maintenant que son but c'est de former un gouvernement d'où personne n'est exclu, et proclame même la "neutralité" gouvernementale en matière de religion, à la place de la laïcité. Le "Front populaire anti-fasciste" pour liquider le Vichysme, pour exclure du gouvernement les tenants de la réaction cléricale, le M.R.P., et les formations d'extrême-droite, a fait place à l'"Union nationale" de tous les Partis républicains (et qui ne l'est pas !) contre... mais contre qui se sont formés depuis toujours les gouvernements d'u-nion nationale ? Depuis la collaboration de Millerand le "socialiste" et de Galliffet , bourreau de la Commune, dans le ministère de Waldeck-Rousseau , depuis l'union sacrée 14-18, en passant par Poincaré , jusqu'à l'union sacrée de 39, tous ces gouvernements, toutes ces coalitions ont été nécessaires pour ligoter les travailleurs et les petites gens quand la bourgeoisie avait besoin de rejeter sur eux brutalement de nouveaux fardeaux (opérations financières, etc.) C'est ce "magnifique exemple de civisme", la résignation aux entreprises des capitalistes, que La Dépêche de Paris attend de la classe ouvrière, grâce à M. Thorez. Au lieu de réaliser l'unité des masses travailleuses contre la réaction et le Vichysme, pour permettre la construction d'une France nouvelle, ouvrière et paysanne, Thorez s'apprête à réaliser l'union des ministres communistes avec des ministres réactionnaires et vichystes, contre les masses travailleuses, pour sauver l'ancienne France, la France des capitalistes et des 200 familles. Dans de "retentissantes" interviews accordées à l'organe officiel du capital anglais, le Times, et à l'agence améri-caine I.N.S., Thorez fait savoir qu'il existe "d'autres voies dans la marche au socialisme que celle du communisme russe" et que le Parti communiste "dans son activité gouvernementale et dans le cadre du système parlementaire qu'il a contribué à rétablir, s'en tiendra strictement au programme démocratique". En fait de programme démocratique, réalisé "dans le cadre du système parlementaire", laissons parler M. Yves Farge. Celui-ci ne s'était pas proposé d'accomplir des réformes démocratiques à la place de la révolution, de nettoyer la maison faute de pouvoir la transformer. M. Farge a voulu simplement, "dans le cadre du régime parlementaire", déférer à la justice des voleurs, de simples voleurs. Mais que s'est-il passé ? "LORSQUE, LE 1er OCTOBRE, J'AI ANNONCE EN QUELQUES MOTS DU HAUT DE LA TRIBUNE DE L'ASSEMBLEE NATIONALE QUE J'AVAIS DEPOSE ENTRE LES MAINS DU GARDE DES SCEAUX LE DOSSIER DU VIN, J'AI VU, ET VOUS AVEZ VU, LES COLONNES DU TEMPLE PERDRE LEUR EQUILIBRE. JE N'AVAIS FAIT QUE RASSEMBLER DES DONNEES CONNUES DE TOUS LES INITIES RETENUS PAR JE NE SAIS QUELLE PEUR, QUELLE SOLIDARITE DE LA CONCUSSION OU LA LACHETE ; JE N'AVAIS FAIT QUE REMETTRE A LA MAGISTRATURE DE MON PAYS DES DOCUMENTS ETABLISSANT QUE, SUR LA MISERE DES PRODUCTEURS ET DES CONSOMMATEURS, ON AVAIT REALISE PLUS D'UN MILLIARD DE BENEFICES FRAUDULEUX. VOUS AVEZ ENTENDU LE TAPAGE ? VOUS AVEZ ASSISTE COMME MOI A CETTE PANIQUE QUI PRIT MEME UN ASPECT POLITIQUE, SI BIEN QUE J'AI PREFERE GARDER JUSQU'A CE JOUR LE SILENCE." Pour punir de simples voleurs, les colonnes du temple "démocratique" de Thorez perdirent leur équilibre. Il en avait été de même, quand, le 30 septembre, un député nord-africain, Ferhat Abbas, avait essayé de dévoiler simplement une partie de la vérité sur l'attitude de l'administration en Afrique du Nord. Que se passerait-il si les ministres