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chronologie 1946 |
N°78 Hebdomadaire (B.I.) |
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7 Décembre
1946
Le N°: 3 francs |
"M. Bidault, écrivions-nous le 31 octobre, ne pourra pas gouverner "sans Thorez", car à l'heure actuelle, seul M. Thorez peut "pacifiquement" empêcher les travailleurs de lutter contre l'exploitation de plus en plus éhontée à laquelle ils sont soumis par les capitalistes. "M. Thorez ne peut pas gouverner sans un Bidault quelconque ou un Daladier "front populaire" (sic), car c'est seulement ainsi qu'il peut cacher ses trahisons derrière le prétexte qu'il fait bloc contre une réaction encore plus noire. "Contentez-vous, avec nous, de serrer votre ceinture, car sans nous, vous recevrez, par-dessus le marché, la trique de De Gaulle", voilà les perspectives de ces messieurs les chefs du P.C.F. Le P.S. et le P.C.F. ont déjà eu une majorité parlementaire, et ils n'ont rien fait d'autre." L'élection du "socialiste" Vincent Auriol à la présidence de la Chambre à l'aide de voix M.R.P. et P.R.L., et les manoeuvres concernant l'élection du Président du Conseil, ont fait justice des prétentions démagogiques de la "gauche" et de la "droite" en fait de gouvernement. Le rassemblement PARLEMENTAIRE "à gauche" -espoir trompeur, suscité par Thorez pour capter des voix, en un gouvernement Front populaire, dont les travailleurs se souviennent comme ayant, en 1936, entériné les conquêtes de la grève générale de juin,- a obtenu tout juste 259 voix, c'est-à-dire, à côté des voix staliniennes, même pas toutes les voix des députés "socialistes", alors que M. Thorez assurait les travailleurs qu'il se trouverait dans la Chambre républicaine, à côté des "Socialistes", des démocrates disposés à relâcher tant soit peu la pression matérielle et morale que la bourgeoisie exerce sur les travailleurs. M. Thorez avait demandé la présidence avec d'autant plus d'insistance qu'il savait ne pas pouvoir l'obtenir, et les Socialistes ont voté pour lui pour la même raison ; et ainsi ces messieurs de gauche, ces "chefs ouvriers", laquais de la bourgeoisie, vont pouvoir trouver une justification à leur collaboration avec la bourgeoisie, aux mesures anti-ouvrières, dans : "c'est le ministre des Finances, ou le ministre un tel de droite qui a pris ces mesures... nous ne pouvons pas tout faire... nous ne sommes pas seuls au gou-vernement, etc..." La candidature de M. Bidault, alors que le "Rassemblement des Gauches" avait annoncé son intention de s'abstenir et les Socialistes celle de s'opposer à un gouvernement Bidault sans Thorez;, cette candidature condamnée d'avance, mais posée quand même, montre du côté de la droite les mêmes préoccupations. Le M.R.P. voulait démontrer à sa clientèle électorale qu'il voulait gouverner "sans Thorez", mais qu'il n'a pas reçu l'appui suffisant des partis "anti-marxistes". Le "secret" de ce manque de majorité de droite ne doit pas être cherché, comme le laisse croire L'Humanité, dans le démocratisme des Radicaux. Pas plus que les amis de M. Daladier, personne ne voulait réellement exclure du gouvernement le Parti qui, au profit de la bourgeoisie, est mieux qualifié que tout autre, selon Duclos, "pour entraîner les masses à produire" (Huma, 5-12). N'ayant ainsi avancé leurs candidatures que pour montrer qu'il n'y avait de majorité parlementaire ni pour Thorez ni pour Bidault, ils voulaient seulement démontrer la nécessité de l'union des Thorez et des Bidault, avec les autres partis intermédiaires, union qui seule pouvait fournir la majorité. Leurs candidatures de pure forme n'avaient d'autre but que de justifier la formation d'un gouvernement dit d'union nationale, qui devient ainsi pour les travailleurs une cruelle réalité. Car sa tâche n'est autre que d'écraser davantage les masses laborieuses, les contraindre à se résigner à la perspective encore lointaine, mais réelle, de la poignée de riz du travailleur japonais. Voilà le seul résultat qu'ont obtenu les travailleurs, qui croyaient voter "bien" en votant pour M. Thorez. Car à la suite des promesses et des illusions suscitées par la bourgeoisie et les partis social-traîtres pendant la guerre, au sujet de la "libération commune du peuple français" (sous la direction des 200 familles), des millions d'ouvriers ont donné leurs voix au P.C.F. et au P.S. dans l'espoir d'aboutir à autre chose qu'à des gouvernements et des combinaisons parlementaires pires que sous la IIIe République. Ces espoirs sont une fois de plus réduits à néant. Mais il fallait que toutes ces illusions soient déçues, pour que la classe ouvrière puisse s'engager définitivement dans la lutte pour sa véritable libération, la libération sociale, la lutte de classe menée jusqu'au bout, vers un GOUVERNEMENT OUVRIER ET PAYSAN. "L'effort ardent des ouvriers" ! clame Thorez. "Il n'y a pas de sacrifices auxquels le peuple ne consente", assure le "socialiste" Vincent Auriol. "En avant pour les mesures courageuses", nous disent Schuman, L'Aube, Le Monde, etc... Un bourreur de crânes de la radio complète le tout par une belle image : "Fini le dolce farniente", la fainéantise, les 40 heures et autres avantages auxquels les ouvriers croyaient pouvoir revenir. Rien de plus noble et de plus exaltant, n'est-ce pas, que de prêcher les privations à ceux qui y sont condamnés depuis de nombreuses années, au nom de ceux qui ne se sont jamais privés de rien. C'est pour cela que Goering , le plus engraissé des parasites du gouvernement Hitler, avait été chargé de prêcher que les canons valaient mieux que le beurre... Il ne suffit pas d'acculer les travailleurs à la misère par les bas salaires et la disette organisée sur le marché. Il faut encore un but moral à leurs privations, la conviction qu'elles servent à préparer un avenir meilleur. Mais si d'en haut venait l'exemple du désintéressement et de l'ordre, les ouvriers pourraient peut-être joindre l'enthousiasme à leurs privations. Si en haut il n'y avait pas la gabegie, le gaspillage, le crime, si en haut lieu tout n'é-tait pas pourri, l'effort écrasant des ouvriers servirait peut-être à quelque chose. Si les promesses dont nous avons été abreuvés avaient été tenues, si le régime auquel sont soumis les travailleurs avait été tant soit peu amélioré, si tout ce que ces messieurs ont raconté, sur les "Alliés", sur la démocratie, sur la justice, ne s'était avéré comme autant de mensonges, les ouvriers pourraient peut-être encore prendre au sérieux la propagande orchestrée d'aujourd'hui. Si, comme ils disent par ailleurs, la production accrue devait servir à augmenter les richesses nationales et nous permettre de revenir progressivement à un niveau de vie meilleur, ils n'auraient pas besoin de prêcher la résignation. C'est avec enthousiasme que les travailleurs, en voyant le résultat de leurs efforts, supporteraient leurs privations pour assurer l'avenir. Mais en même temps que la production augmente, les salaires réels continuent à baisser. On ne peut plus aujourd'hui arguer du manque de produits. Le beurre, la viande, les produits les plus indispensables existent en abondance. Mais qu'ils soient exportés, qu'ils soient stockés, ce ne sont pas les travailleurs qui les consomment. Qui mieux que le travailleur dans son usine, est à même de se rendre compte de ce que signifie la production en régime capitaliste, et pour qui elle se fait ? Plus que jamais aujourd'hui, au détriment même de la production, le patronat puise ses bénéfices dans la surexploitation des ouvriers. Jamais les cadences n'ont été aussi poussées, les accidents aussi nombreux, les salaires aussi bas, le système de division et des "primes" aussi répandu. Et avec quels résultats ? Quelles sont les richesses supplémentaires qui ont été mises à la disposition du peuple travailleur ? Jamais la misère n'a été aussi