communistes essayaient de faire plus, de démocratiser le régime ? Le temple s'écroulerait sans aucun doute. Nous voyons qu'en abandonnant la voie russe, c'est-à-dire la voie d'un gouvernement ouvrier et paysan, M. Thorez a renoncé non seulement à la révolution, mais à la plus élémentaire démocratie. Car la voie des Communistes russes de 1917 était elle-même le résultat de toute l'expérience démocratique du mouvement ouvrier au XIXe siècle, en France, en Allemagne et partout. C'est parce qu'ils restent fidèles à la leçon des Communistes russes de 1917 que les ouvriers révolutionnaires de France, en luttant pour un GOUVERNEMENT OUVRIER ET PAYSAN, sont les seuls défenseurs réels des masses travailleuses contre les entreprises des 200 familles et leurs valets. Mais si auprès de certaines personnes "avancées" et cependant bien pensantes dès qu'il s'agit de l'Etat, nous, révolutionnaires, sommes sujets à caution, laissons parler les défenseurs même de l'ordre social actuel. Les agents de l'Etat, nous explique d'abord M. Pierre Audiat dans Le Monde (14-11), ne connaissent pas et ne peuvent pas connaître la situation de ceux qu'ils sont appelés à contrôler. "Que voulez-vous que fasse un employé, demande-t-il, si honnête et si zélé qu'il soit, contre, par exemple, un marchand de bestiaux qui parle le patois de ses clients, connaît mieux que son pater les étables et leur contenu à dix lieues à la ronde ? L'infortuné ressemble à ces nigauds de foires, qui, les yeux bandés... etc." Or, si en temps ordinaire, l'Etat pouvait se limiter à son rôle d'organe de répression contre les travailleurs ou d'arbitrage entre les capitalistes, il doit aujourd'hui, devant la faillite des méthodes capitalistes de production et de répartition, introduire un minimum d'ordre pour empêcher les masses de se révolter. Quelle est donc la solution du respectable journaliste dans le bien-pensant journal, après avoir constaté l'entière incapacité des organes de l'Etat dans les tâches administratives réelles ? En partant des mêmes prémisses : l'impuissance de l'Etat à remplir des fonctions vraiment constructives pour les masses, -quelle est la conclusion respective des révolutionnaires "amoraux", et du "respectable" journaliste qui parle au nom des 200 familles ? Il faut des gens compétents : c'est là une conclusion commune. En conséquence, écrivions-nous, "IL FAUT QUE CE SOIENT LES VERITABLES INTERESSES QUI S'OCCUPENT SEULS DE LEURS AFFAIRES ET NE LAISSENT PAS CE SOIN A LEURS ENNEMIS : LES OUVRIERS ET LES EMPLOYES SONT LES VRAIS ALLIES DES MASSES POPULAIRES. LES SEULS QUI PEUVENT ETRE VIGILANTS, QUI PEUVENT ORIENTER LA PRODUCTION ET LA REPARTITION VERS LE GRAND PUBLIC, VERS LE CONSOMMATEUR PAUVRE, C'EST-A-DIRE AUSSI VERS EUX-MEMES, ET NON PAS VERS LES RICHES PARASITES QUI VIVENT DE DIVIDENDES ET DE SPECULATION". Ouvriers et paysans connaissent de par leur propre activité ce qu'est la production : seul le filet aux mailles très étroites du contrôle populaire peut remplir les tâches que l'Etat est INCAPABLE d'exercer. Mais M. Pierre Audiat, lui, écrit : "On voit bien ce qu'il faudrait : que dans chaque secteur du ravitaillement un maître fraudeur, un expert du marché noir passât, pour sauver sa peau, au camp de l'ennemi, c'est-à-dire de l'autorité et la servît avec zèle... Au reste, cela ne constituerait point un précédent scandaleux : Balzac l'autorise en nous montrant Vautrin, forçat évadé, bandit hors la loi, terminer sa carrière comme chef de la Sûreté. Qu'une douzaine de Vautrin tiennent en main les leviers du contrôle économique, fraudeurs et voleurs comprendront que c'est sérieux." Telle est la crainte de ces messieurs à l'égard des travailleurs, qu'ils en deviennent stupides, et pour tout remède, voudraient livrer l'Etat à des trafiquants, convertis en pères nourriciers de leurs anciennes victimes. Mais, est-il obligé de constater -et c'est par la bouche du journaliste bourgeois que se confirme la justesse de notre titre- "malheureusement nous n'en sommes pas là, et nous voyons plus souvent l'inflexible Javert se transformer en Vautrin que Vautrin s'incarner finalement en Javert". Si on dépouille cette phrase de sa forme littéraire, M. Audiat dit en somme ce que nous exprimions crûment : "L'ETAT AGIT COMME UN GENDARME QUI PARTICIPE, AVEC LES BANDITS QU'IL DOIT EN PRINCIPE EMPECHER DE NUIRE, AU PARTAGE DU BUTIN." Dans sa dernière phase de putréfaction, l'Etat bourgeois, de l'aveu même de ses soutiens, a comme symbole le bagnard Vautrin. Le mouvement gréviste américain ne doit pas son ampleur et sa persistance uniquement aux luttes revendicatives de demandes d'augmentation des salaires. Le mouvement ouvrier américain a aujourd'hui le caractère d'une résistance aux capitalistes sur tous les terrains, d'une lutte contre la décomposition générale du régime économique, politique et social. Alors même que le retour de l'industrie de guerre à l'industrie de paix ne s'est pas entièrement effectué, une crise de "surproduction" se développe déjà aux Etats-Unis. De par la montée incessante des prix dûe à l'inflation et à la soif de profits des capitalistes, le pouvoir d'achat des masses populaires décline et les empêche d'avoir accès aux marchandises qu'elles continuent à produire en quantité croissante. Les capitalistes américains cherchent fiévreusement des débouchés extérieurs pour leurs marchandises, mais la guerre, qui a ruiné leurs principaux concurrents, leur a aussi enlevé leurs acheteurs, en appauvrissant à l'extrême la presque totalité des pays du monde. En fin de compte, la politique de l'impérialisme américain. se traduit par la préparation d'une nouvelle guerre qui doit lui ouvrir, par la force, les débouchés économiques qui lui échappent. La préparation de cette nouvelle guerre est la première cause de l'inflation, qui est à la base de la montée incessante des prix. Officiellement, 40% du budget américain sont absorbés par les dépenses militaires. Toute cette situation, si elle pèse sur l'humanité entière, pèse aussi directement sur les masses travailleuses américaines. C'est contre cela qu'elles luttent : non pas seulement pour l'amélioration immédiate de leur niveau de vie déclinant, mais contre les causes mêmes du mal. Le mouvement ouvrier américain dénonce les profiteurs qui "ont récolté des bénéfices énormes, pendant que les travailleurs et les soldats-travailleurs américains ont dû subir des sacrifices sans nombre". Une résolution du Conseil des Syndicats industriels tenu à Flint flétrit "l'alliance immorale des intérêts financiers et des politiciens qui utilisent l'énergie atomique pour la préparation de la guerre mondiale n° 3. L'Amérique dépense 18 billions de dollars pour la guerre, tandis qu'elle refuse 2 billions pour les anciens combattants". La résolution continue : "Quoique les ouvriers américains n'aient aucun intérêt à mener une nouvelle guerre pour obtenir du pétrole en Iran, en Chine et en Europe au bénéfice des intérêts pétroliers, le gouvernement américain établit ses bases sur tous les points du globe." Le Conseil se