grande, les conditions de travail plus effroyables. Car les efforts de la bourgeoisie, pour se renflouer, pour regagner ses possibilités de concurrence sur le marché international, pour entretenir l'armée des expéditions coloniales, ont justement pour contre-partie l'appauvrissement de plus en plus poussé des masses laborieuses. Voilà la signification des appels à la résignation, de l'exaltation aux "sacrifices" par la propagande orchestrée. Mais les ouvriers se rendent bien compte qu'ils ont été complètement et définitivement rejetés dans la pauvreté, et la propagande actuelle de la bourgeoisie ne tend qu'à entretenir en eux l'espoir que leurs misères sont les conséquences de la guerre et que ça va changer à la longue. Cependant, plus de deux ans après la fin de la guerre, les ouvriers sont obligés de constater que "la guerre est finie et on ne s'en sort pas". En réalité, la paupérisation n'est pas un héritage laissé par la guerre. Elle a commencé bien avant, avec l'offensive de la bourgeoisie après 1936 pour reprendre aux travailleurs ce qu'elle avait été obligée de leur céder (dévaluation Auriol, impôts de solidarité Reynaud, etc...). Cette paupérisation, qui continue maintenant, la guerre n'a fait que la précipiter ; et alors que celle-ci a rogné encore la part des masses travailleuses dans le revenu national, les richesses et les profits des capitalistes se sont accrus. Pour les dirigeants pourris de la C.G.T., il s'agit somme toute (il fallait y penser) de faire baisser les prix, en luttant contre la spéculation, car (dit Thorez), "c'est la hausse des prix qui répand la méfiance sur la solidité de notre monnaie". Par ce verbiage stérile, ils se dispensent de lutter contre l'inflation, qui est la cause de la ruine de la monnaie, et qui est justement une des opérations monétaires utilisées par la bourgeoisie pour tailler dans les salaires des ouvriers. La spéculation n'est qu'un des aspects de cette situation. Appeler les travailleurs à l'effort et à la production sous la direction et pour le compte des capitalistes, c'est les appeler à remplir un tonneau percé. Si le franc pouvait être sauvé, si les capitalistes et leur gouvernement pouvaient s'en tirer sans condamner les masses à une misère de plus en plus grande, si vraiment ils voulaient reconstruire le pays, s'ils voulaient mettre à la disposition du peuple lui-même les biens et les richesses qu'il produit, les conditions de travail ne devraient pas aller en empirant, les salaires en diminuant, les familles travailleuses ne devraient pas être acculées à se priver de la nourriture la plus indispensable, à renoncer aux vêtements qui pourtant existent, on ne verrait pas des travailleurs passer leur dimanche au marché aux puces à chercher un bleu de travail, une paire de chaussures, un manteau... C'est pour cela que les travailleurs, rejetant la propagande orchestrée des bourreurs de crânes et des valets payés, qui les exhortent aux sacrifices et aux efforts, pour se sauver, eux-mêmes et les leurs, d'une misère définitive, doivent faire le seul effort efficace : celui de la lutte pour la défense de leur niveau de vie. L'ouvrier doit recevoir le salaire qu'il lui faut pour payer le loyer, pour acheter les vêtements, les aliments, et tout ce qui, sur la base d'une estimation des organisations syndicales, peut être considéré comme un minimum nécessaire pour vivre. Le 16 août vit le début de l'une des pires émeutes religieuses de l'histoire de l'Inde. Quoique presque entièrement confinés à Calcutta et à Bombay, des milliers d'hommes furent tués et des dizaines de milliers blessés dans les conflits hindo-musulmans directement inspirés par la Ligue Musulmane de Jinnah , en signe de protestation contre la formation d'un gouvernement issu du Congrès. Les rues de Calcutta sont jonchées de cadavres et les hôpitaux sont bondés de blessés. L'entière responsabilité de ce massacre retombe sur Jinnah