prononce pour "LE RETRAIT DE TOUTES LES TROUPES DES QUATRE GRANDES PUISSANCES DES TERRITOIRES OCCUPES, ET DEMANDE AU PRESIDENT EU AU CONGRES DE RETIRER IMMEDIATEMENT NOS TROUPES D'OCCUPATION". C'est dans cette revendication des ouvriers américains que réside pour le monde entier la seule chance, la seule garantie d'un pas réel vers la paix. Car, tant que sur tous les points du globe des troupes restent face à face, la guerre est en permanence à l'ordre du jour, malgré tous les bavardages des hommes d'Etat sur le "désarmement" et les "ententes souhaitables", qui n'ont cependant jamais lieu. La presse essaie d'exploiter ici, à des fins de propagande capitaliste, le mouvement gréviste américain. Mais si la propagande des capitalistes et social-chauvins essaie de mettre en lu-mière tous les "inconvénients" qui naissent de cette lutte, ne pourrait-on pas leur rappeler qu'au moment où ils prétendaient mener la guerre pour la démocratie, ils ont écrasé le monde sous les bombes en disant que c'était là un mal nécessaire ? Cependant, nous n'avons eu ni la démocratie, ni la réalisation d'aucune des promesses impérialistes. Par contre, la lutte ouvrière américaine est notre lutte. C'est aussi la seule lutte concrète contre la troisième guerre mondiale qui menace. Nous devons la mener et la soutenir de concert avec le prolétariat américain. Car, comme l'écrivent nos camarades des Etats-Unis : "Nous croyons que la lutte des ouvriers contre les capitalistes est internationale. Les mêmes grands trusts de l'acier, de l'auto, du pétrole qui oppriment les ouvriers aux Etats-Unis, étendent leurs tentacules à travers les Océans et oppriment les travailleurs de la lointaine Asie, d'Afrique, d'Europe et d'Amérique latine. Le succès des travailleurs dans d'autres pays affaiblit le capitalisme ici. Les défaites subies par nos frères de classe ailleurs tendent à stabiliser le Grand Capital en Amérique." Dans la lutte contre la misère et la nouvelle guerre menaçante, le mouvement ouvrier améri-cain nous montre le chemin. Une déléguée nous demande, pour les jours de travail avec électricité, si nous préférons le dimanche ou bien la nuit ; nous en profitons pour dire : c'est le moment ou jamais d'introduire la semaine de 40 heures au prix du salaire de 47 h. 1/2. Mais la déléguée répond : mais c'est de la démagogie, actuellement il faut penser à la production, et d'abord les patrons n'accepteraient pas... Sans penser à la "production", les patrons, eux, payent aux ouvrières des salaires de famine et les laissent travailler dans des conditions inhumaines. Un responsable syndical, faisant du zèle, éteint la lumière à un moment où le travail est encore pénible sans lumière. Devant les protestations des ouvriers, il prétend obéir aux ordres de la section syndicale pour parer au déficit. Ainsi, pour parer au déficit d'électricité, messieurs les "défenseurs" de la classe ouvrière ne trouvent rien de mieux que d'économiser sur les yeux des ouvriers... Pendant ce temps, la lumière coule à flots aux eaux de Versailles et à toutes les parades chauvines, il ne manque pas une ampoule dans les boîtes de nuit, et on se garde bien de prélever une once de charbon sur la ration des grands hôtels. C'est ainsi que pour cette quinzaine, chez Carnaud, les ouvriers travailleront 57 heures une semaine, et 40 heures la semaine suivante. Mais au lieu de payer les heures supplémentaires sur la première semaine : 9 heures à 25% et 9 heures à 50%, le salaire portera sur la quinzaine, c'est-à-dire 80 heures, avec 