et la Ligue musulmane qui ont, par leurs appels à "l'action directe", dressé les musulmans contre les hindous. Ils ont fait le jeu de l'impérialisme britannique. La domination anglaise, principale cause En fait, la domination britannique est la cause principale des antagonismes religieux qui règnent aux Indes à l'heure actuelle. Avant l'établissement du vice-roi, les luttes hindo-musulmanes de cette sorte étaient pratiquement inconnues. Les guerres d'Etat à Etat ont pu avoir des meneurs hindous ou musulmans, mais les soldats sortis des deux communautés combattaient aussi bien d'un côté que de l'autre. Les dirigeants musulmans employaient souvent des Hindous à des hautes responsabilités, de même que les dirigeants hindous employaient des Musulmans. Il est aussi vrai que dans les Etats où la domination anglaise ne se manifeste qu'indirectement, les luttes religieuses étaient comparativement rares jusqu'à ces derniers temps. "Diviser pour régner ! doit être la devise de notre administration des Indes", écrivait l'Asiatic Journal en 1821, et en 1858 cette politique fut reprise officiellement par le Gouverneur général, lord Elphinstone. Tour à tour, on favorisa les Hindous et les Musulmans, on se servait des uns contre les autres, on enfonça entre eux un coin d'acier pour empêcher cette union des opprimés qui aurait rendu impossible la domination anglaise sur les Indes. Comme le nationalisme commençait à faire son chemin parmi les Hindous, l'Angleterre s'en remit de plus en plus aux leaders musulmans et tenta de s'en servir pour arrêter le développement du Congrès National Indien . Au début, ces efforts n'eurent que peu de succès. Mais au début de ce siècle furent prises deux mesures, qui aiguisèrent beaucoup les relations des deux communautés. La première de ces mesures fut la division de la province du Bengale en deux parties, une musulmane et une hindoue. C'était un acte délibéré dans le but -d'après les propres mots du Statesman, principal organe de l'impérialisme anglais à Calcutta- "d'aider la formation dans l'Est du Bengale d'un pouvoir musulman qui aurait pour effet de faire échec à la force rapidement croissante de la communauté hindoue éduquée". La seconde mesure prise fut la création d'un système électoral basé sur la communauté religieuse. Comme conséquence directe, l'attention du peuple fut détournée des intérêts économiques et politiques communs et concentrée sur des futilités comme la représentation accordée à chaque communauté. Une représentation privilégiée fut donnée aux Musulmans dans le but d'enfoncer encore plus profondément le coin entre les deux communautés. La base économique et sociale Dans le Bengale et le Punjab -provinces de population en majorité musulmane et comprises dans la proposition du "Pakistan" de Jinnah- les propriétaires, les usuriers et les marchands les plus riches sont hindous, tandis que la majorité des Musulmans sont de pauvres paysans, et leurs débiteurs. Là les combats des paysans musulmans contre leurs exploiteurs hindous sont aussi présentés dans la presse impérialiste comme des "troubles religieux". D'autre part, durant les luttes ouvrières dans les grandes usines de Bombay et de Calcutta, les patrons hindous n'ont pas hésité à faire appel à des jeunes Musulmans pour briser la grève de leurs ouvriers hindous. L'action des grévistes à travers les piquets de grève est aussi rapportée comme "troubles religieux". Il existe aussi une grande rivalité entre les intellectuels hindous et musulmans des classes moyennes dans la recherche des emplois (fonctionnaires, etc.)
En
résumé,
le terrain est favorable aux agents provocateurs qui ont avec
succès
attisé des antagonismes latents. Il est indiscutable que la
bourgeoisie
hindoue, représentée principalement par le
Congrès,
a beaucoup appris de l'impérialisme anglais et n'est pas plus
gênée
que celui-ci pour provoquer des troubles religieux si cela sert ses
fins.