16 heures supplémentaires payées à 25% et une heure à 50%. La loi hebdomadaire des 40 heures étant faite pour empêcher que les ouvriers ne soient surmenés et surexploités, c'est un vol manifeste que de payer les heures supplémentaires sur la base de 80 heures. Comme des manoeuvres de ce genre se produiront certainement dans toutes les usines, les ouvriers doivent être vigilants et ne pas tolérer des opérations qui constituent des vols sur leurs salaires. Non contents d'être intervenus pour faire cesser cette grève, C.G.T.B. et Syndicat chrétien ont mis sur pied un "statut des frontaliers", "réglementant" -en fait freinant- l'activité des travailleurs. Dans ce statut, les responsables "socialistes" et staliniens de la C.G.T.B. exigent que, pour se mettre en grève, les frontaliers aient la permission... de la C.G.T. française ! Le Syndicat chrétien a la partie belle pour se poser démagogiquement, en paroles, en champion du droit des travailleurs à régler leurs propres affaires. Voilà comment la politique policière anti-ouvrière des "socialistes" et staliniens de la C.G.T.B. permet les manoeuvres de division du Syndicat chrétien, et, en essayant d'imposer aux frontaliers un contrôle extérieur bureaucratique, aiguise les antagonismes avec leurs camarades français.
Devant une nouvelle
dévaluation
imminente, le rétablissement même du change
préférentiel
n'est pas une solution pour le travailleur belge, et rencontre
l'hostilité
de beaucoup d'ouvriers français. Seul un rajustement
général
des salaires, garanti par l'échelle mobile, peut souder la masse
des travailleurs français et belges en un seul bloc, par-dessus
les entraves bureaucratiques, et garantir aux frontaliers le retour
à
leur ancien standard de vie. Conversation
ouvriere Le Métallo, dans chacun de ses
numéros, rend
régulièrement compte des millions de francs de
cotisations ouvrières consacrées
aux oeuvres sociales. Mais, comme tout cet
argent ne suffit encore pas à
soulager toutes les misères engendrées par le
système d'exploitation
capitaliste, le Comité d'entreprise de la R.N.U.R. vient de
lancer un appel à
une tombola "gratuite", concluant : "Tous les participants
auront à coeur d'acheter des actions aux oeuvres sociales". Un responsable syndical
qui recommandait l'achat de
ces actions s'est attiré la réponse suivante : - Les oeuvres sociales,
on s'en fout ! ce n'est
pas à nous de payer, c'est aux patrons. C'est une honte de voir
que la C.G.T.
utilise nos timbres à cela, au lieu de constituer des fonds de
grève en cas de
mouvement. - Les grèves, mais
il n'en faut pas. C'est l'arme de
la réaction. Le jour où il faudra une grève, la
C.G.T. vous le dira et elle
sera à même de prendre ses responsabilités. Un autre
enchaîne : - Comme elle a fait dans
le temps. - Comment ? - Eh bien ! en les
sabotant. La C.G.T. est contre
les grèves, notre seule arme. C'est pour cela qu'elle nous
trahit. Elle a
saboté la grève des cheminots, celle des P.T.T., celle
des Postes. - C'est parce que
c'étaient des grèves partielles. Et
des grèves partielles, cela ne rend rien. Vous devriez
étudier le marxisme... - Qui n'enseigne pas de
briser les grèves, même
partielles. - Mais on est en 1946,
camarades, ça a changé. Les
ouvriers sont illettrés. Si on faisait une grève, ils ne
suivraient pas. Protestation
de tous les ouvriers présents : "Eh bien ! alors,
qu'est-ce
qu'il lui faut..." Un autre responsable
intervient et essaie d'expliquer
que la source de nos maux, c'est l'ignorance des ouvriers, qui sont
souvent