Ainsi, durant les émeutes du mois d'août, un conflit fut
instigué
aux filatures de coton de Birla, propriété du plus gros
capitaliste
hindou, un des principaux soutiens du Congrès. Les tra-vailleurs
de Birla ont un passé de luttes héroïques et l'on
espérait,
en dressant les tra-vailleurs hindous contre les travailleurs
musulmans,
détruire l'unité de classe des travailleurs. Cet essai
échoua
et les provocateurs ont satisfait leur soif de sang en molestant un
certain
nombre de Musulmans isolés, ce qui finit par une tuerie.
En effet, un des
caractères
des émeutes de Bombay et de Calcutta -sur lequel la presse
capitaliste
a gardé le silence- fut la discipline des travailleurs qui
refusèrent
malgré les provocations de participer à la tuerie. A
Oriya,
600 et plus, travailleurs hindous furent massacrés. Des
travailleurs
musulmans se portèrent à leur secours, mais furent
eux-mêmes
écrasés.
Les actes de violence sont presque entièrement l'oeuvre de provocateurs à gages, la population n'y prenant qu'une faible part. En fait, pour obtenir quelque appui parmi les travailleurs musulmans, Jinnah a dû faire usage de slogans anti-impérialistes, et il tente même de dépeindre sa campagne pour le "Pakistan" comme une arme contre l'"Hindou entièrement vendu". Comme le prouvent les élections dans les territoires purement musulmans comme la province du nord-ouest -où le Congrès a obtenu une bonne majorité des votes- les prétentions de Jinnah à représenter les masses musulmanes sont des mensonges manifestes. Dans la lutte pour l'indépendance nationale et pour de meilleures conditions de vie, les travailleurs musulmans et hindous combattent coude à coude le principal ennemi : l'impérialisme anglais.
C'est cette
unité
croissante de la classe travailleuse des deux communautés -dans
les Syndicats et les Ligues paysannes- qui est redoutée non
seulement
des impérialistes anglais, mais aussi des capitalistes et des
propriétaires
fonciers hindous et musulmans. Dans cette unité, ils voient non
seulement la fin de la domination anglaise, mais la fin de tous les
exploiteurs.
Pour sauver leurs profits et leur peau, ils doivent perpétuer
les
rivalités religieuses. "Diviser pour régner" demeure
toujours
leur maxime.
Cette crainte de la
toute-puissance
des centaines de millions de travailleurs est la raison de l'entente de
Gandhi et Nehru, les représentants de la bourgeoisie nationale,
avec l'impérialisme anglais : partager le pouvoir et partager
les
profits. La bourgeoisie des Indes n'a pas moins besoin que le Capital
financier
anglais des troupes britanniques pour "préserver l'ordre" aux
Indes.
Mais c'est justement cette exploitation commune qui soude les ouvriers et les paysans hindous et musulmans en une union de plus en plus étroite. Dans les syndicats ouvriers et les syndicats paysans il n'y a qu'ouvriers et paysans, sans aucune distinction entre Hindous et Musulmans. Ici il n'y a pas d'électorat différent selon les religions. Ils sont liés par leurs besoins économiques et sociaux communs et leur combat commun pour de meilleures conditions de vie. Pour se libérer de l'exploitation des capitalistes et des propriétaires fonciers, ils forgent unes des armes qui conduira l'Inde vers une véritable émancipation nationale et lui fera prendre sa place comme nation socialiste dans un monde socialiste.
Ainsi, la Section
Syndicale
s'offre ouvertement au rôle de mouchard.