illettrés. Il s'attire cette réponse : "Ils ont donc
désappris à lire
depuis 1936 ?" chez
Renault Le journal Action
a consacré un grand article à
démontrer que depuis la nationalisation de l'usine, les ouvriers
ont une part
active à la gestion de l'entreprise. Au cinéma, on nous a
également montré les
ouvriers de la R.N.U.R. comme étant un peu
propriétaires. En fait, malgré la
nationalisation, les ouvriers de
chez Renault sont parmi les plus mal payés de la région
parisienne (43 fr. de
l'heure), et il ne se passe pas de semaine sans que des ouvriers
apportent des
preuves à leurs délégués que dans telle ou
telle boîte les salaires sont plus
élevés pour une cadence plus faible. Les ouvriers participent
à la gestion de la maison par
l'intermédiaire du Comité d'Entreprise. Ceux des ouvriers
qui avaient plus d'un
an de maison, ont été invités à se
prononcer une fois par vote, pour
désigner ceux qui les représenteraient au Comité
d'Entreprise. Quant à la
grande majorité des ouvriers, ils ne connaissent même pas
leur représentant. Or, que fait le
Comité d'Entreprise ? Il collabore avec la
Direction sur les questions
auxquelles celle-ci lui permet de collaborer. Sa tâche
principale, c'est de
pousser les ouvriers à la production. Ces jours-ci, on a
apposé une note sur
les panneaux syndicaux invitant les ouvriers à la participation
à un concours
ayant pour thème : "Comment développer la
production ?" Le rôle du
Comité d'Entreprise a été, suivant M.
Lefaucheux, Président-Directeur de la R.N.U.R., de "contribuer
à éclairer
le personnel sur les difficultés de l'entreprise ("on ne peut
vous donner
que 22,5% au lieu de 25%, la Régie serait en déficit").
Toujours d'après
M. Lefaucheux, le rôle du Comité d'Entreprise a
été "d'utiliser au maximum
chacun des membres du personnel. Les ouvriers de la R.N.U.R. doivent
produire
beaucoup, car maintenant ils ne travaillent plus pour le seigneur de
Billancourt, mais pour eux-mêmes". Mais M. Lefaucheux, là
encore, nous
spécifie que "la Régie Nationale n'appartient pas
à son personnel, mais à
la Nation (voire l'Etat)". Et comme disait un ouvrier : "Nous ne
travaillons pas pour nous-mêmes, nous sommes la vache
nourricière de l'Etat qui
peut spéculer avec les devises que fournit notre production,
puisque tout est
exporté. Un dernier rôle du
Comité d'Entreprise, c'est de faire
le mouchard. Certains ouvriers, tout en le payant, mangent un
deuxième repas à
la cantine (c'est certainement qu'ils ne sont pas gavés avec un
seul) et,
paraît-il, des ouvriers étrangers à l'usine
viennent aussi prendre leur repas à
la cantine chez Renault. L'Accélérateur, journal
du Comité d'Entreprise,
traite ces ouvriers de voleurs.
Si, comme le dit M. Lefaucheux, la Régie est
propriété de la Nation toute
entière, y a-t-il tant de mal à ce que des ouvriers
étrangers à l'usine bénéficient
de certains avantages réservés au personnel ? Et
s'il faut traiter
quelqu'un de voleur, n'y a-t-il pas suffisamment d'actionnaires qui
empochent
de superbes dividendes, de concessionnaires qui, pour la vente d'une
simple
Juvaquatre, s'octroient 14.950 fr., et enfin, l'Etat, au cours de
l'exercice
1945, sous forme d'impôts, la coquette somme de :
399.423.419 fr.95. Et c'est contre quelques
ouvriers qui resquillent de
temps en temps un quart de pinard, quand le ravitaillement n'en fournit
pas,
que le Comité d'Entreprise demande à la Direction
de prendre des mesures
de contrôle sévères contre cette
"immoralité" (sic). C'est cela, la représentation ouvrière au "Comité d'Entreprise" de chez Renault. |