Alors que, sur la première page de son bulletin, elle écrit : "Nous ne doutons pas, camarades, de vos insatisfactions sur les problèmes multiples qui vous touchent (salaires, primes, réformes sociales, etc.) pour pouvoir conclure : "Nous comptons sur vous pour la prise des cartes 1947", en deuxième page, la Section Syndicale tire logiquement les conclusions des directives nationales des chefs cégétistes pour le "relèvement de la production" et s'offre au rôle de dénonciateurs pour signaler à la direction patronale de quelle manière elle peut encore appesantir son exploitation, dans une usine où les salaires et les conditions de travail sont déjà au plus bas. Dernièrement, aux roulements à billes, deux femmes ont été brûlées, l'une à la face, l'autre au bras, parce qu'un câble qui soutenait les roulements au-dessus d'un bac d'huile en ébullition s'est rompu. Pourtant, tout le monde avait remarqué depuis longtemps déjà que ce câble s'effilochait. Tout le monde,sauf le service de sécurité, évidemment. Mais peut-être était-il plus économique d'attendre que le câble soit rompu pour le remplacer. Un ou deux ouvriers, cela ne coûte rien, mais une machine en panne, c'est du retard pour la production. Ici, il s'agit d'un accident brusque. Mais à la chaîne des essieux, il se produit journellement autre chose : la direction a promis depuis des années déjà de changer les cabines de peinture au pistolet qui ne comportent aucun dispositif de sécurité. Les ouvriers peintres se succèdent dans ces cabines mais ne font jamais plus de trois mois, soit qu'ils y laissent la peau de leur visage, soit leurs poumons. Là aussi il est moins coûteux de remplacer les hommes que le matériel. Les moyens de protection sont laissés à l'imagination des ouvriers qui bien souvent s'isolent le visage à l'aide d'une pommade quelconque. Or, rien ne prouve que la pommade, alliée à la peinture faite de goudron ou autres produits corrosifs, ne soit pas au contraire un facteur d'aggravation de leurs brûlures. Du reste, la maison ne risque pas d'ennuis car la plupart des ouvriers ne peuvent se permettre, étant donné leurs bas salaires, de se mettre aux assurances. Ils travaillent donc tant qu'ils le peuvent et ensuite prennent leur compte pour aller chercher ailleurs "quelque chose de mieux". Les meules qui éclatent, les courroies qui, en sautant, assomment d'un seul coup une dizaine d'ouvriers, les fours qui réforment un homme en quelques années, les machines qui arrachent les chevelures des femmes..., telles sont les "joies saines du travail" dans les bagnes capitalistes. B.
Le projet de conventions
collectives prévoit le maintien de la semaine de 40 heures. Mais
en fait les 40
heures n'existent plus depuis longtemps (depuis 38) et la C.G.T., qui
prétend
en défendre le "principe" en réclamant une
rémunération
supplémentaire (sic) pour les heures au-dessus de la 40ème, invite en même
temps les ouvriers à saboter eux-mêmes
cette conquête sociale et les pousse à faire toujours
davantage d'heures.
Certes, les exhortations patriotiques des bonzes syndicaux, pas plus
que les
discours paternalistes des patrons et de l'Etat bourgeois n'auraient de
chance
d'être entendu si nous pouvions vivre avec 40 heures de travail.
Mais ces
messieurs se sont tous entendus pour nous obliger à faire des
heures
supplémentaires en attribuant à celles-ci la plus grosse
part de nos salaires. Dernièrement, dans
une Assemblée
générale de chez Renault, un bonze syndical
n'hésitait pas à affirmer que les
40 heures étaient "bien accrochées et qu'il n'y avait
aucun danger pour
que la bourgeoisie y touchât". En pratique, la semaine
de travail
est au minimum de 45 heures et nombreux sont les ouvriers qui les
dépassent.
Certains vont même jusqu'à 65 heures et 70 heures par
semaine. Mais comme
preuve irréfutable (!) que les 40 heures sont maintenues, le
bonze expliquait
que les heures supplémentaires étaient majorées.
Or chaque ouvrier sait qu'il
s'il ne réalise pas de boni et que s'il ne fait pas d'heures
supplémentaires,
il lui est absolument impossible de vivre. Déjà avec 45
heures par semaine, en
faisant un boni de 20%, un O.S. ne gagne guère plus de 7.000
francs par mois.
Sans les heures supplémentaires et le boni, c'est à
environ 5.000 francs par
mois que serait ramené notre salaire. Dire que les 40 heures
sont "bien
accrochées" quand un salaire de 40 heures ne nous permet pas de
vivre (qui
peut vivre avec 5.000 francs par mois), c'est se moquer du monde. Le
Gouvernement, les organisations patronales, les dirigeants ouvriers,
tous ont
approuvé le plan Monnet qui prévoit la semaine de 48
heures. Evidemment il ne
s'agit pas de porter atteinte au principe
des 40 heures, mais de faire faire des heures supplémentaires
qui seront
rémunérées comme telles, mais auxquelles nous ne
pourrons pas nous soustraire
sous peine de mourir de faim. Le motif, pour augmenter
la
journée de travail, c'est la production, "gage du
relèvement
national". Mais pour relever le pays, n'y a-t-il pas d'autres moyens
que
d'écraser toujours davantage ceux qui produisent ? Si les
salaires étaient plus
élevés, si les journées de travail étaient
plus courtes et moins pénibles
(cadence à respecter), il est certain que M. Monnet trouverait
des bras
disponibles (il en réclame un million). Car nous voulons bien
travailler, à
condition que le travail nourrisse son homme. Or, c'est justement le
travail
productif qui ne paie pas. A l'usine, c'est l'O.S. le moins bien
payé, et pour
calculer la paie des productifs il faut presque autant d'improductifs.
La
politique du travail au rendement, au lieu de répartir le
travail d'une façon
équitable, tend à augmenter toujours davantage la masse
des improductifs qui
cherchent ailleurs que dans la production un moyen de vivre. Chaque
ouvrier n'a
qu'un désir : fuir au plus vite l'usine, trouver une
combine, une place
relativement tranquille ; mais quitter au plus vite les bagnes
capitalistes. Ceux qui
prétendent défendre la
production en encourageant (sic) les productifs à travailler
davantage sont en
réalité les saboteurs de la production : 1° parce qu'ils
éloignent de la
production un grand nombre d'individus qui se refusent à faire
un travail
exténuant pour un salaire de famine ; 2° parce qu'ils usent
jusqu'à la
moelle l'élément essentiel de la production, les ouvriers
productifs ; 3° parce qu'ils
écartent de la
production un grand nombre d'ouvriers qui s'absentent partiellement de
l'usine
pour rechercher ailleurs un complément indispensable à la
paye ; tandis
que d'autres, pour réaliser leur boni, sont obligés
d'user de toutes sortes de
ruses telles que le camouflage et le maquillage des pièces. En revendiquant un
salaire décent
pour une semaine de 40 heures de travail, les ouvriers les plus
conscients sont
les véritables défenseurs de la production, car ils
défendent l'élément
essentiel de la production : la main-d'oeuvre. Vauquelin. Chez
Thomson A l'annonce de la
suppression des 10% d'abattement sur
le salaire féminin dans notre usine, nous avons cru que nos
salaires
augmenteraient d'autant. Or, à la paie nos salaires
étaient toujours aussi
bas : 34-36 francs de l'heure. Nous ne comprenions pas et nous
avons
appelé un chef. La suppression de l'abattement ne peut pas
augmenter nos
salaires car les temps sont si courts que personne n'y arrive et tout
le monde
est coulé. Si on nous payait selon les prix fixés on
devrait toucher environ 26
francs de l'heure. Ainsi, en maintenant des
temps très courts, la
direction fait du paternalisme en nous payant plus que ce qu'elle
prétend que
nous gagnons (ce qu'elle ne fait d'ailleurs que parce que la loi
l'oblige à
payer le salaire minimum). Et lorsque arrive une augmentation, sous
quelque
forme que ce soit, tel que l'abattement de 10%, elle a beau jeu de nous
dire : "mais je ne peux rien vous donner, au contraire, faisons
les
comptes, c'est encore vous qui me devez de l'argent, puisque je vous
paye
davantage que vous ne gagnez." Encore une "victoire" de la C.G.T., mais pour en sentir les effets, il faudra produire encore un peu plus |